Rhinovirus et bactérie : une agression en bande organisée

24/09/2020
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Article ATS
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Human Rhinovirus impairs the innate immune response to bacteria in alveolar macrophages in chronic obstructive pulmonary disease.
Finney LJ, Belchamber KBR, Fenwick PS, Kemp SV, Edwards MR, Mallia P, Donaldson G, Johnston SL, Donnelly LE, Wedzicha JA.
Am J Respir Crit Care Med. 2019;199(12):1496-1507. DOI: 10.1164/rccm.201806-1095OC

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Question évaluée

Étudier l’impact d’une infection par Rhinovirus sur la capacité de phagocytose bactérienne des macrophages chez le patient BPCO.

Type d’étude

Recherche translationnelle

Population étudiée

La capacité de phagocytose bactérienne des macrophages était évaluée dans deux groupes de patients :

  • Groupe BPCO : 20 patients adultes BPCO GOLD I-II (40-75 ans, VEMS/CV inférieur à 70%, VEMS supérieur à 50%, tabagisme à 10 PA au moins) à l’état stable (> 4 semaines de la dernière exacerbation) ;
  • Groupe contrôle : 16 sujets sains (40-75 ans, pas de trouble ventilatoire obstructif, tabagisme à moins de 10 PA).

Deux populations de macrophages étaient étudiées :

  • Macrophages résidents du poumon (macrophages alvéolaires = MA) ;
  • Macrophages recrutés du pool de monocytes circulants (Monocyte-derived macrophages = MDM).
Méthodes

Pour chaque patient, étaient réalisés :

  • un prélèvement de sang total, pour isolement et culture (12 jours) des monocytes, et expansion en MDM ;
  • un lavage broncho-alvéolaire, pour isolement et culture (1 jour) des MA.

La capacité de phagocytose bactérienne des MDM et MA était étudiée :

  • selon 3 modalités : état basal, infection par HRV16 (inoculum croissant) et infection par HRV16 inactivé (par UV) ;
  • en marquant les bactéries (Haemophilus influenzaeet Streptococcus pneumoniaetuées non opsonisées) par un fluorochrome.

La réponse inflammatoire induite par l’infection à HRV16 des MDM et MA était évaluée en quantifiant la concentration des cytokines CXCL8, TNF-a, IL-6 et IL-10 dans le bain de culture.

Résultats essentiels

Les MDM et les MA des patients BPCO avaient une capacité à phagocyter H. influenzae et S. pneumoniaeabaissée par rapport aux sujets sains. Cette diminution de la capacité basale de phagocytose chez les patients BPCO était corrélée à la baisse du VEMS (% de la théorique). En revanche, la persistance d’un tabagisme ou un traitement par corticostéroïde inhalé n’étaient pas associés à une altération de la capacité de phagocytose.

L’infection des MDM des patients BPCO par HRV16 inhibait leur capacité à phagocyter H. influenzae et S. pneumoniae. Une telle inhibition n’était pas retrouvée si les bactéries étaient remplacées par des billes de latex (spécificité), ou lorsque les MDM étaient infectés par HRV16 inactivé (importance de la réplication virale). L’infection des MDM des sujets sains par HRV16 n’avait pas d’effet sur leur capacité à phagocyter H. influenzae et S. pneumoniae. L’infection des MDM des patients BPCO par HRV16 inhibait de manière dose-dépendante la réponse cytokinique à H. influenzae(libération deCXCL8, TNF-a, IL-6, and IL-10).

L’infection des MA des patients BPCO par HRV16 inhibait leur capacité à phagocyter H. influenzae(mais pas S. pneumoniae). A contrario, l’infection des MA des sujets sains par HRV16 n’avait pas d’effet sur leur capacité à phagocyter H. influenzaeet S. pneumoniae.

Dans tous les cas d’infection par HRV16, l’acquisition en microscopie confocale montrait la présence de Rhinovirus dans le cytoplasme des MDM, confirmant la pénétration virale (élément débattu dans la littérature).

Enfin, les auteurs ont cherché préciser le mécanisme déterminant l’altération de la capacité de phagocytose observée chez les MDM HRV16-infectés des patients BPCO. Des données antérieures avaient décrit, au cours de l’invasion des voies aériennes, l’endocytose du Rhinovirus dans la cellule épithéliale respiratoire, la fixation de l’ARN viral sur le récepteur membranaire TLR3, et la réponse cytokinique induite. Fort de ce rationnel, les auteurs ont utilisé un agoniste du TLR3. Son administration induisait une inhibition dose-dépendante de la phagocytose d’H. influenzae par les MDM des patients BPCO, mimant ainsi celle induite par Rhinovirus.

Commentaires

En résumé, cette recherche translationnelle a décrit une altération basale et une inhibition Rhinovirus-induiteTLR3-médiée des fonctions intrinsèques des macrophages chez le patient BPCO :

  • Une moindre capacité basale de phagocytose bactérienne ( influenzae et S. pneumoniae) ;
  • Une inhibition spécifique dose-dépendante et temps-dépendante de la phagocytose bactérienne ( influenzae et S. pneumoniae) induite par Rhinovirus, sous réserve d’une réplication virale ;
  • Une inhibition dose-dépendante de la réponse cytokinique à influenzae induite par Rhinovirus.

Les auteurs ont mis en lumière chez les patients BPCO une corrélation clinico-biologique, entre l’intensité du trouble ventilatoire obstructif (VEMS en % de la théorique) d’une part, et l’altération basale de la capacité de phagocytose bactérienne des macrophages d’autre part.

Points forts
  • Prélèvements humains (sang et LBA), populations BPCO et contrôles, d’effectifs larges pour ce type d’étude ;
  • Expérience à dose (inoculum) croissant, et prise en compte du facteur « réplication virale ».
Points faibles
  • Pas d’exploration des neutrophiles, cellule effectrice clé de la réponse immune antibactérienne ;
  • Pas d’utilisation de Rhinovirus non A, c’est-à-dire de groupe B ou C, alors que des données suggèrent des pathogénicités variables, notamment chez les sujets immunodéprimés.
Implications et conclusions

L’exacerbation aigue est le principal motif d’hospitalisation des patients BPCO. Les infections virales en sont le premier facteur causal, et Rhinovirus joue un rôle prédominant (1,2). Des nombreuses données humaines mettent en lumière une double agression séquentielle (virus respiratoire puis bactérie), responsable d’un pronostic altéré au cours de l’exacerbation de BPCO (3,4). Les mécanismes biologiques déterminant cette gravité accrue au cours des coinfections demeurent assez mal connus. Des données antérieures ont mis en lumière le rôle facilitateur de Rhinovirus dans l’invasion et la lésion de l’épithélium respiratoire par S. pneumoniae (5). Ici, les auteurs apportent des données nouvelles, qui montrent que Rhinovirus altère les capacités de réponse immune macrophagiques (phagocytose et production cytokinique) à une agression bactérienne (Gram + ou Gram -) chez le patient BPCO. En outre, ce travail confirme à l’état basal un phénotype phagocytaire-déficient chez les patients BPCO (6).

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LIENS UTILES

  1. Papi A, Bellettato CM, Braccioni F, Romagnoli M, Casolari P, Caramori G, Fabbri LM, Johnston SL. Infections and airway inflammation in chronic obstructive pulmonary disease severe exacerbations. Am J Respir Crit Care Med.2006;173(10):1114-21.
  2. Hutchinson AF, Ghimire AK, Thompson MA, Black JF, Brand CA, Lowe AJ, Smallwood DM, Vlahos R, Bozinovski S, Brown GV, Anderson GP, Irving LB. A community-based, time-matched, case-control study of respiratory viruses and exacerbations of COPD.Respir Med. 2007;101(12):2472-81.
  3. Wark PA, Tooze M, Powell H, Parsons K. Viral and bacterial infection in acute asthma and chronic obstructive pulmonary disease increases the risk of readmission. Respirology. 2013;18(6):996-1002.
  4. MacDonald M, Korman T, King P, Hamza K, Bardin P. Exacerbation phenotyping in chronic obstructive pulmonary disease. Respirology. 2013;18(8):1280-1.
  5. Ishizuka S, Yamaya M, Suzuki T, Takahashi H, Ida S, Sasaki T, Inoue D, Sekizawa K, Nishimura H, Sasaki H. Effects of rhinovirus infection on the adherence of Streptococcus pneumoniae to cultured human airway epithelial cells. J Infect Dis. 2003;188(12):1928-39.
  6. Taylor AE, Finney-Hayward TK, Quint JK, Thomas CM, Tudhope SJ, Wedzicha JA, Barnes PJ, Donnelly LE. Defective macrophage phagocytosis of bacteria in COPD. Eur Respir J. 2010;35(5):1039-47.
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CONFLIT D'INTÉRÊTS

Commenté par Guillaume Voiriot, Service de Médecine Intensive Réanimation, Hôpital Tenon APHP ; Sorbonne Université, Paris, France

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