Sédation excessive : des arguments pour soutenir que même dès le début de la prise en charge des patients ventilés, point trop n’en faut ?

01/03/2018
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Analgosedation Practices and the Impact of Sedation Depth on Clinical Outcomes Among Patients Requiring Mechanical Ventilation in the ED: A Cohort Study.
Chest. 2017 Nov;152(5):963-971. doi: 10.1016/j.

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Questions évaluées
  • Savoir si une association existe entre la profondeur de la sédation constatée dans le service d’urgence chez des patients ventilés par voie endotrachéale et leur devenir.
  • Décrire les pratiques d’analgésie et sédation concernant l’intubation et la sédation entreprise aux urgences et poursuivie dans les 48 premières heures en réanimation.
Type d’étude

Exploitation d’une base de données constituée de façon prospective à l’occasion d’un travail préalable dont l’objectif était différent et présentée comme une étude ancillaire de celui-ci (1).

Recueil rétrospectif de nombreuses données concernant les drogues utilisées et l’évaluation de la profondeur de la sédation.

Population étudiée

Patients ≥ 18 ans ventilés via une sonde endotrachéale dans un service d’urgence aux USA sur 18 mois d’octobre 2014 à Mars 2016.

Méthodes concernant la première question évaluée
Hypothèse

Evaluer les conséquences de la poursuite ou de la mise en œuvre d’une sédation profonde dans le service d’urgence. La sédation profonde était définie de la façon suivante : RASS médian entre -3 et -5. La première mesure du RASS recueilli pendant les trois premières heures en réanimation était utilisée si ce critère n’était pas disponible aux urgences.

Critères de jugement
Principal

Mortalité hospitalière.

Secondaires

Durée de ventilation mécanique (VM), durée d’hospitalisation, durée de séjour en réanimation.

Statistiques

Statistiques descriptives usuelles (Tests χ2, t de Student, Mann-Whitney U test).

Modèle de régression logistique ajustée avec comme variable dépendante la mortalité hospitalière, et comme covariables d’ajustement a priori l’âge, le traitement vasopresseur, la sévérité de la maladie (SOFA), l’indication de la ventilation mécanique, puis, après analyse univariée inclusion dans le modèle de deux autres paramètres : pathologie maligne, utilisation de dexmédétomidine en réanimation.

Analyses multiples de sous-groupes, certaines a priori et d’autres post hoc.

Méthodes concernant la deuxième question évaluée

Simple description des médicaments et des doses utilisées pour l’intubation et la sédation.  Statistiques descriptives usuelles (Tests χ2, t de student, Mann-Whitney U test).

Résultats essentiels

414 patients inclus dans l’analyse finale (1074 patients recensés, 660 exclus dont 240 extubés en moins de 24 heures, 216 décédés dans les 24 heures dont 142 aux urgences, 106 pour atteinte structurelle cérébrale dont 40 arrêts cardiaques, 59 trachéotomisés ou ventilés chroniques et 29 transférés d’un autre établissement). 60 patients sont décédés (14,5%).

Durée moyenne de séjour de 4,8 heures (3,2-6,8) aux urgences.

En ce qui concerne le critère de jugement principal

Le score de sédation médian, constaté chez 64% des patients, était significativement plus bas que celui constaté chez les survivants (p<0,001) : RASS -4 (-4;-3) vs -3 (-4;-2). Ce résultat a été confirmé à l’aide du modèle de régression logistique après ajustement sur les co-variables identifiées, construit pour tester la relation entre profondeur de la sédation et la survie [aOR 0,77 (0,63-0,94 IC95%)].

Cette analyse a montré par ailleurs que l’utilisation de dexmédétomidine en réanimation dans les 48h était associée à une plus faible mortalité. Ces constatations sont retrouvées même si les patients n’ayant pas reçu de sédation et ceux non intubés aux urgences sont exclus de l’analyse multivariée. Le fait de recourir au propofol ou au midazolam n’avait pas d’influence sur le devenir des patients.

Dans plusieurs sous-groupes, une sédation profonde était aussi associée significativement à une mortalité accrue : patients en VM pour traumatisme : aOR 0,39 (0,20-0,78 IC95%) ; patients en VM pour raison médicale (non traumatique) : aOR 0,79 (0,63-0,99 IC95%).

À noter une relation entre l’importance de la profondeur de la sédation évaluée par le RASS (de -5 à -2) et le devenir des patients, celui-ci étant d’autant plus mauvais que le RASS était bas.

Pour les critères de jugement accessoires

Les durées de ventilation, de séjour en réanimation et d’hospitalisation chez les patients de réanimation étaient statistiquement plus longues chez les patients sédatés profondément.

Commentaires

Une sédation profonde aux urgences est associée à une mortalité plus élevée dans ce travail, qui atteint néanmoins un faible niveau de preuve compte tenu du recueil rétrospectif de certaines données cruciales (RASS, drogues utilisées), que le recours à des méthodes statistiques élaborées comportant de multiples tests ne permet pas, comme c’est toujours le cas, de contrebalancer. Nul n’est à l’abri des biais de confusion.

Les auteurs émettent à raison l’hypothèse qu’une prescription lourde d’emblée est susceptible d’être pérennisée. Cet écueil aurait pu être contourné s’ils avaient suivi un protocole de sédation précis.

Il est intéressant de noter que le recours à la dexmédétomidine, prescrite uniquement en réanimation, est un facteur associé dans ce travail à un meilleur pronostic.

La description des diverses drogues utilisées pour effectuer l’intubation et la sédation n’appelle pas de commentaires particuliers en dehors du fait que la kétamine et l’étomidate sont ici utilisés de façon inhabituelle aux urgences pour l’entretien de la sédation (respectivement 16,4% et 3,6% des patients) et que la dexmédétomidine n’est utilisée qu’en réanimation.

Points forts
  • La constatation d’une sédation profonde est fréquente (64%) aux urgences, et est associée à un pronostic péjoratif, corroborée par les analyses en sous-groupes.
  • Cette première étude dans un service d’urgence sur ce sujet vient appuyer les connaissances déjà bien étayées chez les patients de réanimation sur l’impact négatif d’une sédation excessive (augmentation des durées de ventilation, de séjour en réanimation et d’hospitalisation) (2, 3).
Points faibles
  • Décrite comme prospective mais recueil rétrospectif de données d’intérêt cruciales (RASS, drogues utilisées).
  • Pas de protocole de sédation.
  • RASS mal renseigné aux urgences, recalculé, parfois récupéré en réanimation en faisant l’hypothèse que le niveau de sédation ne se modifie pas beaucoup dans les premières heures.
  • Part non négligeable de patients déjà sédatés en préhospitalier ou dans d’autres services.
  • Population étudiée très sélectionnée.
  • Poursuite de deux objectifs, classiquement déconseillée mais en définitive sans conséquence sur la pertinence de l’étude.
  • Biais de confusion impossibles à éliminer (delirium ou altération préalable des fonctions cognitives, encéphalopathie septique, métabolique, interactions médicamenteuses…)
  • Etude monocentrique.
Implications et conclusions

La pertinence de cette étude peut sembler moins grande en France où l’organisation de la filière des soins critiques, qui comportent des SMUR, est telle qu’un séjour prolongé aux urgences est inhabituel.

Il n’en reste pas moins qu’il paraît sage, même si ce travail apporte  des arguments statistiquement discutables mais que l’on ne peut balayer d’un revers de main, de veiller à ce que la sédation soit raisonnée et non excessive dès son instauration.

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Conflit d'intérêts

Commenté par Hervé Outin et Paul Chinardet, Réanimation, CHI de Poissy Saint-Germain-en Laye, France.

Les auteurs ne déclarent aucun conflit d’intérêt. Le contenu des fiches REACTU traduit la position de leurs auteurs, mais n’engage ni la CERC ni la SRLF.

Envoyez vos commentaires/réactions à l’auteur (outin@chi-poissy-st-germain.fr) ou à la CERC.

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Liens utiles

  1. Fuller BM, Ferguson IT, Mohr NM, Drewry AM, Palmer C, Wessman BT, et al. Lung-Protective Ventilation Initiated in the Emergency Department (LOV-ED): A Quasi-Experimental, Before-After Trial. Ann Emerg Med. 2017;70 : 406-18 e4.
  2. Barr J, Fraser GL, Puntillo K, Ely EW, Gelinas C, Dasta JF, et al. Clinical practice guidelines for the management of pain, agitation, and delirium in adult patients in the intensive care unit. Crit Care Med. 2013;41: 263-306.
  3. Sauder P, Andreoletti M, Cambonie G, Capellier G, Feissel M, Gall O, et al. Conférence de consensus commune (SFAR-SRLF) en réanimation. Sédation-analgésie en réanimation (nouveau-né exclu). Réanimation 2008.
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CERC

G. MULLER (Secrétaire)
N. AISSAOUI
SD. BARBAR
F. BOISSIER
G. DECORMEILLE
D. GRIMALDI
S. HRAIECH
G. JACQ
JB. LASCARROU
P. MICHEL
G. PITON
A. YOUSSOUFA