
Oral challenge vs routine care to assess low-risk penicillin allergy in critically ill hospital patients (ORACLE): a pilot safety and feasibility randomised controlled trial
Morgan T. Rose, Natasha E. Holmes, Glenn M. Eastwood, Sara Vogrin, Fiona James, Joseph F. De Luca, Rinaldo Bellomo, Stephen J. Warrillow, Michelle Phung, Sara L. Barnes, Brendan Murfin, Ben Rogers, Belinda Lambros, Brennan Collis, Trisha N. Peel, Monica A. Slavin and Jason A. Trubiano
Rose, M.T., Holmes, N.E., Eastwood, G.M. et al.
Intensive Care Med 50, 913–921 (2024). https://doi.org/10.1007/s00134-024-07448-x
Question évaluée :
La réintroduction d’une pénicilline est-elle faisable et sûre chez des patients de réanimation présumés allergiques à une pénicilline et à bas-risque selon le score PEN-FAST ?
Type d’étude :
Essai clinique pilote multicentrique ouvert, randomisé en deux bras parallèles, mené dans 4 hôpitaux universitaires de Melbourne, entre mars 2021 et novembre 2023.
Population étudiée :
Patients étiquetés allergiques à une pénicilline, admis en réanimation pour une durée d’au moins 24h, et classé à faible risque d’allergie vraie à une pénicilline selon le score PEN-FAST (<3). Exclusion des patients sous forte dose de noradrénaline (>0,1 µg/kg/min), en ventilation contrôlée, avec une FiO2>0,4, une PEP à plus de 5 cmH2O ou recevant une corticothérapie (>200 mg/j d’hémisuccinate d’hydrocortisone). Exclusion des notions d’allergies sévères non-cutanées impliquant des défaillances d’organes, neurologiques ou hématologiques.
Pour rappel, le score PEN-FAST, côté de 0 à 5, prend en compte les éléments suivants :
- F : Five years (réaction survenue il y a cinq ans ou moins)
- A : Anaphylaxis or Angioedema (présence d'anaphylaxie ou d'angioedème)
- S : Severe cutaneous adverse reaction (réaction cutanée sévère)
- T : Treatment required for the reaction (traitement requis pour la réaction)
Méthode :
Les patients étaient randomisés par bloc en deux groupes (contrôle et intervention) avec un ratio 1:1. L’intervention consistait en l’administration entérale d’une dose de pénicilline (250 mg de la pénicilline suspecte ou de l’amoxicilline par défaut). En cas de test négatif après au moins 48h, une seconde dose était administrée aux patients une fois leur pathologie aiguë résolue.
Les critères de jugement primaires étaient la proportion de patients éligibles ayant accepté de participer à l’étude (critère de faisabilité, avec un objectif cible d’au moins 50%) et la proportion de patients ayant rencontré un effet adverse sévère ou immunologique après la réintroduction de pénicilline (critère de sureté, avec une cible de moins de 5%). Les critères de jugement secondaires étaient l’utilisation d’antibiotiques, la durée de séjour et la mortalité. Une analyse en intention de traiter était réalisée.
Résultats essentiels :
80 patients ont été inclus avec un score SOFA et APACHE II médian à l’admission respectivement de 4 (IQR 2 ;6) et 11 (IQR 6,5 ;14). Ces 80 patients inclus représentaient 62% (IC 95% 53 ;70) des 130 patients éligibles. Tous les patients du groupe intervention (n=40) ont eu le test de réintroduction. Parmi ces patients, un seul effet indésirable immunologique (érythème maculo-papuleux) a été constaté (2,5%). Une seconde dose de pénicilline a été administrée chez 32 patients (80%) du groupe intervention, sans effet indésirable constaté. Il y a eu autant d’utilisation d’antibiotique dans les 2 groupes après la randomisation (n=25, 62%) mais significativement plus de pénicillines au sein du groupe intervention (n=13 ; 32%) qu’au sein du groupe contrôle (n=4 ; 10%) (OR 4,33 ; (IC 95% 1,27 ;14,78) p=0,019).
Commentaires :
L’allergie à une pénicilline est très fréquemment rapportée, avec une fréquence estimée entre 1 et 16,5% des patients hospitalisés (1). La confirmation de cette allergie est beaucoup plus rare, allant de 1 à 22,5% des cas (2). Être étiqueté allergique à une pénicilline à tort peut avoir des conséquences importantes. Plusieurs études ont ainsi rapporté une augmentation de la durée de séjour, du coût du séjour, de la fréquence des échecs thérapeutiques ou des infections à des bactéries multirésistantes, une augmentation des colites à Clostridium difficile voire même une surmortalité dans certaines populations (3,4). Peu d’études se sont intéressées à la réanimation mais l’étiquette d’allergie à la pénicilline pourrait augmenter la durée de séjour et du besoin de vasopresseur, avec néanmoins des résultats contradictoires dans la littérature et sans augmentation de la mortalité (5,6).
Le score PEN-FAST a été créé dans l’optique d’une stratégie de « désétiquetage », visant à proposer la réintroduction directe d’une pénicilline chez les patients à faible risque (7). Cette stratégie était destinée initialement aux allergologues mais son usage est proposé dans de plus en plus de situations. Bien qu’intéressant, il faut garder à l’esprit que la valeur prédictive négative du PEN-FAST est aux alentours de 90%, ce qui signifie qu’un patient sur dix sera classé à tort comme à faible risque d’allergie vraie (8). L’utilisation de ce score chez des patients de réanimation doit donc se considérer avec beaucoup de prudence car il s’agit d’une population déjà très fragile, chez qui toute erreur de classification peut avoir des conséquences importantes. Dans l’étude ORACLE, seuls 38% des patients avaient un diagnostic d’infection active au moment de leur admission, ce qui soulève la question de la pertinence d’effectuer un test de réintroduction à un antibiotique directement en réanimation, chez des patients critiques, pour qui une antibiothérapie n’est pas prévue. Une précaution supplémentaire doit être prise en France, où, contrairement aux pays anglo-saxons, l’utilisation de céphalosporines est possible hors de l’hôpital, avec une confusion fréquente pour les patients entre pénicillines et céphalosporines, ce qui rend plus difficile encore le conseil allergologique. La plupart des outils proposés actuellement sont validés sur des populations anglo-saxonnes, ayant donc un profil de sensibilisation différent.
Compte-tenu de tous ces éléments, la plus grande précaution doit donc être prise pour transposer ces résultats à notre pratique quotidienne en France.
Points forts :
- le design de l’étude avec respect du protocole pré-publié,
- la cohérence des conclusions avec les données actuelles de la littérature,
- l’approche pragmatique du premier test de réintroduction facilement reproductible en clinique,
- la réalisation d’un second test de réintroduction validant les conclusions du premier.
Points faibles :
- conclusions difficilement généralisables en réanimation en France car étude réalisée dans une population très peu sévère,
- faible effectif de l’étude qui limite la possibilité de voir une réaction sévère : un calcul du nombre de sujets nécessaire basé sur l’occurrence de réaction sévère aurait pu permettre de mieux peser la balance bénéfice-risque de cette stratégie chez des patients de soins critiques.
Implications et conclusions :
L’étude ORACLE montre la faisabilité d’une réintroduction de pénicillines chez des patients de réanimation peu sévères rapportant une allergie à une pénicilline et ayant un faible risque selon le score PEN-FAST. Les conclusions de cette étude sont à prendre avec prudence en France car l’applicabilité et l’innocuité de cette stratégie reste à démonter.
Références cités dans les commentaires
- 1. Gilissen L, Spriet I, Gilis K, Peetermans WE, Schrijvers R. Prevalence of Antibiotic Allergy Labels in a Tertiary Referral Center in Belgium. J Allergy Clin Immunol Pract. juin 2021;9(6):2415-2425.e8.
- 2. Chiriac AM, Wang Y, Schrijvers R, Bousquet PJ, Mura T, Molinari N, et al. Designing Predictive Models for Beta-Lactam Allergy Using the Drug Allergy and Hypersensitivity Database. J Allergy Clin Immunol Pract. 2018;6(1):139-148.e2.
- 3. Macy E, Contreras R. Health care use and serious infection prevalence associated with penicillin « allergy » in hospitalized patients: A cohort study. J Allergy Clin Immunol. mars 2014;133(3):790‑6.
- 4. Huang KHG, Cluzet V, Hamilton K, Fadugba O. The Impact of Reported Beta-Lactam Allergy in Hospitalized Patients With Hematologic Malignancies Requiring Antibiotics. Clin Infect Dis. 18 juin 2018;67(1):27‑33.
- 5. Saunders H, Shrestha R, Khadka S, Helgeson SA. Patient-reported penicillin allergy and intensive care unit outcomes in sepsis. J Allergy Clin Immunol Pract. févr 2024;12(2):519‑21.
- 6. Leone M, Zunino C, Pauly V, Mathieu C, Antonini F, Orlean V, et al. Beta-lactam allergy labeling in intensive care units: An observational, retrospective study. Medicine. 9 juill 2021;100(27):e26494.
- 7. Trubiano JA, Vogrin S, Chua KYL, Bourke J, Yun J, Douglas A, et al. Development and Validation of a Penicillin Allergy Clinical Decision Rule. JAMA Intern Med. 1 mai 2020;180(5):745‑52.
- 8. Ghiordanescu IM, Ciocănea-Teodorescu I, Molinari N, Jelen A, Al-Ali O, Schrijvers R, et al. Comparative Performance of 4 Penicillin-Allergy Prediction Strategies in a Large Cohort. J Allergy Clin Immunol Pract. 20 juill 2024;S2213-2198(24)00743-8.
CONFLIT D'INTÉRÊTS
Article commenté par le Dr Simon Viville et le Pr Charles-Ambroise Tacquard, Service d’Anesthésie-Réanimation du Nouvel Hôpital Civil, Hôpitaux Universitaires de Strasbourg, Strasbourg, France.
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CERC
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