Traitement antibiotique dans les bactériémies : saura-t-on désormais s'en tenir à 7 jours ?

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Antibiotic Treatment for 7 versus 14 Days in Patients with Bloodstream Infections

The BALANCE Investigators, for the Canadian Critical Care Trials Group, the Association of Medical Microbiology and Infectious Disease Canada Clinical Research Network, the Australian and New Zealand Intensive Care Society Clinical Trials Group, and the Australasian Society for Infectious Diseases Clinical Research Network et al. N Engl J Med 2024.

 

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Question évaluée :

Peut-on raccourcir à 7 jours la durée de traitement des bactériémies ?

Type d’étude :

Essai contrôlé randomisé, multicentrique, ouvert, de non-infériorité

Population étudiée :

Patients hospitalisés entre 2014 et 2023 présentant une bactériémie (≥ 1 hémoculture positive à une bactérie pathogène hormis les S. aureus et S. lugdunensis).

Etaient exclus les patients :

  • Sévèrement immunodéprimés,
  • Porteurs d’une prothèse endovasculaire ou une valve prothétique,
  • Dont la source de l’infection requerrait un traitement prolongé.
Méthode :

Les données ont été collectées prospectivement avec randomisation à l’inclusion par blocs de taille variable et stratification selon le site et l’admission en réanimation.

Les patients étaient randomisés avec un ratio 1:1 entre deux bras de traitement : traitement court de 7 jours ou traitement long de 14 jours. Le groupe de randomisation était maintenu secret jusqu’au 7ème jour de traitement.

Le critère de jugement principal était un critère unique, dur : le décès à J90 ; et l’analyse principale prévue en intention de traiter.

Il était prévu d’inclure 3626 patients, avec une mortalité à J90 anticipée de 22% et une borne de non-infériorité de 4%.

Résultats essentiels :
  1.  Caractéristiques des patients inclus :

La population « en intention de traiter » de l’essai BALANCE incluait 3608 patients, dont 55% hospitalisés en réanimation, et 21% sous ventilation mécanique. Parmi eux, 1814 patients ont reçu un traitement de 7 jours et 1794 un traitement de 14 jours. Les infections étaient majoritairement communautaires (75,4%), la source la plus fréquente, urinaire (42,2%) et les germes les plus fréquents, des entérobactéries (E. coli 43,8% ; Klebsiella sp. 15,3%).

  1. Non-infériorité du traitement de 7 jours par rapport à un traitement de 14 jours :

Dans le groupe 7 jours, la mortalité à J90 était de 14,5% (261/1802) contre 16,1% (286/1779) dans le groupe 14 jours, soit une différence de -1,6% (IC97,5% -4,0 à 0,8), restant sous la borne de non-infériorité.

Les analyses secondaires retrouvaient des résultats similaires : l’analyse per-protocole (population retreinte aux patients ayant reçu la durée de traitement assignée, à ± 2 jours près), 13,0% contre 15,0%, soit une différence de -2,0% (-4,5 à 0,6), et l’analyse en intention de traitée modifiée (population excluant les patients décédés avant J7), 13,8% contre 15,4%, soit une différence de -1,6% (-3,9 à 0,7%).

Les nombreux critères secondaires étudiés (décès à l’hôpital ou en réanimation, durée de séjour hospitalier ou en réanimation, durée de ventilation mécanique, durée de soutien par vasopresseurs, rechute de bactériémie, nombre de jours vivant sans antibiotiques, survenue d’effets indésirables, infection par C. difficile, colonisation ou infection secondaire à bactéries multi-résistantes) confirmaient la non-infériorité du traitement de 7 jours. 

Commentaires :

 La récente cohorte internationale EUROBACT-2 (1) a permis une évaluation des pratiques de prise en charge des bactériémies nosocomiales chez des patients hospitalisés en réanimation. Chez les patients dont la source ou le germe responsable ne requerrait pas de traitement prolongé, les auteurs retrouvaient une durée médiane de traitement de 11 jours (IQR 7 - 17 jours).

L’essai BALANCE suggère qu’un traitement court de 7 jours est suffisant chez les patients hospitalisés présentant une bactériémie, lorsque la source n’implique pas un traitement prolongé et que l’infection n’est pas causée par un S. aureus ou S. lugdunensis.  La prise en charge de ces patients pourrait donc bénéficier d’une réduction de la durée d’antibiothérapie sans les exposer à un risque de moindre contrôle de l’infection. 

Points forts :
  • Il s’agit, à ce jour, du plus gros essai contrôlé randomisé visant à évaluer la durée de traitement des bactériémies, qui inclut des patients de réanimation.
  • Résultats cohérents avec les données de la littérature (2,3)
  • Analyses en sous-groupes prédéfinis selon le caractère communautaire ou nosocomial, le service d’admission (hospitalisation conventionnelle ou réanimation), la gravité clinico-biologique (score APACHE II < 25 ou ≥ 25), la source de l’infection, la bactérie causale (gram négatif, gram positif, polymicrobien), qui restent toutefois exploratoires
  • Randomisation au diagnostic de la bactériémie puis masquage du groupe de randomisation jusqu’à J7
Points faibles :
  •  Exclusion des bactériémies à S. aureus qui sont le 2ème pathogène le plus fréquent dans les bactériémies (4) et des fongémies à Candida
  • Analyse principale en intention de traiter : s’agissant d’un essai de non-infériorité, l’analyse per-protocole (qui n’inclut que les patients ayant reçu la bonne durée de traitement, ne pouvant donc pas favoriser le groupe 7 jours) était la plus appropriée. Toutefois, celle-ci corrobore les résultats de l’analyse en intention de traiter.
  • Hétérogénéité importante de la cohorte :
    • Une majorité d’infections urinaires y compris chez les patients de réanimation (32,4% des patients de réanimation avaient une infection urinaire)
    • Une grande majorité d’infections communautaires dont les germes sont le plus souvent sensibles aux antibiotiques. On peut noter d’ailleurs une absence d’information sur la possible résistance aux antibiotiques des bactéries responsables (un focus sur les entérobactéries productrices de BLSE aurait pu être intéressant compte tenu de la grande fréquence des K. pneumoniae et des E. coli parmi les germes retrouvés).
    • Dans les sous-groupes des patients qu’on peut considérer comme les plus graves, avec des bactériémies nosocomiales, avec un score APACHE-II ≥ 25, ou sous vasopresseurs, on observe des intervalles de confiance de la différence entre les groupes 7 vs 14 jours assez larges, pouvant témoigner à la fois d’un manque de puissance au sein de ces sous-groupes, ou d’une non-infériorité incertaine.
  • Sous-évaluation possible de certains critères de jugement secondaires si les patients étaient traités en ambulatoire ou transférés dans des centres ne participant pas à l’étude
  • Pas de sous-groupe évaluant le traitement de 7 jours spécifiquement chez les patients immunodéprimés, chez les patients infectés par des germes résistants aux antibiotiques, ou dans les bactériémies à P. aeruginosa (qui ne représentaient toutefois que 170 cas dans l’ensemble de la cohorte)
  • Pas d’information sur le statut des patients à J7 (amélioration clinique, résolution ou persistance de la bactériémie, contrôle de la source, complication de l’infection)  
Implications et conclusions :

Chez des patients sélectionnés, un traitement court de 7 jours est une option aussi sûre qu’un traitement prolongé pour les bactériémies (hors S aureus et lugdunensis), y compris chez les patients de réanimation.

Cette étude apporte des arguments supplémentaires en faveur d’une réduction de la consommation d’antibiotiques, comme préconisée par les programmes de bon usage des antimicrobiens (5). 


 

Références cités dans les commentaires

  1. Tabah A, Buetti N, Staiquly Q, Ruckly S, Akova M, Aslan AT, et al. Epidemiology and outcomes of hospital-acquired bloodstream infections in intensive care unit patients: the EUROBACT-2 international cohort study. Intensive Care Med [Internet]. 10 févr 2023 [cité 18 févr 2023]; Disponible sur: https://link.springer.com/10.1007/s00134-022-06944-2
  2. Molina J, Montero-Mateos E, Praena-Segovia J, León-Jiménez E, Natera C, López-Cortés LE, et al. Seven-versus 14-day course of antibiotics for the treatment of bloodstream infections by Enterobacterales: a randomized, controlled trial. Clinical Microbiology and Infection. avr 2022;28(4):550‑7.
  3. Soto CL, Hsu AJ, Lee JH, Dzintars K, Choudhury R, Jenkins TC, et al. Identifying Effective Durations of Antibiotic Therapy for the Treatment of Carbapenem-resistant Enterobacterales Bloodstream Infections: A Multicenter Observational Study. Clinical Infectious Diseases. 25 janv 2024;78(1):27‑30.
  4. Verway M, Brown KA, Marchand-Austin A, Diong C, Lee S, Langford B, et al. Prevalence and Mortality Associated with Bloodstream Organisms: a Population-Wide Retrospective Cohort Study. J Clin Microbiol. 20 avr 2022;60(4):e0242921.
  5. De Waele JJ, Akova M, Antonelli M, Canton R, Carlet J, De Backer D, et al. Antimicrobial resistance and antibiotic stewardship programs in the ICU: insistence and persistence in the fight against resistance. A position statement from ESICM/ESCMID/WAAAR round table on multi-drug resistance. Intensive Care Med. févr 2018;44(2):18996.  

CONFLIT D'INTÉRÊTS

Article commenté par Dr Lena Gajdos, Médecine intensive Réanimation, APHP, France ; Sorbonne Université, Paris, France et 

  • Dr Niccolò Buetti, Infection Control Program and WHO Collaborating Centre, Geneva University Hospitals and Faculty of Medicine, Service PCI, Geneva, Switzerland.

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