Traitement des pneumonies nosocomiales à Stenotrophomonas maltophilia : less is more ?

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Assessment of the relative benefits of monotherapy and combination therapy approaches to the treatment of hospital-acquired Stenotrophomonas maltophilia pneumonia: a multicenter, observational, real-world study. Chen et al. Annals of Intensive Care (2023). doi:10.1186/s13613-023_01144-7

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Question évaluée

Comparer le bénéfice relatif entre une monothérapie (MT) et une combinaison d’antibiotique (CT) pour le traitement des pneumonies à Stenotrophomonas maltophilia acquises à l’hôpital.

Type d’étude

Étude observationnelle rétrospective multicentrique.

Population étudiée

Les patients hospitalisés dans 4 hôpitaux universitaires chinois présentant une pneumonie acquise à l’hôpital (selon les recommandations internationales de 2016) due à S. maltophilia étaient éligibles. Ceux âgés de plus de 14 ans, et vivant au moins 48h suivant l’administration de l’antibiothérapie adéquate étaient inclus.

Méthode

Les caractéristiques démographiques, les comorbidités, les critères de gravité, la durée de séjour, et les modalités d’antibiotiques étaient recueillis. Le diagnostic de pneumonie utilisait la spectrométrie de masse (MALDI-TOF) sur la culture d’un prélèvement respiratoire, et le système Vitek-2 pour déterminer la sensibilité aux antibiotiques (recommandations du Clinical Laboratory Standards Institute, 2019). Les bornes de sensibilité des entérobactéries pour la Tigécycline et la Moxifloxacine servaient de référence, car non précisées par la Food and Drug Administration pour S. maltophilia.

Le pronostic des patients était comparé par une analyse de survie à J30 utilisant un modèle de Cox stratifié sur la mortalité, la réponse clinique et microbiologique. Un score de propension était utilisé pour ajuster les effets de confusion potentiels, les valeurs du score propension (PS) et de pondération ont été calculés à l'aide d'un modèle de régression logistique multivarié pour la probabilité d'une thérapie combinée par patient. 

Résultats essentiels

Entre 2012 et 2016, 307 patients avec pneumonie à Stenotrophomonas maltophilia ont été répertoriés : 171 traités par une CT, et 136 par une MT. Au total, 75,9 % étaient admis en réanimation, 50,5 % sous ventilation invasive, et 5,9 % sous vasopresseurs. Un traitement empirique approprié concernait 12,2 % des patients de l’étude. La mortalité à 30 jours était de 41,0%.

Une CT était plus fréquente chez les patients âgés, diabétiques, ayant une pathologie cérébrovasculaire, une immunodépression (45,0% versus 29,4%, p = 0,005). Les patients sous CT avaient un score APACHE-II médian supérieur à ceux traités par MT (19 [14 – 23] versus 14 [12 – 19]), étaient plus fréquemment en choc septique (24,6% versus 9,6, p = 0,001), et sous ventilation mécanique invasive (60,2% versus 38,2%, p = 0,001). 

Après ajustement sur le score de propension pour la cohorte entière, aucune différence n’était retrouvée entre CT et MT concernant la mortalité, la réponse clinique ou microbiologique évaluées à J30. Chez les patients immunodéprimés, l’administration d’une CT était significativement associée à une mortalité inférieure (OR 0.404, p = 0.041), une meilleure réponse clinique (OR 2.6, p = 0.032) et microbiologique (OR 2.788, p = 0.044). Pour les patients avec score APACHE-II ≥ 15, des résultats similaires aux patients immunodéprimés étaient retrouvés avec des odds-ratio comparables. Dans ces 2 sous-groupes, la CT associant Triméthoprime – Sulfaméthoxazole (TMP-SMX) et fluoroquinolone, comparée à une MT par TMP-SMX, était associée à une mortalité à J30 inférieure, quelle que soit la stratégie de traitement empirique ou définitive. Toutefois, pour le sous-groupe de patients ayant un score APACHE-II < 15, la CT était associée à une mortalité significativement accrue.

Commentaires
  1. Hétérogénéité des groupes analysés

L’étude porte sur une population hétérogène de patients : 24,1% n’étaient pas admis en réanimation et seulement 50% étaient ventilés. Des variables pronostiques manquent : durée de séjour, durée sous ventilation mécanique, catécholamines, épuration extra-rénale, ECMO. Les survivants avaient un recours moins fréquent à la ventilation invasive (42% versus 62,9%) (Additional Table 4). Par ailleurs, la proportion de patients ventilés secondairement n’est pas connue. Or, la littérature suggère que leur pronostic est plus péjoratif, comparativement à ceux non ventilés ou présentant une pneumonie acquises sous ventilation mécanique (1).

  1. Pertinence du critère d’éradication microbiologique

Un suivi systématique de la clairance bactérienne n’était pas possible. Les auteurs rapportent ainsi l’absence de prélèvements répétés chez 35 patients parmi les 131 patients (26,7%), pourtant analysés pour ce critère, introduisant un biais d’évaluation (Additional Table 6). En conséquence, l’interprétation du pronostic des patients non ventilés devient difficile. Une stratification sur la ventilation invasive serait donc utile. L’échec microbiologique étant lié à la durée de ventilation mécanique, un séjour prolongé biaise l’évaluation à J30. Une évaluation à J60 (2) permettrait d’étudier la fréquence des récidives, classiques pour ce type d’infection.

  1. Évaluation de la mortalité imputable au traitement

Le délai d’évaluation à J30 comporte un biais d’immortalité, en censurant la survie au-delà (à droite). Aussi, le modèle de Cox classique induit un biais de survie sélective, en occultant certains risques « compétitifs » pouvant influencer la probabilité de décès, notamment les limitations des thérapeutiques concernant la ventilation invasive. Le score de propension ne prévient pas ces biais. Le croisement des courbes de survie avant J20 pour les patients immunocompétents et avec APACHE-II < 15 (Fig 3.A, C, E) soutient cet argument, et mériterait d’être discuté par les auteurs. Par exemple, des modèles de survie plus spécifiques (dit « cause-spécifique ») sembleraient plus appropriés (3).

  1. Caractéristiques microbiologiques influençant la réponse au traitement

Au total, 58 patients recevaient une trithérapie (33,9%), dont la moitié comprenait une fluoroquinolone (27 patients, 15,7%). Un rôle protecteur pour les patients plus sévères (APACHE-II > 15) et immunodéprimés peut être avancé. Inversement, certaines CT ne comportaient pas le traitement de référence (TMP-SMX) (Additional Table 3), suggérant une efficacité potentiellement moindre.

Une explication à l’absence de différence pronostique sur la cohorte entière serait la résistance acquise sous CT, devenant équivalente à une MT « active » (Fig 3.A). Les fluoroquinolones sont associées à un risque accru de résistance secondaires comparativement aux cyclines, pouvant ainsi précipiter certains échecs (4). Ces résultats ne sont pas soutenus par ceux de la dernière cohorte publiée, montrant l’absence de différence significative sur les échecs cliniques à J7 ou les récidives de pneumonies à J30. Or, seulement 3.3% des patients étaient traités par cycline en MT (5). Aussi, les études plus anciennes ne rapportaient pas de données de sensibilité, ne permettant donc pas de conclure sur l’emploi de l’une ou l’autre classe en 1ère intention (6).

Enfin, la durée de traitement, le profil de sensibilité du germe, et la résistance secondaire sous traitement et le choix du traitement de seconde ligne, manquent pour interpréter ces résultats. Comme souligné par les auteurs, des posologies insuffisantes pourraient également induire certains échecs en exposant au risque de résistance. Ces éléments plaident aussi pour l’utilisation de bornes de sensibilité validées en routine pour les cyclines (7,8).

Points forts
  • Taille d’échantillon, caractère multicentrique.
  • Le regard posé sur les traitements disponibles avant l’arrivée des nouveaux antibiotiques.
Points faibles
  • Confusion entre patients ventilés et non ventilés, biaisant l’efficacité du traitement.
  • L’analyse à J60 peut sembler plus appropriée.
  • Le modèle de survie utilisé ne prend pas en compte les risques compétitifs.
  • Les données manquent sur la sensibilité des germes, résistances sous traitement, durées d’administration, posologies, choix de la seconde ligne.
Implications et conclusions

Ces résultats soulignent l’intérêt d’une combinaison antibiotique pour traiter les pneumonies nosocomiales à S. maltophilia chez les patients les plus graves et les immunodéprimés. Son réel impact pronostique demeure toutefois incertain (5).

L’intérêt clinique des cyclines est soutenu par leur efficacité microbiologique in vitro (4), mais reste sous-évalué dans les études récentes (7,8). L’utilisation de bornes de sensibilité validées permettrait notamment de rationaliser leur usage.

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RÉFÉRENCES

1.         Ibn Saied W, Mourvillier B, Cohen Y, Ruckly S, Reignier J, Marcotte G, et al. A Comparison of the Mortality Risk Associated With Ventilator-Acquired Bacterial Pneumonia and Nonventilator ICU-Acquired Bacterial Pneumonia. Crit Care Med. 2019 Mar;47(3):345–52.

2.         Jones M, Fowler R. Immortal time bias in observational studies of time-to-event outcomes. J Crit Care. 2016 Dec;36:195–9.

3.         Geskus RB. Cause-specific cumulative incidence estimation and the fine and gray model under both left truncation and right censoring. Biometrics. 2011 Mar;67(1):39–49.

4.         Biagi M, Tan X, Wu T, Jurkovic M, Vialichka A, Meyer K, et al. Activity of Potential Alternative Treatment Agents for Stenotrophomonas maltophilia Isolates Nonsusceptible to Levofloxacin and/or Trimethoprim-Sulfamethoxazole. J Clin Microbiol. 2020 Jan 28;58(2):e01603-19.

5.         Shah MD, Coe KE, El Boghdadly Z, Wardlow LC, Dela-Pena JC, Stevenson KB, et al. Efficacy of combination therapy versus monotherapy in the treatment of Stenotrophomonas maltophilia pneumonia. J Antimicrob Chemother. 2019 Jul 1;74(7):2055–9.

6.         Tamma PD, Aitken SL, Bonomo RA, Mathers AJ, van Duin D, Clancy CJ. Infectious Diseases Society of America Guidance on the Treatment of AmpC β-Lactamase-Producing Enterobacterales, Carbapenem-Resistant Acinetobacter baumannii, and Stenotrophomonas maltophilia Infections. Clin Infect Dis Off Publ Infect Dis Soc Am. 2022 Jul 6;74(12):2089–114.

7.         Kullar R, Wenzler E, Alexander J, Goldstein EJC. Overcoming Stenotrophomonas maltophilia Resistance for a More Rational Therapeutic Approach. Open Forum Infect Dis. 2022 May;9(5):ofac095.

8.         Maraolo AE, Licciardi F, Gentile I, Saracino A, Belati A, Bavaro DF. Stenotrophomonas maltophilia Infections: A Systematic Review and Meta-Analysis of Comparative Efficacy of Available Treatments, with Critical Assessment of Novel Therapeutic Options. Antibiot Basel Switz. 2023 May 15;12(5):910

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CONFLIT D'INTÉRÊTS

Article commenté par Paul-Henri Wicky et Mathieu DesmardDépartement de Réanimation – Soins Continus, Institut Mutualiste Montsouris, Paris

Les auteurs ne déclarent pas de conflit d'intérêt en lien avec cet article.

Le contenu des fiches REACTU traduit la position des auteurs, mais n’engage ni la CERC ni la SRLF.

Envoyez vos commentaires/réactions aux auteurs (paul-henri.wicky@imm.fr) et à la CERC.

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CERC

G. LABRO (Secrétaire)
S. BOURCIER
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