Vancomycine versus métronidazole au cours de l’infection à Clostridium difficile : quelle place reste-t-il pour le métronidazole ?

19/04/2018
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Comparative Effectiveness of Vancomycin and Metronidazole for the Prevention of Recurrence and Death in Patients with Clostridium difficile Infection.
Stevens VW, Nelson RE, Schwab-Daugherty EM, Khader K, Jones MM, Brown KA, Greene T, Croft LD, Neuhauser M, Glassman P, Goetz MB, Samore MH, Rubin MA.
JAMA Intern Med 2017;177:546-553

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Question évaluée

Comparer l’efficacité (en termes de prévention de la récidive et de mortalité à J30) de la vancomycine (V) et du métronidazole (M) chez les patients présentant une infection à C. difficile (ICD).

Type d’étude

Etude de cohorte rétrospective menée aux Etats-Unis de 2005 à 2012 dans le US Department of Veterans Affairs (organisation prenant en charge 5 millions de patients/an).

Population étudiée

47471 patients adultes ayant présenté un premier épisode éligible d’ICD traité par V ou M.

Une ICD était définie cliniquement selon les recommandations de l’IDSA (1) plus un prélèvement positif pour C. difficile (test immuno-enzymatique de 2005 à 2009 puis PCR).

Une ICD sévère était définie par un taux de leucocytes ≥ 15000/mm3 ou une augmentation de la créatininémie d’au moins 1,5 fois la valeur de base (définie comme la valeur moyenne de la créatinine dans les 90 jours avant l’épisode d’ICD).

Une ICD de gravité faible était définie par un taux normal de leucocytes et une créatininémie < 1,5 fois la valeur de base.

Méthode

A partir des 47471 patients, constitution de 3 cohortes (ICD de toute sévérité, ICD de gravité faible, ICD sévère) avec appariement sur scores de propension (13 covariables), sur la base de 4 patients traités par M pour chaque patient traité par V.

Les deux critères de jugement étaient :

  1. la récidive de l’ICD définie par la positivité d’un nouveau test durant la période J14 à J56 après la date du diagnostic d’ICD ;
  2. la mortalité (toutes causes confondues) à J30 après la date du diagnostic de l’ICD.

Le taux de récidive et la mortalité à J30 étaient comparés dans chacune des 3 cohortes appariées entre le groupe V et le groupe M ; et les risques relatifs de récidive et de mortalité étaient aussi évalués dans chacune des 3 cohortes par analyses multivariées (régression de Poisson modifiée) avec ajustement sur les covariables utilisées pour l’appariement.

Résultats essentiels

Parmi les 47471 patients inclus, 2068 (4,3%) étaient traités par vancomycine. Il s’agissait de 25124 (53%) patients avec ICD de gravité faible, 17586 (37%) patients avec ICD sévère et de 4761 (10%) patients avec ICD de gravité non connue. A partir de ces 3 groupes étaient constituées les 3 cohortes appariées : la cohorte ICD de toute sévérité incluait 10137 patients (2068 V pour 8069 M), la cohorte ICD de gravité faible incluait 5452 patients (1111 V pour 4341 M) et la cohorte ICD sévère incluait 3130 patients (629 V pour 2501 M).

Le taux de récidive était autour de 16% dans les 3 cohortes sans différence significative entre les groupes V et M. De même, par analyses multivariées la V ne réduisait pas le risque de récidive dans les 3 cohortes.

En revanche la mortalité à J30 était significativement moindre dans le bras V de la cohorte ICD sévère (15,3 vs 19,8% ; p=0,01), ce qui expliquait une mortalité qui était aussi moindre dans le bras V de la cohorte ICD de toute sévérité (8,6 vs 10,6% ; p=0,01) alors qu’il n’y avait pas de différence significative concernant la mortalité dans la cohorte ICD de faible gravité (5,9 vs 6,9% ; p=0,22). De même, par analyses multivariées, la V réduisait significativement le risque de mortalité dans les cohortes ICD sévère (Risque Relatif ajusté 0,79 ; IC 95% 0,65 à 0,97) et ICD de toute gravité (Risque Relatif ajusté 0,86 ; IC 95% 0,74 à 0,98), mais pas dans la cohorte ICD de faible gravité. Ainsi le nombre de patients ayant une ICD sévère à traiter par V pour sauver une vie était de l’ordre de 25.

Commentaires

On savait déjà que la V était supérieure au M au cours de l’ICD sévère en terme de guérison clinique (2, 3). Les recommandations européennes 2014 proposent la V en premier au cours de l’ICD sévère (niveau A-1) et si le M est contre indiqué (niveau D-1) (4).

On pourrait ainsi considérer que cette étude arrive un peu « après la bataille » ; mais elle affirme la supériorité de la V sur le M au cours de l’ICD sévère en montrant ici une différence nette de mortalité à J30 ; tout en confirmant que ces deux traitements sont à l’origine d’autant de récidive (16% environ).

Ce résultat est important quand on constate dans le flow chart que parmi les 17586 ICD sévères, seules 3,6% d’entre elles ont été traitées par V. Ce faible pourcentage souligne la difficulté de faire changer les habitudes thérapeutiques en infectiologie, mais doit aussi prendre en compte les spécificités américaines : prix élevé de la V et assez forte prévalence d’entérocoques résistants à la V.

Plusieurs points sont inhérents au caractère rétrospectif de l’étude menée à partir d’une très vaste base de données. La population est constituée de plus de 95% d’hommes (Département des Vétérans), ce qui constitue un biais. La notion complexe de guérison clinique n’est pas disponible. De même on ne dispose pas des posologies, des durées de traitement et des effets secondaires dans les bras V et M des différentes cohortes. Par ailleurs la définition de la récidive est un peu simpliste. Enfin, la mortalité est étudiée à J30 quand on aurait préféré la mortalité hospitalière, probablement plus pertinente dans cette population.

Pour minimiser ces faiblesses, les patients traités par V ont été soigneusement appariés avec 4 patients traités par M en utilisant des scores de propension basés sur 13 covariables. Il en résulte des groupes assez similaires dans les cohortes étudiées. Par ailleurs, les autres traitements anti C. difficile colligés (tolevamer 12% ; probiotiques 33% ; autres antibiotiques topiques < 1% ; fidaxomicine 0,1%) ne différaient pas entre les groupes.

Au final quelle place reste-il pour le M au cours de l’ICD ? Pas dans les formes sévères comme cette étude le confirme. Pas au cours des ICD avec des facteurs de risque de récidive (4) ou lors d’une première récidive, situations où la fidaxomicine devrait s’imposer y compris sur la V (5-8). Il ne resterait donc que le premier épisode d’ICD de faible gravité et sans facteur de risque de récidive, voire par voie intraveineuse au cours des ICD très sévères en complément des autres traitements, particulièrement la chirurgie précoce. La place du métronidazole s’amenuise donc d’étude en étude.

Points forts

Effectif imposant (plus de 47000 patients ayant une ICD) permettant de mettre en évidence des différences significatives en termes de mortalité (critère « dur » sur lequel on disposait de peu de données).

Méthodologie statistique robuste.

Reflet de la « vraie vie » avec environ 3/4 d’ICD d’origine nosocomiale ou liée aux soins et 1/4 d’origine communautaire.

Points faibles

Limites habituelles d’une étude rétrospective réalisée sur une volumineuse base de données et sur une durée de 8 ans (seules les données colligées sont disponibles, variations des pratiques durant la période, …).

Appariement des cas selon un score de propension, avec le risque habituel d’omettre un facteur confondant pertinent.

Utilisation d’un seul test diagnostique pour définir l’ICD ou la récidive, ce qui a pu contribuer à inclure des patients colonisés mais non infectés.

Implications et conclusions

Cette étude réalisée sur un très large effectif d’ICD, confirme que la vancomycine est plus efficace que le métronidazole (moindre mortalité à J30), particulièrement au cours des ICD sévères. Si on ajoute aux résultats de cette étude ceux des études récentes sur la fidaxomicine, l’indication du métronidazole au cours de l’ICD doit probablement être revue à la baisse, particulièrement quand elle survient en réanimation.

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Conflit d'intérêts

Article commenté par le Dr Fabrice Bruneel, Réanimation, CH de Versailles, France

L’auteur déclare les liens suivants : laboratoires MSD et PFIZER (invitation congrès) et EDIMARK (membre du bureau éditorial de la Lettre de l’infectiologue).
Le contenu des fiches REACTU traduit la position de leurs auteurs, mais n’engage ni la CERC ni la SRLF.

Envoyez vos commentaires/réactions à l’auteur (fbruneel@ch-versailles.fr) ou à la CERC.

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Liens utiles

  1. Cohen SH et al. Clinical practice guidelines for Clostridium difficile infection in adults: 2010 update by the society for healthcare epidemiology of America (SHEA) and the infectious diseases society of America (IDSA). Infect Control Hosp Epidemiol. 2010 May;31(5):431-55. doi: 10.1086/651706.
  2. Zar FA et al. A comparison of vancomycin and metronidazole for the treatment of Clostridium difficile-associated diarrhea, stratified by disease severity. Clin Infect Dis. 2007; 45:302-7.
  3. Nelson RL et al. Antibiotic treatment for Clostridium difficile-associated diarrhoea in adults. Cochrane Database Syst Rev. 2017;3:CD004610. doi: 10.1002/14651858.CD004610.pub5.
  4. Debast SB et al. European Society of Clinical Microbiology and Infectious Diseases: update of the treatment guidance document for Clostridium difficile infection. Clin Microbiol Infect. 2014;20 Suppl 2:1-26. doi: 10.1111/1469-0691.12418.
  5. Louie TJ et al. Fidaxomicin versus vancomycin for Clostridium difficile infection. N Engl J Med. 2011;364:422-31. doi: 10.1056.
  6. Cornely OA et al. Fidaxomicin versus vancomycin for infection with Clostridium difficile in Europe, Canada, and the USA: a double-blind, non-inferiority, randomised controlled trial. Lancet Infect Dis. 2012;12:281-9. doi: 10.1016/S1473-3099(11)70374-7.
  7. Guery B et al. Randomized controlled, open-label study comparing the efficacy of extended-pulsed fidaxomicine with vancomycin therapy for sustained clinical cure of Clostridium difficile infection in an older population: the EXTEND Study. ECCMID 2017.
  8. Cornely OA et al. Treatment of first recurrence of Clostridium difficile infection: fidaxomicin versus vancomycin. Clin Infect Dis. 2012;55 Suppl 2:S154-61. doi: 10.1093/cid/cis462.
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