La réponse à l’infection : le retour au point de départ ?

05/01/2023
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Article ICM
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Source-specific host response and outcomes in critically ill patients with sepsis: a prospective cohort study.
Peters-Sengers, H., Butler, J.M., Uhel, F. et al. 
Intensive Care Med 48, 92–102 (2022). https://doi.org/10.1007/s00134-021-06574-0

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Introduction

Le sepsis est actuellement défini comme une réponse inappropriée de l’hôte à une infection suspectée ou prouvée, associée à une ou plusieurs dysfonctions d’organes. Il est établi que la réponse de l’hôte est caractérisée par des dysfonctions immunitaires complexes et hétérogènes. L’identification des facteurs à l’origine de cette variabilité pourrait permettre d’envisager des thérapeutiques plus individualisées.

Les auteurs formulent l’hypothèse que le site de l’infection identifié à l’admission en réanimation est un facteur associé à des profils variables de réponse de l’hôte au sepsis.

Objectif principal

L’objectif principal était d’identifier des variations de la réponse de l’hôte selon une le site de l’infection par l’exploration de paramètres immunologiques et de biologie moléculaire.

Type d’étude

Il s’agit d’une étude prospective observationnelle multicentrique menée dans deux services de réanimation de deux hôpitaux universitaires aux Pays Bas entre janvier 2011 et décembre 2013 (analyse a posteriori de la cohorte MARS : molecular diagnostic and risk stratification of sepsis).

Population étudiée
  • Une cohorte clinique comprenant tous les patients adultes hospitalisés en réanimation de façon consécutive et stratifiés selon le diagnostic de sepsis de façon rétrospective par un panel d’experts (n= 2019)
  • Parmi ces patients, 2 cohortes de patients présentant un sepsis suspecté ou prouvé et pour lesquels un point de départ unique a été identifié et classifié selon 6 sites infectieux (respiratoire, abdominal, urinaire, cardiovasculaire, neurologique, cutané) ont fait l’objet d’analyses complémentaires :
  • Une cohorte biomarqueurs (n=621) : patients inclus au cours des 30 premiers mois de la période d’inclusion
  • Une cohorte transcriptome (n=335) : patients inclus au cours de 18 premiers mois de la période d’inclusion
  • Deux cohortes de sujets sains ont également été analysées
  • Une cohorte de sujet sains (n=27) appariée en âge et sexe à la cohorte biomarqueurs
  • Une cohorte de sujet sains (n=42) pour l’étude du transcriptome leucocytaire
Méthodes
Cohorte biomarqueurs :

La technologie Luminex est une technologie développée récemment basée sur le principe d’un ELISA combiné à la cytométrie en flux. Cette technique permet le dosage simultané de plusieurs protéines présentes en faible quantité dans de petits échantillons. Seize biomarqueurs reflétant la réponse inflammatoire, l’activation endothéliale et l’activation de la coagulation ont été quantifiés par cette méthode dans du plasma prélevé dans les 16 heures suivant l’admission en réanimation.

Cohorte transcriptomique :

La transcriptomique est l’analyse de la production totale des ARN messagers. Celle-ci permet d’explorer l’état de la transcription du génome dans les conditions de l’étude. L’analyse transcriptomique des leucocytes sanguins a été réalisée sur des prélèvements effectués dans les 16 heures suivant l’admission en réanimation.  Brièvement, après purification des ARNm, ceux-ci sont rétro-transcrits en ADNc. Les ADNc sont ensuite hybridés, quantifiés et identifiés à partir d’une base de données.

Les auteurs ont ainsi cherché à déterminer les similitudes et différences entre les profils de gènes différentiellement exprimés (i.e. surexprimés ou sous-exprimés) pour chaque type d’infection.  

Résultats essentiels

Conformément aux données de la littérature (1), l’origine du sepsis est un facteur indépendant de mortalité dans cette cohorte. On retrouve ainsi des taux de mortalité globalement plus élevés en cas d’infection respiratoire, abdominale, ou du système cardiovasculaire, y compris après ajustement sur les facteurs confondants.

Cohorte biomarqueurs plasmatiques

Les différents dosages effectués confirment l’existence d’une réponse pro et anti-inflammatoire, d’une activation endothéliale et d’une activation de la coagulation commune à tous les états septiques.

En comparant six sites infectieux, les auteurs montrent qu’il existe des degrés d’activation différents dans les trois grands domaines de la réponse immunitaire explorés : inflammation, activation endothéliale et coagulation.

Les biomarqueurs reflétant ces trois réponses étaient significativement augmentés au cours des sepsis abdominaux par rapport aux sepsis à point de départ respiratoire.

Les sepsis à point de départ cardiovasculaire, urinaire, et cutané étaient caractérisés par une activation endothéliale intense.

L’ensemble des biomarqueurs mesurés était peu modifié au cours des infections du système nerveux central.

Cohorte transcriptomique

Comparativement aux volontaires sains (n=42), 4126 gènes étaient différentiellement exprimés chez l’ensemble des patients septiques analysés. Si la majorité des modifications sont communes à tous les sites d’infection, l’analyse comparée permet aux auteurs d’identifier certains profils d’activation génomiques spécifiques selon le site.

Les sepsis abdominaux étaient notamment caractérisés par une augmentation de la transcription des gènes impliqués dans l’activation de l’hémostase. Les auteurs identifient en outre de potentielles cibles thérapeutiques, notamment les voies de signalisation des récepteurs aux lymphocytes T (TCR) et du complexe majeur d’histocompatibilité (CMH) qui sont particulièrement réprimées au cours des sepsis à point de départ digestifs.

Commentaires

Les caractéristiques biologiques et transcriptomiques du sepsis mises en évidence par les résultats de cette étude confortent les données précédemment publiées montrant que les patients septiques présentent des altérations de l’immunité innée et adaptative à l’admission en réanimation (2). De plus, les résultats sont concordants avec les données de la littérature comparant les spécificités des signatures transcriptomiques des sepsis à point de départ digestif et respiratoire (3). Ces données renforcent l’hypothèse de spécificités immunologiques propres aux différentes sources d’infection, soulignant l’intérêt d’une personnalisation des thérapeutiques immunomodulatrices en fonction du site concerné. Il n'est néanmoins pas possible de conclure dans quelle mesure la répartition des différents pathogènes qui ont un tropisme pour certains sites impactent la réponse de l’hôte. A noter enfin que le recours à une analyse transcriptomique sur ARN total expose au risque de surdétection de gènes associés aux types cellulaires prépondérants chez les patients. Ainsi, l’uprégulation des gènes de l’activation endothéliale rapportée dans cette étude pour certaines catégories de patients peut en réalité refléter une fraction accrue de cellules endothéliales dans les prélèvements effectués dans cette population.   

Points forts
  • Large étude portant sur les biomarqueurs de la réponse immune, de la coagulopathie et de l’activation endothéliale, ainsi que sur le profil transcriptomique leucocytaire des patients septiques en réanimation
  • Suivi prospectif de tous les patients admis pendant 3 ans avec recueil de données exhaustifs
  • Prélèvements effectués précocément (<16 heures) suivant l’admission en réanimation
  • Analyse statistique robuste
Points faibles
  • Délai important entre la période d’inclusion et la publication de l’étude. Les guidelines sur les définitions et la prise en charge du sepsis ont évolué pendant cette période (4,5)
  • Etude transcriptomique restreinte aux leucocytes, omettant certains partenaires clés de la réponse inflammatoire telles que les cellules endothéliales et les plaquettes, dont l’exploration aurait pu permettre une caractérisation plus fine des phénotypes de sepsis
  • Le transcriptome est la « photographie » instantanée de l’expression des gènes ; la prise en compte du temps est donc capitale dans l’interprétation des données et l’absence d’analyse séquentielle ne permet pas de conclure si les variations d’expression génomiques sont la cause ou la conséquence de l’infection
  • Seuls les sepsis à point de départ unique et connu ont été inclus. Ce choix méthodologique, bien qu’en cohérence avec l’objectif de l’étude qui était d’explorer l’impact du facteur étiologique sur le profil de réponse au sepsis, a conduit à exclure une part importante des infections associées à la mortalité la plus importante, en l'occurrence les sepsis à point de départ indéterminé ou multiple.
  • Comme la prévalence des différents pathogènes diffère selon le site infecté, il est impossible de conclure si les différences observées sont liées aux microorganismes (effet pathogène) ou à l’organe infecté (effet site)
Implications et conclusion

Cette étude suggère que l’hétérogénéité des réponses de l’hôte au sepsis pourrait en partie s’expliquer par une dysrégulation de cette réponse spécifique au site de l’infection. Comme les autres études issues de la cohorte MARS, ce travail illustre comment l’intégration des données de biologie moléculaire pourrait permettre dans un avenir proche d’appréhender plus finement la réponse de l’hôte et d’identifier de nouveaux biomarqueurs et cibles thérapeutiques individualisés.

Si ces résultats sont confirmés, le point de départ de l’infection, qui est un facteur de mortalité, pourrait être un élément important pour la stratification des patients à inclure dans de futurs essais, et permettre d’envisager une immunomodulation spécifique au site de l’infection.

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CONFLIT D'INTÉRÊTS

Article commenté par Laure Stiel, Service de Réanimation médicale, CH Emile Muller, Mulhouse, France et Alexandre Gaudet, Pôle de Médecine Intensive – Réanimation, CHU de Lille, France, pour la Commission de Recherche Translationnelle de la SRLF.

Les auteur·es déclarent les liens suivants ne relevant pas du cadre du travail soumis :

  • Salariat et frais de déplacement - dans leur hôpitaux respectifs

Le contenu des fiches REACTU traduit la position de leurs auteurs, mais n’engage ni la CERC ni la SRLF.

Envoyez vos commentaires/réactions aux auteurs (laure.stiel@ghrmsa.fr ; alexandre.gaudet@chu-lille.fr) et à la CERC.

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Références

  1. Association between source of infection and hospital mortality in patients who have septic shock.
    Leligdowicz et al,
    Am J Resp Crit Care 2014 189(10):1204-1213
  2. A genomic storm in critically injured humans.
    Xiao W et al.
    J Exp Med 2011;208:2581-90
  3. Shared and distinct aspects of the sepsis transcriptomic response to fecal peritonitis and pneumonia.
    Burkham KL et al.
    Am J Resp Crit Care 2017;196(3):328-339
  4. Surviving sepsis campaign: international guidelines for management of sepsis and septic shock 2016.
    Rhodes et al.
    Intensive Care Med 2017;43(3):304-377
  5. Surviving sepsis campaign: international guidelines for management of sepsis and septic shock 2021.
    Evans L et al.
    Intensive Care Med 2021;4(11):1181-1247
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CERC

B. HERMANN (Secrétaire)
A. BRUYNEEL
G. FOSSAT
S. GOURSAUD
N. HEMING
T. KAMEL
G. LABRO
JF. LLITJOS
L. OUANES-BESBES
L. POIROUX
A. ROUZÉ
V. ZINZONI