20 ans d’avancées : un nouveau souffle pour la BPCO

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Management of Acute Exacerbations of Chronic Obstructive Pulmonary Disease in the ICU: An Observational Study from the OUTCOMEREA Database, 1997-2018

 

Louis-Marie Galerneau, Sébastien Bailly, Nicolas Terzi, Stéphane Ruckly, Maité Garrouste-Orgeas , Yves Cohen, Vivien Hong Tuan Ha, Marc Gainnier, Shidasp Siami, Claire Dupuis 9, Michael Darmon , Jean-Marie Forel, Guillaume Rigault, Christophe Adrie, Dany Goldgran-Toledano, Virginie Laurent, Etienne de Montmollin, Laurent Argaud, Jean Reignier, Jean-Louis Pepin, Jean-François Timsit; OUTCOMEREA Network

 

Crit Care Med (IF: 7.6; Q1). 2023 Jun 1;51(6):753-764. doi: 10.1097/CCM.0000000000005807. 

 

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 Questions évaluées :
  • Le pronostic des patients admis en réanimation pour une exacerbation aiguë de BPCO s’est-il modifié entre 1997 et 2018 ?
  • Le profil et la prise en charge de ces patients ont-ils changé au cours de la même période ?
  • Existe-t-il un lien statistique entre d’éventuelles modifications du pronostic et des changements dans la prise en charge de ces patients ?
Type d’étude :

Cohorte observationnelle longitudinale prospective menée dans 32 services de réanimation de France participant à la base de données OutcomeRea (base de données prospective, observationnelle et participative).

Population étudiée :

1816 patients majeurs admis en réanimation avec un diagnostic d’exacerbation de BPCO (EA-BPCO) ou d’insuffisance respiratoire aiguë associée à un antécédent de BPCO entre janvier 1997 et décembre 2018 et remplissant les critères d’inclusion dans la base de données OutcomeRea.

Méthode :

L’évolution temporelle des variables suivantes a été analysée au moyen d’un modèle mixte :

  • administration de corticostéroïdes par voie générale définie par une dose journalière ≥ 0,5 mg/kg de prednisone,
  • antibiothérapie,
  • usage de la ventilation, invasive et non invasive (CPAP ou VNI),
  • échec de la VNI, défini chez un patient ayant reçu de la VNI comme premier mode de ventilation, soit par l’instauration d’une ventilation invasive, soit par le décès,
  • mortalité 28 et 90 jours après l’admission en réanimation (en cas de donnée manquante le patient était considéré vivant).

Le modèle était ajusté sur l’âge, le sexe, l’indice de masse corporelle (IMC), le SAPS 2, la décision de limitation des thérapeutiques et la sévérité de la BPCO). Le centre était entré comme un effet aléatoire (les centres avec moins de 50 admissions étaient regroupés dans un centre commun). Les données manquantes étaient traitées par un processus d’imputation.

De plus, le lien statistique entre d’une part la mortalité en réanimation et, d’autre part, l’administration de corticostéroïdes, d’antibiotiques et de ventilation invasive a été étudiée au moyen d’un modèle de régression dynamique (modèle ARIMA).

Résultats essentiels :

Concernant l’évolution du profil des patients hospitalisés pour EA-BPCO en réanimation entre 1997 et 2018, l’âge, le sexe et la sévérité de la BPCO ne variait pas. En revanche, l’IMC et le SAPS2 augmentaient modérément.

Quarante-trois pourcent des patients ont reçu des corticostéroïdes, ce pour une durée médiane de 8 jours [Q1-Q3, 5-12], quand les patients restaient plus de 7 jours en réanimation. Entre 1997 et 2018, on observait une réduction de la prescription de corticostéroïdes sur la période étudiée (-5%/an, p<0,01), ainsi que de la proportion de patients recevant une corticothérapie > 5 jours ( -6%/an, p=0,02). Cette diminution de la prescription de corticostéroïdes n’était pas associée à une modification de la mortalité chez les patients.

Une antibiothérapie était prescrite chez 77% des patients, pour une durée médiane de 9 jours [7-15], chez ceux restant plus de 7 jours en réanimation. Entre 1997 et 2018, on observait une réduction de la prescription d’antibiotiques (-6%/an, p<0,01) et de leur durée de prescription ( -1%/an, p=0,01). Cette diminution de la prescription d’antibiotiques n’était, de même, pas associée à une modification de la mortalité des patients.

Alors que seuls 49% des patients recevaient de la VNI entre 1997 et 2002, cette proportion a augmenté pour atteindre 61% sur la période 2013-2018, avec une diminution de sa durée (5 vs. 2 jours). Parallèlement, le taux d’échec a reculé, passant de 28% entre 1997 et 2002 à moins de 15% entre 2013 et 2018. Enfin, son utilisation au décours de l’extubation a augmenté, passant de 24% entre 1997 et 2002 à 40% entre 2013 et 2018.

Entre 1997 et 2002, 51% des patients ont reçu de la ventilation invasive, vs. 35% entre 2013 et 2018, avec un recul de sa durée médiane, passant de 9 à 6 jours. La ventilation invasive était mise en place à l’admission chez 84% des patients et après échec de VNI chez 23% des patients sur l’ensemble de la période étudiée. Le recours à la ventilation invasive était corrélé à la mortalité des patients de la cohorte (p<0,01). 

Sur l’ensemble de la période étudiée, la durée médiane de séjour en réanimation des patients admis pour EA-BPCO était de 6 jours [3-12], avec une mortalité hospitalière de 20% et une mortalité en réanimation de 13%.  La survie à J90 s’est améliorée au cours du temps, passant de 59% entre 1997 et 2002 à 77% entre 2013 et 2018. Elle était meilleure chez les patients n’ayant jamais été ventilés ou ayant reçu exclusivement de la VNI (88 et 80%), ce comparé aux patients ayant reçu de la ventilation invasive d’emblée ou après échec de VNI (54% et 51%, p< 0,01). A noter, les patients qui recevaient de la VNI avant la mise sous ventilation invasive n’avaient pas une mortalité plus élevée que ceux ayant reçu de la ventilation invasive d’emblée (p=0,57).

Commentaires :

L’EA-BPCO est une affection que le.la réanimateur.trice est fréquemment amené.e à rencontrer puisqu’elle constitue 10 à 20% des causes d’admission en réanimation pour insuffisance respiratoire aiguë avec ventilation mécanique invasive ou non, en faisant un enjeu majeur de santé publique [1]. Auditer la prise en charge et le pronostic d’une affection sur une longue période permet d’une part d’étudier l’évolution temporelle de cette prise en charge et de ce pronostic, et d’autre part d’identifier des écarts entre la prise en charge réelle et les recommandations. A terme, cela peut permettre de proposer des améliorations de ladite prise en charge.

 La prise en charge des EA-BPCO repose principalement sur la VNI, voire invasive en cas de contre-indication ou d’échec de la VNI  [2], les bronchodilatateurs par voie inhalée, les corticostéroïdes et l’antibiothérapie.   

Alors qu’initialement prescrits chez trois quarts des patients à la fin des années 90, l’étude observe une diminution progressive de l’administration d’antibiotiques et de leur durée de prescription, sans toutefois que cela s’accompagne d’une augmentation de la mortalité, ce qui aurait pu être le cas. Cette diminution de la prescription d’antibiotiques s’inscrit dans une logique d’épargne visant à freiner l’émergence de bactéries multirésistantes. Il est à noter que cette diminution d’administration des antibiotiques pourrait aller à l’encontre des recommandations de la Société de Pneumologie de Langue Française (SPLF), qui recommandent de « probablement » prescrire une antibiothérapie à toute EA-BPCO sévère [3].

De même, le nombre et la durée des prescriptions de corticostéroïdes a diminué. Les corticostéroïdes, par l’immunosuppression qu’ils induisent, exposent les patients à des risques d’infection, ce d’autant plus que la durée d’exposition est longue. A ce jour, il n’existe pas données claires concernant le bénéfice d’une corticothérapie systématique dans les EA-BPCO sévères. La SPLF ne recommande pas leur administration systématique, mais plutôt en l’absence d’amélioration sous traitement optimal [3]. Cette diminution de l’exposition aux corticostéroïdes ne s’accompagnait pas d’une augmentation de la mortalité, suggérant d’une part que ces traitements étaient peut-être trop largement prescrits, notamment à des patients qui n’en bénéficiaient pas et, d’autre part, que des cures courtes étaient possiblement suffisantes.

Concernant l’usage de la VNI, cette étude confirme son usage grandissant. Rappelons que, dans l’EA-BPCO sévère, la VNI est largement recommandée, même en cas d’altération initiale de la vigilance [3]. La VNI s’accompagne d’une diminution de la mortalité bien démontrée, mais aussi d’une diminution du taux d’intubation et donc du recours à la ventilation invasive. C’est justement cette diminution du recours à la ventilation invasive qui, dans la présente étude, était statistiquement associée à une diminution de la mortalité. Rappelons que, dans l’EA-BPCO, la mortalité des patients ventilés de façon invasive d’emblée ne diffère pas de la mortalité des patients ventilés après un échec de VNI [4,5], ce qui est confirmé dans cette étude.

Points forts :
  • Large effectif, multicentrique
  • Longue période d’étude
  • L’analyse par série temporelle et le modèle de régression dynamique (modèle ARIMA), qui permet d’étudier la relation entre la mortalité et l’évolution temporelle des thérapeutiques entreprises
Points faibles :
  • Aucune donnée sur l’utilisation des béta-2 mimétiques et anticholinergiques inhalés
  • Aucune donnée sur les causes d’EA-BPCO, notamment infectieuses
  • Aucune donnée sur les causes du décès
  • Aucune donnée concernant l’usage de l’oxygène humidifié à haut débit
  • Peu de donnée concernant la fonction pulmonaire des patients et leurs comorbidités
  • Biais de recrutement, puisque la cohorte est restreinte aux services alimentant la base de données OutcomeRea
Implications et conclusions :


Depuis 1997, la mortalité des patients admis en réanimation pour une EA-BPCO a diminué, en lien avec une diminution du recours à la ventilation mécanique invasive, lui-même consécutif à une utilisation plus large de la VNI, dont le taux d’échec a de plus diminué. Par ailleurs, il a été observé une réduction de l’administration d’antibiotiques et de corticostéroïdes, qui ne s’est pas accompagnée d’une augmentation de la mortalité de ces patients.    

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RÉFÉRENCES

1. Schnell D, Timsit J-F, Darmon M, Vesin A, Goldgran-Toledano D, Dumenil A-S, et al. Noninvasive mechanical ventilation in acute respiratory failure: trends in use and outcomes. Intensive Care Med. 2014;40:582–91.

2. Brochard L, Mancebo J, Wysocki M, Lofaso F, Conti G, Rauss A, et al. Noninvasive ventilation for acute exacerbations of chronic obstructive pulmonary disease. N Engl J Med. 1995;333:817–22.

3. Jouneau S, Dres M, Guerder A, Bele N, Bellocq A, Bernady A, et al. Management of acute exacerbations of chronic obstructive pulmonary disease (COPD). Guidelines from the Société de pneumologie de langue française (summary). Rev Mal Respir. 2017;34:282–322.

4. Squadrone E, Frigerio P, Fogliati C, Gregoretti C, Conti G, Antonelli M, et al. Noninvasive vs invasive ventilation in COPD patients with severe acute respiratory failure deemed to require ventilatory assistance. Intensive Care Med. 2004;30:1303–10.

5. Demoule A, Girou E, Richard J-C, Taille S, Brochard L. Benefits and risks of success or failure of noninvasive ventilation. Intensive Care Med. 2006;32:1756–65.

 

 

 

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CONFLIT D'INTÉRÊTS

Article commenté par Valentine Le Stang, Alexandre Demoule, Médecine Intensive – Réanimation  École, CHU de Pitié Salpetrière, France.

Les auteurs ne déclarent pas de conflit d'intérêt en lien avec cet article.

Le contenu des fiches REACTU traduit la position des auteurs, mais n’engage ni la CERC ni la SRLF.

Envoyez vos commentaires/réactions aux auteurs (valentine.le-stang@aphp.fr, alexandre.demoule@aphp.fr ) et à la CERC.

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CERC

G. LABRO (Secrétaire)
S. BOURCIER
A. BRUYNEEL
C. DUPUIS
S. GENDREAU
S. GOURSAUD
G. FOSSAT
N. HIMER
T. KAMEL
O. LESIEUR
A. ROUZÉ
V. ZINZONI