P0.1 et dyspnée : pas de pression pour le sevrage

02/06/2025
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Julien Le Marec, David Hajage, Maxens Decavèle, Matthieu Schmidt, Isaura Laurent, et al.. High Airway Occlusion Pressure Is Associated with Dyspnea and Increased Mortality in Critically Ill Mechanically Ventilated Patients. American Journal of Respiratory and Critical Care Medicine, 2024, 210 (2), pp.201-210. 10.1164/rccm.202308-1358OC

Texte
Question évaluée

La pression d’occlusion à 100 ms (P0.1) est-elle associée à la dyspnée chez les patients sous ventilation mécanique invasive, et est-elle associée à la mortalité et à la durée de ventilation mécanique ?

Type d’étude

Analyse secondaire d’une étude de cohorte multicentrique observationnelle, conduite dans 10 centres en France entre janvier 2016 et avril 2018.

Population étudiée

Patients majeurs hospitalisés en réanimation intubés et ventilés depuis au moins 24 heures, avec un séjour estimé d’au moins 24 heures supplémentaires. Les patients devaient pouvoir communiquer avec l’équipe médicale et paramédicale, avoir un score RASS entre -2 et +2 et ne pas être confus.

Méthode

Une mesure de la P0.1 (mesure unique ou moyenne de plusieurs mesures) et une autoévaluation de la dyspnée et de l’anxiété (au moyen d’une échelle visuelle analogique graduée de 0 à 10) étaient réalisées le jour de l’inclusion. Les données démographiques, le mode de ventilation, la gazométrie artérielle, la durée de ventilation mécanique avant et après l’inclusion, la durée d’hospitalisation et la survie à J28, J60, J90 étaient par ailleurs recueillis.

Des analyses uni puis multivariées ont été réalisées pour rechercher les facteurs associés à une augmentation de la valeur de P0.1. L’association entre la valeur de P0.1 à l’inclusion et le pronostic (mortalité et durée restante de ventilation mécanique) a été étudiée par un modèle de régression de Cox.

Résultats essentiels

Deux-cent soixante patients ont été inclus après une médiane de 4 jours (1er et 3ème quartile, 2-9) de ventilation. La P0.1 à l’inclusion (c’est à dire dès que le patient était capable de communiquer) était de 1.9 cmH2O (1-3,5), avec 101 patients (39%) ayant une P0.1 « basse » (< 1,5 cmH2O), 97 patients (37%) ayant une P0.1 « normale » (entre 1,5 et 3,5 cmH2O) et 62 patients (24%) ayant une P0.1 élevée (> 3,5 cmH2O).

Les patients du groupe « P0.1 élevée » avaient plus fréquemment une maladie respiratoire chronique préexistante. La présence d’une dyspnée, l’augmentation de la fréquence respiratoire et la diminution de la PaO2 ont été identifiés comme étant associés de manière indépendante à une P0.1 élevée.

Au seuil « > 3,5 cmH2O », la P0.1 avait une sensibilité de 33% et une spécificité de 81% pour détecter la dyspnée (valeur prédictive positive de 0,5 et valeur prédictive négative de 0,68). La valeur de P0.1 n’était pas corrélée à l’intensité de la dyspnée.

La mortalité à J90 était plus élevée chez les patients ayant une P0.1 élevée que chez les autres patients (sans différence entre les groupes « P0.1 normale » et « P0.1 basse »). Une P0.1 élevée était identifiée comme un facteur indépendant associé à la mortalité à J90 et à la durée restante de ventilation mécanique (Hazard Ratio respectivement de 1,19 [intervalle de confiance à 95% 1,04-1,37] et 1,10 [95% IC 1,02-1,19] pour 1 cmH2O de variation de P0.1).

Commentaires

La dyspnée est une sensation subjective dont l’évaluation est difficile en réanimation, en particulier chez les patients dont l’état neurologique ne permet pas une auto-évaluation [1, 2]. Devant les limites des échelles d’hétéroévaluation développées, le monitorage de la P0.1 (facilement réalisé sur tous les ventilateurs modernes même si les valeurs mesurées dépendent du modèle), peut être une alternative pour son évaluation [3]. 

La P0.1 est un outil d’évaluation de la commande ventilatoire qui est elle-même influencée par des boucles de régulation réflexes intégrant les informations de mécanorécepteurs et de chémorécepteurs visant des objectifs de pH sanguin et de PaO2, mais aussi des informations psycho-cognitives du système limbique telles que la douleur et l’anxiété [4–6].

Cet article montre que P0.1 et dyspnée ne sont pas parfaitement corrélées mais qu’une P0.1 élevée est associée à la présence d’une dyspnée, ce qui peut alerter le clinicien et faciliter sa prise en charge.

Ce travail montre également qu’une P0.1 élevée est associée à une durée prolongée de ventilation mécanique et à une mortalité élevée, sans qu’il soit possible de déterminer à ce jour si une stratégie visant à diminuer ce paramètre pourrait permettre d’améliorer le devenir des patients.

Points forts
  • Étude analytique multicentrique
  • Étude d’un outil d’utilisation simple et accessible au lit du patient
  • Pertinence clinique des résultats
Points faibles
  • Analyse secondaire de cohorte avec données manquantes
  • Inclusion uniquement des patients pouvant communiquer (non représentatifs de l’ensemble des patients en cours de sevrage de la ventilation)
  • Absence de suivi de l’évolution de dyspnée et des mesures de P0.1 tout au long du sevrage  
Implications et conclusions

Des mesures P0.1 élevées chez les patients intubés en cours de récupération d’une insuffisance respiratoire aiguë sont associées à la présence d’une dyspnée.

De telles mesures sont par ailleurs associée à une mortalité élevée et à une durée de ventilation mécanique prolongée.


Références citées dans les commentaires

  1. Demoule A, Decavele M, Antonelli M, et al (2024) Dyspnoea in acutely ill mechanically ventilated adult patients: an ERS/ESICM statement. Intensive Care Med 50:159–180. https://doi.org/10.1007/s00134-023-07246-x
  2. Decavèle M, Gay F, Persichini R, et al (2018) The Mechanical Ventilation-Respiratory Distress Observation Scale as a surrogate of self-reported dyspnoea in intubated patients. Eur Respir J 52:1800598. https://doi.org/10.1183/13993003.00598-2018
  3. Beloncle F, Piquilloud L, Olivier P-Y, et al (2019) Accuracy of P0.1 measurements performed by ICU ventilators: a bench study. Ann Intensive Care 9:104. https://doi.org/10.1186/s13613-019-0576-x
  4. Nishino T, Shimoyama N, Ide T, Isono S (1999) Experimental Pain Augments Experimental Dyspnea, but Not Vice Versa in Human Volunteers. Anesthesiology 91:1633–1633. https://doi.org/10.1097/00000542-199912000-00014
  5. Nishino T (2011) Dyspnoea: underlying mechanisms and treatment. British Journal of Anaesthesia 106:463–474. https://doi.org/10.1093/bja/aer040
  6. Spinelli E, Mauri T, Beitler JR, et al (2020) Respiratory drive in the acute respiratory distress syndrome: pathophysiology, monitoring, and therapeutic interventions. Intensive Care Med 46:606–618. https://doi.org/10.1007/s00134-020-05942-6

 CONFLIT D'INTÉRÊTS

Article Commenté par le Pr Emmanuel Canet, service de Médecine Intensive Réanimation, CHU de Nantes, France

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