Le brossage des dents en réanimation : fingers in the nose ou parcours du combattant ?

04/04/2019
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reactu-prevalence and predictors
Texte

Prevalence and predictors of difficulty accessing the mouths of intubated critically ill adults to deliver oral care: An observational study
Craig M. Dale, Orla Smith, Lisa Burry, Louise Rose.
Int J Nurs Stud 2018 Apr;80:36-40. 

Texte

Question évaluée

Quels sont la prévalence et les facteurs prédictifs de difficulté de réalisation des soins de bouche des patients de réanimation ?

Type d’étude

Étude prospective observationnelle multicentrique

Population étudiée

Patients adultes de réanimation intubés depuis plus de 48 heures

  • Critère(s) d’inclusion: Patient de plus de 18 ans, intubé par la bouche depuis plus de 48 heures
  • Critère(s) d’exclusion : Patients curarisés ou en limitation des thérapeutiques actives
Méthode

Étude prospective observationnelle qui s’est déroulée sur 9 mois dans 4 unités de réanimation dans 3 CHU et 1 CH canadiens. Chaque réanimation suivait un même protocole de soins de bouche comprenant un brossage des dents toutes les 12h, l’hydratation buccale toutes les 4 heures, de la chlorhexidine 0.12% en prévention des pneumopathies 4 fois par jour et l’application d’une crème hydratante pour les lèvres après chaque soin. Le ratio d’infirmiers/-ères pour ces patients ventilés était de 1 IDE pour 1 patient ou 1 IDE pour 2 patients.

Tous les patients admis en réanimation pendant 1 semaine ont été étudiés pour vérifier leur éligibilité. Les caractéristiques relevées pour chaque patient étaient : âge, sexe, le type d’admission, le score SOFA. Les chercheurs ont observé chaque patient et ont questionné l’infirmier/-ère sur les difficultés d’accès à la bouche pour réaliser le soin de bouche le jour de l’inclusion.

La présence ou l’absence de difficulté a été classée selon 3 catégories :

  1. Difficulté à voir dans la bouche (les dents, la langue, les gencives, les lèvres, le palais)
  2. Difficulté pour obtenir la coopération du patient (patient qui n’ouvre pas la bouche, qui résiste)
  3. Difficulté à insérer les instruments pour le soin de bouche.

A également été enregistrée la présence de comportements pouvant contribuer à la difficulté :

  • Le patient qui ferme la bouche
  • Les mouvements de succion
  • Le patient qui mord
  • La toux ou bâillement
  • Le patient qui tourne la tête vers le côté ; qui essaie d’enlever la sonde intubation, qui tente de s’asseoir, donne des coups de pied, frappe ou tout autre comportement

Les infirmiers/-ères devaient évaluer le niveau de difficulté perçu sur une échelle de Likert de 0 à 10, 0 indiquant aucune difficulté et 10 une difficulté maximale.

La difficulté a été classée en 3 catégories : faible (0-3) ; modérée (4-6) et élevée (6 à 10).

Pour décrire la cohorte de patients et les caractéristiques des traitements, les écarts-types pour les variables continues et des fréquences et des pourcentages pour les variables catégorielles ont été utilisés. La prévalence de la difficulté de soins bucco-dentaires a été déterminée en divisant le nombre de patients jugés « difficiles » dans l’une des trois catégories de difficulté par le nombre total de patients.

L’examen de la littérature et la consultation d’experts ont permis d’identifier les neuf variables suivantes associées à des difficultés : âge, type d’admission (médical, chirurgie, traumatisme, neurologique), nombre de dispositifs oraux, présence de contraintes physiques, score SOFA,  score de Glasgow  (≥ 9 contre ≤ 8), agitation définie par un score de SAS entre 5-7, douleur définie par un score supérieur à 2 à l’échelle CPOT (Critical Care Pain Observation Tool) ou supérieure à 3 à l’échelle numérique d’auto-évaluation  et durée d’intubation.

Objectif principal

Déterminer la prévalence et les facteurs prédictifs de difficulté à réaliser les soins de bouche des patients intubés ventilés depuis plus de 48 heures.

Résultats essentiels

428 patients ont été observés dont 58% ont été admis avec un diagnostic médical. Plus de la moitié des patients (57%) avait plus de 2 dispositifs oraux et jusqu’au maximum de 4.  La difficulté à réaliser des soins de bouche a été identifiée chez 83% des patients et elle était modérée à élevée pour 217 (51%). Les difficultés concernaient la visibilité (74%), la coopération des patients (55%) et l’espace pour introduire des instruments (53%).

Les comportements des patients contributifs de la difficulté incluaient la toux/bâillement  (60%), la fermeture de bouche (49%), morsure (45%) et le patient qui tourne la tête ( 23%)  pendant les soins. Les variables associées à des difficultés extrêmes sont les désordres neurologiques ( 1,92 ; IC95% [1,42 – 2,60]) ou admission en traumatologie (1,83, 95% IC 1.16 – 2.89), le manque d’évaluation ou de traitement de la douleur dans les 4 h précédant les soins oraux (1,43 ; IC95% [1,14 – 1,80]), le nombre de dispositifs oraux (1,40 ; IC95% [1,05 – 1,87]) et la durée de l’intubation (1,05 ; IC95% [1.01 – 1.10]). L’absence d’agitation dans les 4 h précédant les soins oraux a été associée à moins de difficultés (0,68 ; IC95 [0,54 – 0,86]).

Points forts

Cette étude est multicentrique et le nombre de patient dépasse le nombre requis pour des résultats statistiquement fiables, ce qui permet de donner de la force aux observations.

Cette étude est dans la ligne droite des travaux de Jordi Rello dans 7 pays européens qui a montré que 93% des infirmiers/-ères expriment le besoin d’en savoir plus sur les soins de bouche et que dans 68% des cas le soin de bouche est exprimé comme difficile (1).

Cette étude permet donc de trouver les facteurs prédictifs de ces difficultés, en donnant des pistes d’amélioration aux équipes, comme évaluer et traiter la douleur avant les soins par exemple.

Points faibles

ll aurait été pertinent d’enregistrer les thérapeutiques sédatives utilisées pour les patients, d’autant que les résultats montrent que l’extrême difficulté est corrélée à une non coopération des patients.

Il manque également à cette étude le descriptif du matériel utilisé aussi bien pour les soins de bouche (taille de la brosse à dent, bâtonnets mousse ou compresses) ainsi que la description des dispositifs de maintien de sonde (cale dents, canule de Guedel, système de fixation de sonde) l’étude de ces variables aurait pu donner des recommandations de pratique si une différence était notable.

D’autre part aucune donnée n’a été recueillie sur l’expérience des IDE en réanimation, or on sait qu’elle entraîne des modifications de pratique; en effet une IDE experte saura peut-être trouver le bon moment pour le soin et la bonne pratique.

Implications et conclusions

L’extrême difficulté à réaliser des soins de bouche a été associée à un diagnostic neurologique ou traumatique, à l’absence d’évaluation et de traitement de la douleur, à une durée d’intubation plus longue. Les résultats soulignent d’une part l’importance de l’évaluation du niveau de conscience de routine et de la gestion de la douleur pour faciliter les soins à ces patients y compris les soins de la sphère ORL. D’autre part, les recherches antérieures  qui identifient les soins infirmiers sur des patients non coopératifs comme l’un des obstacles les plus cités (2) confirment les difficultés à réaliser les soins de bouche chez les patients ventilés.

Les recommandations internationales depuis 2013 reprises en 2018 s’accordent sur la plus-value de l’allègement de la sédation en réanimation qui permet de diminuer les risques liés à la ventilation mais implique potentiellement des patients plus éveillés avec des risques d’agitation ou d’inconfort.

Cette évolution de la prise en soins des patients intubés ventilés est donc un élément à prendre en compte pour les équipes médico-paramédicales afin de trouver des stratégies permettant l’observance des protocoles de soins de bouche permettant de limiter les pneumopathies et de garantir le confort des patients notamment dans les réanimations neurochirurgicales, et traumatologiques.

Enfin le ratio nombre de patient /ide ne joue pas un impact majeur dans les résultats contrairement à nos représentations. Ce résultat nous amène à réfléchir non pas en termes de ressources humaines mais bien en organisation et gestion de la qualité des soins. C’est-à-dire de réfléchir à des collaborations médico-soignantes permettant d’élever le niveau de connaissance de l’identification des facteurs de risque de prévention des pneumopathies et de la littérature scientifique en lien avec des pratiques de soins courantes par les équipes paramédicales afin de proposer la co-construction de protocoles Médecins/ paramédicaux de prévention des pneumopathies acquises sous ventilation mécanique. Ce sujet du soin de bouche et du brossage des dents mérite vraisemblablement d’autres recherches pour trouver le ou les protocoles les plus performants.

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Conflit d'intérêts

Article commenté par Cécile Bordenave, cadre de santé IADE .

Cécile Bordenave  déclare ne pas avoir de liens d’intérêt.
Le contenu des fiches REACTU traduit la position de leurs auteurs, mais n’engage ni la CERC ni la SRLF.

Envoyez vos commentaires/réactions à l’auteur (c.bordenave@mspb.com) ou à la CERC.

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Liens utiles

  1. Rello J, Koulenti D, Blot S, Sierra R, Diaz E, De Waele J, Macor A, Agbaht K, Rodriguez A. Oral care practices in intensive care units : a survey of 59 European ICUS. Intensive Care Med 2007 ; vol.33, p. 1066-1070.
  2. Chan, E., Hui-Ling Ng, I., 2012. Oral care practices among critical care nurses in Singapore: a questionnaire survey. Appl. Nurs. Res. 25 (3), 197–204
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CERC

JB. LASCARROU (Secrétaire)
SD. BARBAR
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L. POIROUX