Le cathéter artériel radial dysfonctionne : c’est le plus souvent l’artère qui est thrombosée, pas le cathéter !

14/02/2019
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Impact of intravascular thrombosis on failure of radial arterial catheters in critically ill patients: a nested case-control study.
Fleury Y, Arroyo D, Couchepin C, Robert-Ebadi H, Righini M, Lobrinus J, Ricou B, Delieuvin Schmitt N, Gayet-Ageron A.
Intensive Care Med. 2018 May;44(5):553-563

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Question évaluée

Lors du dysfonctionnement du cathéter artériel radial en réanimation, quelle est l’incidence respective de la thrombose du cathéter et de la thrombose artérielle ?

Type d’étude

Etude monocentrique, prospective, observationnelle, cas-témoin, sans appariement.

Population étudiée

Adultes hospitalisés dans un service de réanimation polyvalente  (Genève), porteurs d’un cathéter artériel radial.

Méthode

Un cathéter était dysfonctionnant s’il présentait au moins l’un des signes suivants :

  • Aplatissement ou amortissement du signal de pression artérielle.
  • Reflux sanguin trop lent dans la tubulure, à l’ouverture du robinet vers la pression atmosphérique.
  • Impossibilité de prélever du sang.
  • Impossibilité de purger le cathéter.

A coté de ce groupe « cas de dysfonctionnement de cathéter », le groupe témoin était constitué de patients dont le cathéter est resté fonctionnel jusqu’à son retrait, son changement pour un autre site (sans dysfonctionnement décelé), une décision d’arrêt des traitements curatifs ou jusqu’au 28e jour de maintien de ce cathéter. L’un des évènements ci-dessus permettait d’établir le moment où une échographie de l’artère radiale aurait lieu. Au décours de leur retrait, les cathéters dysfonctionnant ont également fait l’objet d’une microscopie par un histologiste.

Résultats essentiels

Le dysfonctionnement de cathéter est survenu chez 50 patients (25% des patients inclus) soit un taux d’incidence de 87/1000 jours-cathéter (IC95% 66-115). Ainsi, un cathéter dysfonctionnait tous les 11,5 jours-cathéter. Le groupe témoin comprenait 139 patients.

L’échographie a révélé un thrombus intra-artériel en amont du cathéter (c’est-à-dire en face de son extrémité) chez 42 des 50 cas de dysfonctionnement (84%) et seulement chez 24 témoins (17%).

Il existait une forte association entre la visualisation échographique d’un thrombus artériel et la survenue d’un dysfonctionnement de cathéter (Odds Ratio [OR] 36 [IC95% 13-104]). Le risque de dysfonctionnement était plus important chez la femme (OR 3.5 [IC95% 1.3-9.0], possiblement en raison d’une lumière artérielle plus étroite et plus profonde que celle de l’homme) et ce risque était proportionnel au nombre de prélèvements sanguins via le cathéter (OR 1.2 [IC95% 1.04-1.4]). La thrombopénie était un facteur protecteur (OR 0.3 [IC95% 0.10-0.78]) mais, de façon surprenante, pas le fait d’avoir reçu un anticoagulant « à dose curative » ou un anti-agrégant plaquettaire.

En échographie, la thrombose artérielle obstruait complètement la lumière artérielle dans 29% des cas.

En microscopie, la lumière du cathéter était totalement libre dans 75% des cas de dysfonctionnement et n’était que rarement obstruée par du sang stagnant (6%) ou par des dépôts de fibrine/agrégats plaquettaires (16%). Aucun cathéter n’était occlus.

Commentaires

La mesure de la pression artérielle (PA) via un cathéter artériel fait souvent partie du monitorage basique en réanimation [1]. L’artère radiale est le site privilégié [2]. Le cathéter facilite également les prélèvements de sang artériel. La perméabilité du cathéter est donc fondamentale à son bon fonctionnement. L’adjonction d’héparine à la solution de purge a souvent été proposée pour limiter la thrombose mais l’efficacité de cette démarche est incertaine, d’autant que la qualité des études dédiées est insuffisante [3]. Dans l’étude commentée ici, la solution de purge du cathéter (NaCl 0.9%) ne comprenait pas d’héparine. Il est notable que le fait d’avoir reçu un anticoagulant « à dose curative » ou un anti-agrégant plaquettaire ne protégeait pas contre la thrombose, mais ce résultat est à interpréter avec précaution car la durée d’anticoagulation/d’antiagrégation ne couvrait pas forcément toute la durée de vie du cathéter.

Points forts
  • Echographie de l’artère radiale interprétée « en aveugle » par 2 observateurs indépendants.
  • Analyse microscopique des cathéters par un histopathologiste.
  • Nombreuses figures particulièrement didactiques pour apprendre à détecter la thrombose artérielle (captures d’écran de l’échographe, vidéos dans le supplément en ligne).
Points faibles
  • Absence d’appariement des cas avec des témoins.
  • Effectif limité empêchant une analyse fiable de sous-groupes.
Implications et conclusions

La plupart des cathéters artériels dysfonctionnant ne présentent pas d’occlusion intra-luminale mais souffrent d’une thrombose intra-artérielle en face de l’extrémité du cathéter. Cela encourage le retrait précoce d’un cathéter qui dysfonctionne avant que la thrombose ne s’étende. Cela décourage la pose d’un nouveau cathéter au même site, car il serait également exposé au dysfonctionnement.

Parmi les causes de dysfonctionnement, on connait tous le fameux « cathéter positionnel », c’est-à-dire le dysfonctionnement résolu par extension du poignet et/ou traction du cathéter (22% des cas de dysfonctionnement). Sur les 11 « cathéters positionnels », l’artère radiale était thrombosée dans 8 cas. Ainsi, même si son fonctionnement a été rétabli, un « cathéter positionnel » devrait aussi motiver le retrait du cathéter avant l’extension de la thrombose.

Enfin, limiter la répétition des prélèvements sanguins via le cathéter ne limiterait pas seulement le risque infectieux (par manipulations excessives) mais également, selon ce travail, le risque de thrombose artérielle en regard du cathéter.

Il serait intéressant de savoir si ces résultats sont transposables aux cathéters artériels fémoraux, le diamètre de l’artère étant proportionnellement plus grand par rapport au cathéter, la fréquence de la thrombose artérielle pourrait être moindre.

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Conflit d'intérêts

Article commenté par le Dr. Karim LAKHAL, Réanimation Chirurgicale Polyvalente, Hôpital Laënnec, CHU de Nantes, France.

Karim LAKHAL déclare ne pas avoir de liens d’intérêt.
Le contenu des fiches REACTU traduit la position de leurs auteurs, mais n’engage ni la CERC ni la SRLF.

Envoyez vos commentaires/réactions à l’auteur (lakhal_karim@yahoo.fr) ou à la CERC.

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Liens utiles

  1. Variation of arterial and central venous catheter use in United States intensive care units.
  2. Gershengorn HB, Garland A, Kramer A, Scales DC, Rubenfeld G, Wunsch H.
  3. Anesthesiology. 2014 Mar;120(3):650-64
  4. Clinical review: complications and risk factors of peripheral arterial catheters used for haemodynamic monitoring in anaesthesia and intensive care medicine.
  5. Scheer B1, Perel A, Pfeiffer UJ.
  6. Crit Care. 2002 Jun;6(3):199-204
  7. Heparin versus normal saline for patency of arterial lines.
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  9. Cochrane Database Syst Rev. 2014 May 13;(5):CD007364
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