Croire ou savoir ? De la réduction de l’usage des antibiotiques en cas de suspicion de PAVM

05/11/2020
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Article Lancet
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Biomarker-guided antibiotic stewardship in suspected ventilator-associated pneumonia (VAPrapid-2): a randomised controlled trial and process evaluation
Hellyer TP, McAuley DF, Walsh TS, et al.
Lancet Respir Med 2019

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Question évaluée

La mesure combinée d’IL-1ß et d’IL-8 dans le liquide de lavage broncho-alvéolaire permet-elle d’améliorer l’utilisation des antibiotiques chez les patients suspects de PAVM ?

Type d’étude

Essai multicentrique, randomisé, contrôlé

Population étudiée

Adultes hospitalisés dans l’un des 24 centres participants en Angleterre, Ecosse et Irlande du Nord de Novembre 2013 à Septembre 2016. Les patients étaient incluables s’ils étaient sous ventilation mécanique > 48h, étaient suspects de PAVM (critères classiques) sans argument pour une infection extra-pulmonaire nécessitant une antibiothérapie. Un risque de mauvaise tolérance au LBA (hypoxie sévère, hypotension…) constituait un critère d’exclusion.

Méthode
  • Préalablement au démarrage de l’essai, les cliniciens étaient sensibilisés aux performances diagnostiques des biomarqueurs étudiés (1) et les techniciens entraînés.
  • Les concentrations alvéolaires d’IL-1ß et d’IL-8 étaient déterminées par cytométrie de flux dans 5 laboratoires centralisés. Les patients étaient randomisés 1:1 par le technicien réalisant cette analyse en 2 groupes :
    • Groupe « contrôle » sans communication des résultats au clinicien et traitement antibiotique standard
    • Groupe « biomarqueurs » avec communication binaire du résultat : valeur élevée « une PAVM ne peut pas être exclue, envisager la poursuite de l’antibiothérapie » ; valeur faible « la valeur prédictive négative est 1 et une PAVM est très peu probable. Envisager l’arrêt des antibiotiques ».
    • En cas de problème technique, le patient était traité de manière habituelle.
    • Dans tous les cas, la décision de poursuivre ou non l’antibiothérapie restait du ressort du clinicien.
  • La PAVM était confirmée en cas de présence >10germes/mL de LBA
  • Le critère de jugement principal était le nombre de jours sans antibiotique à J7 post LBA. 90 patients par groupe étaient nécessaires pour mettre en évidence une différence médiane de 1,5 jours avec un risque alpha à 0,05 et une puissance de 80%.
  • Les critères de jugement secondaires étaient :
    • Nombre de jours sans antibiotique à J14 et J28
    • Nombre de jours avec antibiotique à J7, 14, et 28
    • Nombre de jours sans ventilation mécanique à J28
    • Mortalité à J28 et en Réanimation
    • SOFA à J3, 7, et 14
    • Durée de séjour en Réanimation et à l’hôpital
    • Infection à C.difficile ou SARM jusqu’à la sortie d’hôpital, décès, ou J56
  • Parallèlement, une évaluation de l’adhésion au protocole était réalisée avant, au milieu (au bout d’un an), et à la fin de l’étude.
Résultats essentiels
  • 106 et 104 patients étaient inclus respectivement dans le groupe contrôle et le groupe biomarqueur.
  • 80% des patients recevaient des antibiotiques avant leur randomisation.
  • La PAVM était confirmée dans 30 et 37% des cas, principalement à S.aureus et H.influenzae.
  • Parmi les patients du groupe biomarqueur, un problème technique de dosage survenait chez 22 (21%). Le résultat était obtenu en moyenne 8h après la réalisation du LBA. Le ratio de probabilité négative était de 0,09 (0,01-0,68).
  • Le dosage était élevé dans 64/81 cas, incitant ainsi le clinicien à poursuivre l’antibiothérapie, et faible dans 17/81 cas (dont 1 faux négatif). Les antibiotiques n’étaient stoppés que pour 4 de ces 17 patients. La raison invoquée par les équipes de recherche pour le maintien des antibiotiques chez les 13 autres était la conviction par le clinicien d’avoir affaire à une PAVM malgré le résultat négatif des biomarqueurs.
  • Il n’existait aucune différence sur le critère de jugement principal (que ce soit en intention de traiter ou en per-protocole), avec une médiane du nombre de jours d’antibiotiques à J7 égale à 6.
  • Aucune différence n’était notée pour les critères de jugement secondaires.
  • Enfin, 3 facteurs impactant négativement le recrutement des patients étaient relevés : i) l’absence d’habitude de réaliser un LBA pour le diagnostic de PAVM, ii) l’absence d’une culture de service de désescalade de l’antibiothérapie, iii) le peu d’appétence affichée pour la recherche clinique
Commentaires

La maîtrise de la consommation d’antibiotiques est cruciale, particulièrement en Réanimation où jusqu’à 70% de nos patients y sont exposés (2).

La PAVM étant la complication infectieuse la plus fréquente chez les patients ventilés, il est surprenant que peu d’études se soient focalisées sur le développement d’outils permettant l’exclusion précoce de ce diagnostic et donc de l’antibiothérapie dédiée. La procalcitonine a été évaluée dans ce contexte mais sans succès (3).

Dans un travail monocentrique publié en 2005, Hellyer avait montré une excellente valeur prédictive négative du dosage combiné d’IL-1ß et d’IL-8 dans le liquide de lavage broncho-alvéolaire pour infirmer le diagnostic de PAVM (1).

C’est ce nouvel outil qui a donc été évalué ici, sans succès, et cette étude appelle plusieurs commentaires :

Le premier est la très faible vitesse de recrutement : en moyenne, chacun des centres a recruté 3 patients par…an, ce qui, au vu du nombre de suspicions de PAVM dans nos services est famélique ! A ce titre, les auteurs ont analysé les freins à l’inclusion des patients et l’absence d’un ‘champion de la recherche clinique’ au sein du service en est un des principaux.

Le second constat est qu’intrinsèquement la mesure d’IL-1ß et d’IL-8 n’est pas performante :

  • Difficulté technique : malgré la réalisation dans des laboratoires préalablement entraînés, le résultat est non interprétable (ou non obtenu) dans 21% des cas
  • Manque de spécificité : le test est positif dans 79% des cas (alors qu’une PAVM n’est confirmée que dans 37% des cas)
  • Sensibilité incertaine : certes le ratio de probabilité négative est de 0,09, mais avec un trop large intervalle de confiance (0,01-0,68)

Mais ce qui frappe surtout dans ce travail c’est la très faible adhérence des cliniciens aux recommandations d’interruption de l’antibiothérapie lorsque le test était négatif : seuls 4 patients sur 17 (23%) ont vu leur traitement stoppé, la raison principale étant que le clinicien restait convaincu de la présence d’une PAVM. Plusieurs facteurs de non-adhésion étaient relevés par les auteurs : doute du bien-fondé du LBA pour diagnostiquer une PAVM, absence d’une politique établie de désescalade…Il existe bien sûr beaucoup d’autres facteurs possibles tels que l’absence d’un staff quotidien ou d’un dialogue régulier avec les infectiologues, mais je crains que l’irrationalité et le solipsisme dont nous faisons souvent preuve ne constituent les causes principales : la vérité n’est pas dans ce que l’on me montre mais dans ce en quoi je crois.

Points forts
  • Question importante
  • Essai multicentrique, randomisé, contrôlé
  • Entraînement préalable des centres et des techniciens en charges des dosages
  • Dosages centralisés par des laboratoires ‘experts’
  • Évaluation des processus d’adhésion au protocole de recherche
Points faibles
  • Effectif faible
  • Nombreux échecs techniques
  • Non-respect des recommandations d’interruption de l’antibiothérapie en cas de dosages négatifs, rendant impossible l’évaluation de la pertinence de ce test
Implications et conclusions

Bien sûr, les biomarqueurs étudiés ici ne sont probablement pas la panacée, mais une aussi faible adhésion à un protocole de désescalade de la part de cliniciens préalablement sensibilisés dans le cadre d’un essai clinique laisse perplexe quant à notre capacité de changement dans la « vraie vie ».

La surconsommation d’antibiotiques en réanimation est un peu comme le changement climatique : nous sommes tous convaincus du problème, mais peu agissent.

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LIENS UTILES

  1. Diagnostic accuracy of pulmonary host inflammatory mediators in the exclusion of ventilator-acquired pneumonia
    Hellyer TP, Morris AC, McAuley DF, et al.
    Thorax 2015; 70: 41–47
  2. International study of the prevalence and outcomes of infection in intensive care units
    Vincent JL, Rello J, Marshall J, et al.
    JAMA 2009; 302: 2323–29
  3. Microbiological data, but not procalcitonin improve the accuracy of the clinical pulmonary infection score
    Jung B, Embriaco N, Roux F, et al.
    Intensive Care Med 2010; 36: 790–98
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CONFLIT D'INTÉRÊTS

Article commenté par Sébastien Gibot, Réanimation MédicaleCHU de NancyFrance.

L’auteur déclare ne pas avoir de liens d’intérêt en rapport avec cette REACTU.

Le contenu des fiches REACTU traduit la position de leurs auteurs, mais n’engage ni la CERC ni la SRLF.
Envoyez vos commentaires/réactions aux auteurs (S.gibot@chru-nancy.fr) ou à la CERC.

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CERC

JB. LASCARROU (Secrétaire)
K. BACHOUMAS
SD. BARBAR
G. DECORMEILLE
N. HEMING
B. HERMANN
G. JACQ
T. KAMEL
JF. LLITJOS
L. OUANES-BESBES
G. PITON
L. POIROUX