Faut-il interrompre la nutrition entérale avant extubation : enfin une réponse !

01/12/2023
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Texte

Landais M, Nay MA, Auchabie J et al.
Continued enteral nutrition until extubation compared with fasting before extubation in patients in the intensive care unit: an open-label, cluster-randomised, parallel-group, non-inferiority trial.
Lancet Respir Med 2023;11:319-328

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Question évaluée

L’interruption de la nutrition entérale (NE) pré-extubation diminue-t-elle le risque de réintubation ?

Type d’étude
  • Prospective, randomisée par service, contrôlée, interventionnelle, réalisée en ouvert,
  • Destinée à vérifier la non-infériorité de la poursuite de la NE jusqu’à extubation.
Population étudiée

Patients intubés depuis au moins 48 heures, sous NE en site gastrique, prêts à être extubés.

Méthode

Randomisation des services participants en deux groupes :

  • Poursuite de la NE jusqu’à l’extubation
  • Ou interruption de la NE 6 heures avant extubation et aspiration du contenu gastrique. 

Les patients étaient jugés prêts à être extubés par le médecin présent.

Résultats essentiels
  • Au total, 1130 patients ont été inclus en intention de traiter.
  • L’interruption de la NE pré-extubation (n=513) n’a pas augmenté le risque de réintubation par rapport au groupe « poursuite NE » (n=617). En effet, dans la population en intention de traiter, 106 (17,2%) patients du groupe « poursuite NE » et 90 (17,5%) du groupe « arrêt NE » avaient un échec d’extubation dans les 7 jours suivant l’extubation (–0,4% ; IC95% –5,2 - 4,5).
  • De plus, le délai entre test de ventilation spontanée / extubation et sortie de réanimation était raccourci dans le groupe « poursuite NE » ; hazard ratio à 1,39 (IC95%1,13-1,71).
Commentaires

L’étude « AMBROISIE » est un essai pragmatique, réalisé dans 22 services de réanimation sur un collectif de 1130 patients (intention de traiter) dont 1008 ont été gérés selon le protocole prévu. Le rationnel de l’étude est clairement exposé, et repose sur une divergence importante de pratiques notée dans plusieurs enquêtes (1, 2), vraisemblablement expliquée par la crainte d’aspiration du contenu gastrique et de pneumonie d’inhalation en cas d’estomac plein au moment de l’extubation. L’interruption de la NE est fréquente, mais l’impact de cette pratique n’a pas été évalué à large échelle (3). Parmi les complications potentielles de l’interruption de la NE, sont cités une limitation des apports nutritionnels, et l’incidence d’hypoglycémies (4). Les deux stratégies testées (poursuite et interruption de la NE) présentent donc théoriquement des avantages et des inconvénients. Le message pratique (non-infériorité de la poursuite) est clair, et pourrait avoir une portée médico-légale puisqu’un échec d’extubation ne peut plus être imputé à la poursuite de la NE jusqu’à extubation.

Points forts
  • Analyse de pratiques quotidiennes de la « vraie vie » en cluster
  • Incidence d’évènements (échecs d’extubation) conforme au calcul de puissance
  • Durée de ventilation longue (médiane de 8 jours, impliquant un risque élevé d’échec d’extubation)
  • Variables fonctionnelles (ventilatoires et nutritionnelles) multiples et similaires entre les groupes 
Points faibles
  • Absence de données sur les habitudes préalables des centres participants et sur le staffing infirmier / kiné au moment de l’extubation
  • Absence de cross-over
  • Absence de standardisation des tests de ventilation spontanée et de gestion ventilatoire post-extubation
  • Absence d’évaluation de la déglutition post-extubation
  • Seulement 60% des patients (4198/7056) évalués pour éligibilité (exhaustivité ?)
  • Prédominance nette des admissions pour raisons médicales
  • Incidence particulièrement faible de pneumonie nosocomiale
  • Corticothérapie plus fréquente dans le groupe « interruption »

 

Implications et conclusions


Cette étude confirme l’inutilité d’interrompre la NE avant extubation chez les patients sous ventilation mécanique invasive prolongée.

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CONFLIT D'INTÉRÊTS

Article commenté par Jean-Charles Preiser, Hôpital Erasme, Hôpital Universitaire de Bruxelles, Belgique.

L'auteur ne déclare pas de conflit d'intérêt en lien avec cet article.

Le contenu des fiches REACTU traduit la position de leurs auteurs, mais n’engage ni la CERC ni la SRLF.

Envoyez vos commentaires/réactions à l'auteur (jean-charles.preiser@hubruxelles.be) et à la CERC.

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CERC

G. LABRO (Secrétaire)
S. BOURCIER
A. BRUYNEEL
C. DUPUIS
S. GENDREAU
S. GOURSAUD
G. FOSSAT
N. HIMER
T. KAMEL
O. LESIEUR
A. ROUZÉ
V. ZINZONI

 

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RÉFÉRENCES

  • Schneider JA, Lee YJ, Grubb WR, Denny J, Hunter C. Institutional practices of withholding enteral feeding from intubated patients. Crit Care Med. 2009;37:2299-302.
  • Segaran E, Lovejoy TD, Proctor C, Bispham WL, Jordan R, Jenkins B, O'Neill E, Harkess SE, Terblanche M. Exploring fasting practices for critical care patients - A web-based survey of UK intensive care units. J Intensive Care Soc. 2018;19:188-195
  • Landais M, Nay MA, Auchabie J, Hubert N, Rebion A, Robert A, Giraudeau B, Reignier J, Thille AW, Tavernier E, Ehrmann S. Continuous enteral nutrition compared with a maximal gastric vacuity strategy at the time of extubation in the intensive care unit: protocol for a non-inferiority cluster randomised trial (the Ambroisie Project). BMJ Open. 2021;11(5):e041799.
  • Segaran E, Barker I, Hartle A. Optimising enteral nutrition in critically ill patients by reducing fasting times. J Intensive Care Soc. 2016;17:38-43.