Faut-il mettre en décubitus ventral toutes les personnes en insuffisance respiratoire aiguë hypoxémiante ?

10/03/2022
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Article Lancet
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Awake prone positioning for COVID-19 acute hypoxaemic respiratory failure: a randomised, controlled, multinational, open-label meta-trial
Stephan Ehrmann, Jie Li, Miguel Ibarra-Estrada, Yonatan Perez, Ivan Pavlov, Bairbre McNicholas, Oriol Roca, Sara Mirza, David Vines, Roxana Garcia-Salcido, Guadalupe Aguirre-Avalos, Matthew W Trump, Mai-Anh Nay, Jean Dellamonica, Saad Nseir, Idrees Mogri, David Cosgrave, Dev Jayaraman, Joan R Masclans, John G Laffey, Elsa Tavernier, for the Awake Prone Positioning Meta-Trial Group
Lancet Respiratory Medicine August 20, 2021

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Question évaluée

Le décubitus ventral réduit-il le risque d’intubation et/ou de mortalité chez des sujets avec insuffisance respiratoire aiguë (IRA) hypoxémiante liée au COVID-19 et non intubés ?

Type d’étude

Multicentrique, prospective, randomisée, contrôlée, en simple aveugle, internationale, selon une méthode de « méta-essai »

Population étudiée

Les critères d’inclusion étaient :

  1. Sujets adultes,
  2. atteints ou suspects de COVID-19,
  3. ayant une insuffisance respiratoire aiguë hypoxémiante définie par un besoin d’oxygène à haut débit par canules nasales et un rapport SpO2/FIO2≤315 (équivalent à un rapport PaO2/FIO2≤300mmHg).

Les critères de non-inclusion étaient :

  1. incapacité ou refus de fournir un consentement,
  2. instabilité hémodynamique,
  3. indice de masse corporelle>40 kg/m²,
  4. femmes enceintes,
  5. contre-indication au DV.
Méthode

Il s’agit d’une étude qui a regroupé 6 essais randomisés contrôlés comparant un groupe expérimental (le DV) à un groupe de contrôle (décubitus dorsal) et conduits indépendamment dans 6 pays différents : Canada, Espagne, Etats-Unis, France, Irlande et Mexique. Les patients du groupe DV étaient mis sur le ventre le plus longtemps possible en fonction de leur tolérance, avec l’aide de l’équipe soignante. Le DV était stoppé en cas de sevrage de l’oxygène à haut débit, d’intubation ou de décès. Dans chaque groupe l’administration d’oxygène à haut débit était basée sur un débit maximal possible et une FIO2 ajustée pour un objectif de SpO2 entre 90 et 95%.

Le critère de jugement principal est l’échec thérapeutique défini par intubation ou décès.

Résultats essentiels

Dans le groupe DV et dans le groupe DD, 564 et 557 patients ont été analysés en intention de traiter. Le DV réduit significativement le risque d’échec thérapeutique avec un risque relatif (RR) de 0,78 (Intervalle de confiance à 95% (IC95) = 0,65 à 0,93). Ce résultat est essentiellement le fait de la réduction du risque d’intubation (RR=0,75 (IC95=0,62–0,91) car le RR pour la mortalité n’est pas significatif (0,87 (0,68–1,11)).

Par ailleurs, le DV est associé à un sevrage plus rapide de l’oxygène à haut débit. Dans le groupe DV, le rapport SpO2/FIO2 est significativement amélioré comme l’index ROX.

Commentaires

Le DV avait été montré capable de réduire la mortalité chez des sujets intubés avec syndrome de détresse respiratoire aiguë (SDRA) modéré à sévère1. Les experts de la SRLF avaient eu un accord fort pour le recommander dans cette indication (PaO2/FIO2<150 mmHg)2. Les études de pratique avant la pandémie de COVID indiquaient une faible utilisation du DV3. Avec la pandémie à COVID-19, la pratique du DV s’est développée de façon considérable, des fréquences d’utilisation de 70% étant rapportées4-6. Avant même la pandémie à COVID-19 la proposition d’utiliser le DV chez des sujets non intubés avait été mise en avant et des projets d’essais randomisés profilés. Avec l’irruption de la pandémie ces essais portant chez des sujets non-COVID n’ont pu se mettre en place mais la pratique du DV avant intubation a connu un considérable engouement et a fait l’objet de très nombreuses publications d’études interventionelles7.

L’étude d’Ehrmann et al. est ainsi le premier essai randomisé contrôlé testant le DV chez des sujets avec COVID-19 non intubés.

L’étude confirme également la faisabilité du DV vigile chez des sujets non intubés et ouvre la question du DV sans sédation ou avec sédation légère chez des sujets intubés, ce qui est un autre domaine d’investigation.

Enfin, l’étude pose la question du rationnel. Autant chez le sujet intubé le rationnel physiologique à l’effet bénéfique est admis (amélioration d’oxygénation, réduction du stress pulmonaire et homogénéisation de celui-ci, amélioration/stabilisation hémodynamique), autant pour le DV vigile, les bases rationnelles par lesquelles un effet bénéfique peut être attendu sont moins caractérisées.

Points forts

C’est le premier essai de DV vigile. Le résultat montre une réduction significative du taux d’intubation. La méthodologie employée est nouvelle et originale. L’étude est prospective, contrôlée, internationale, multicentrique, ces deux dernières propriétés offrant aux résultats une certaine généralisation, à confirmer. La méthodologie a permis d’inclure un grand nombre de patients et ainsi d’avoir la puissance statistique. En outre les deux groupes sont comparables avant randomisation.

Les malades ont été inclus majoritairement en réanimation mais également en amont, ce qui est important en termes de généralisation des résultats.

Points faibles

Les résultats sont spécifiques au COVID-19 et doivent être confirmés en dehors de cette maladie.

La méthodologie employée est nouvelle. Il ne s’agit pas d’un essai randomisé contrôlé multicentrique international classique. Les essais ont été conçus indépendamment, n’ont pas forcément débuté en même temps. L’originalité a été la coordination secondaire de ces essais. C’est donc une approche pragmatiquement très intéressante mais qui du même coup pose d’autres problèmes : quels sont les essais qui sont allés à leur terme ? Quels sont ceux qui ont été stoppés avant la fin du fait de l’étude collaborative ? Quels auraient été les résultats si les essais interrompus étaient allés à leur terme ? La méthodologie a toutefois employée des bornes d’interruption de telle sorte que, certes les études ne sont pas allées à leur terme, mais selon une certaine rationalité. Il reste que cette planification n’était prévue à l’avance dans tous les essais. Mais l’approche est transparente car on peut consulter sur le site clinical.trial.gov chacun des 6 protocoles et constater qu’en effet les critères d’inclusion et les critères de jugement principaux n’étaient pas strictement les mêmes selon les centres.

Bien que la majorité (60%) des malades ait été incluse en réanimation, 40% l’ont été en dehors. De ce fait des essais spécifiques en dehors de la réanimation sont nécessaires.

Différentes méthodes de randomisation ont été employées selon les études.

Le critère principal est influencé positivement de façon significative par le DV mais essentiellement du fait de la réduction de l’intubation. Ce critère est certes très important mais soumis à un biais d’évaluation car la décision d’intubation peut avoir été biaisée dans la mesure où le clinicien n’était évidemment pas aveuglé du groupe thérapeutique.

Il y avait un taux de cross-over de 11% (malades du groupe décubitus dorsal ayant été placés en DV).

Implications et conclusions

Des études complémentaires sont nécessaires chez les sujets non COVID, d’une part car le COVID-19 est une maladie spécifique avec des caractéristiques physiopathologiques différentes de celles du SDRA tout venant et d’autre part car la pratique intensive du DV qu’a connue la période pandémique pourrait changer une fois la pandémie terminée : retrouvera-t-on chez les sujets intubés avec SDRA des fréquences d’utilisation du DV du niveau de celles d’avant la pandémie ou l’engouement va-t-il perdurer? De plus, va bientôt débuter une période intermédiaire dans laquelle coexisteront des IRA hypoxémiantes tout venant (avec ou sans SDRA) et liées au COVID (avec ou sans SDRA). Enfin, il n’est pas impossible que la définition du SDRA change et que les sujets avec IRA hypoxémiante non intubés recevant de l’oxygène à haut débit soit inclus dans la définition actuelle du SDRA.

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CONFLIT D'INTÉRÊTS

Article commenté par Claude Guérin, Réanimation médicale, CHRU de Lyon, Hôpital Edouard Herriot, Lyon, France.

L'auteur déclare n'avoir aucun lien d'intérêt.

Le contenu des fiches REACTU traduit la position de leurs auteurs, mais n’engage ni la CERC ni la SRLF.

Envoyez vos commentaires/réactions à l'auteur (claude.guerin@chu-lyon.fr) à la CERC.

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Références

  1. Prone positioning in severe acute respiratory distress syndrome.
    Guérin C, Reignier J, Richard J-C, et al.
    The New England journal of medicine 2013; 368(23): 2159-68.
  2. Formal guidelines: management of acute respiratory distress syndrome.
    Papazian L, Aubron C, Brochard L, et al.
    Ann Intensive Care 2019; 9(1): 69.
  3. A prospective international observational prevalence study on prone positioning of ARDS patients: the APRONET (ARDS Prone Position Network) study.
    Guerin C, Beuret P, Constantin JM, et al.
    Intensive Care Med 2018; 44(1): 22-37.
  4. Clinical features, ventilatory management, and outcome of ARDS caused by COVID-19 are similar to other causes of ARDS.
    Ferrando C, Suarez-Sipmann F, Mellado-Artigas R, et al.
    Intensive Care Med 2020; 46(12): 2200-11.
  5. Clinical characteristics and day-90 outcomes of 4244 critically ill adults with COVID-19: a prospective cohort study.
    Covid-ICU Group.
    Intensive Care Med 2021; 47(1): 60-73.
  6. Prone position in intubated, mechanically ventilated patients with COVID-19: a multi-centric study of more than 1000 patients.
    Langer T, Brioni M, Guzzardella A, et al.
    Crit Care 2021; 25(1): 128.
  7. Feasibility and physiological effects of prone positioning in non-intubated patients with acute respiratory failure due to COVID-19 (PRON-COVID): a prospective cohort study.
    Coppo A, Bellani G, Winterton D, et al.
    The lancet Respiratory medicine 2020; 8(8): 765-74
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CERC

B. HERMANN (Secrétaire)
A. BRUYNEEL
G. DECORMEILLE
S. GOURSAUD
N. HEMING
G. JACQ
T. KAMEL
G. LABRO
JF. LLITJOS
L. OUANES-BESBES
L. POIROUX
A. ROUZÉ