L’échographie pulmonaire en Réanimation : un outil solide entre des mains formées et informées

27/01/2022
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Article Critical Care
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Lung ultrasound in a tertiary intensive care unit population: a diagnostic accuracy study
Jasper M. Smit1,2*, Mark E. Haaksma1,2, Michiel H. Winkler1, Micah L. A. Heldeweg1,2, Luca Arts1, Erik J. Lust1,Paul W. G. Elbers1, Lilian J. Meijboom3, Armand R. J. Girbes1, Leo M. A. Heunks1 and Pieter R. Tuinman1,2
Smit et al. Crit Care (2021) 25:339

Texte

Question évaluée

Les signes d’insuffisance respiratoire aigüe sont fréquents chez les patients en réanimation.

La radiographie et le scanner restent les méthodes diagnostiques les plus courantes en termes d’imagerie thoracique du patient de réanimation même si un nombre croissant de travaux montrent une utilisation croissante de l’échographie pulmonaire.

Les anomalies constatées sur les images scannographiques sont divisées en deux catégories selon les auteurs : consolidations (comme dans les atélectasies ou les pneumonies) ou un aspect en verre dépoli (comme dans l’œdème pulmonaire cardiogénique), or ces anomalies peuvent être détectées de façon moins coûteuse, non irradiante et sans risque lié au transport par l’échographie.

Pour les auteurs la plupart des études comparant les performances diagnostiques de l’échographie au scanner thoracique se sont heurtées à des faiblesses méthodologiques et aux difficultés des diagnostics multiples présents chez un même patient de réanimation [1].

L’étude de Smit et coll. visait à évaluer la performance diagnostique de l’échographie pulmonaire sur 4 aspects prédéfinis (consolidation, syndrome interstitiel, pneumothorax et épanchement pleural) et sur 6 régions, en comparaison au scanner, chez les patients d’une réanimation de Centre Hospitalo-Universitaire (CHU).

Les objectifs secondaires étaient la comparaison avec l’étude classique de 12 régions et la corrélation des images retrouvées à l’échographie pulmonaire avec des diagnostics chez ces patients dont les pathologies respiratoires peuvent être intriquées.

Type d’étude

Prospective monocentrique CHU Néerlandais

Population étudiée

Patients de réanimation de plus de 18 ans ventilés ou non, chez qui était réalisé un scanner thoracique quelle que soit son indication.

Critère d’exclusion : si le délai entre la réalisation de la TDM et de l’échographie pulmonaire était supérieur à 8 heures.

Méthode

17 opérateurs d’échographie en aveugle des résultats du scanner réalisaient un index test selon le Bedside Lung Ultrasound in Emergency (BLUE) protocol [2] sur 3 points standardisés par hémithorax (B1 antérieur haut – B2 antérieur bas et un point postérieur sur la ligne axillaire postérieure au niveau du diaphragme (PosteroLateral Alvéolar and/or Pleural Syndrome : PLAPS) et notait la présence ou non d’un glissement pleural.

Ainsi chaque hémithorax était classé selon son aspect le plus pathologique échographique en consolidation antérieure (B2) / consolidation postérieure ou épanchement pleural (PLAPS)/ syndrome interstitiel ou pneumothorax (B1).

Un examen échographique complet classique comme défini dans le BLUE protocol en 12 régions était réalisé, par la suite, dans un sous-groupe de patients.

Le test de référence consistait en un scanner thoracique standardisé interprété en aveugle des résultats de l’examen échographique par un radiologue. La division des images scannographiques en hémithorax et leur cotation équivalente à la classification pour l’échographie était réalisée par un chercheur indépendant.

Les paramètres de performance étudiés pour la comparaison scanner / échographie 6 points et échographie 12 points étaient la sensibilité (Se), spécificité (Sp) et les valeurs prédictives positives (VPP) et négatives (VPN).

La corrélation aux diagnostics cliniques était rapportée sur un dendrogramme.

Résultats essentiels

87 patients ont été inclus en 3 ans, dont 8 exclus par la suite, devant un délai échographie scanner > 8 heures.

Pour 5 patients, 1 des 2 points de la zone PLAPS, n’a pu être analysé par examen échographique complet devant la présence de pansements et ont été exclus de l’analyse des consolidations et de l’épanchement.

18 patients ont été analysés en 12 régions échographiques.

En analyse 6 zones :

  • La prévalence du syndrome interstitiel était de 51% (80/158) avec une Se 0.60/Sp 0.69
  • La prévalence de consolidation était de 50% (156/311) avec une Se 0.76/Sp 0.92
  • La prévalence d’épanchement pleural était de 71% avec une Se 0.85/Sp 0.77
  • La prévalence de pneumothorax était de 11% (17/158) avec une Se 0.59/Sp 0.97, dont seuls trois (diagnostiqués par l’échographie) ayant des conséquences thérapeutiques

Au total 147 pathologies respiratoires étaient retrouvées chez les 79 patients. La majorité (49.4%) présentaient 2 affections pulmonaires (les plus fréquents étaient atélectasie et pneumonie).

Il n’existait pas de différence significative entre les résultats des échographies 6 versus 12 zones sur le sous-groupe étudié.

Commentaires

Ce travail confirme que la performance diagnostique de l’échographie en réanimation est bonne sur les consolidations et les épanchements, un peu moins sur les syndromes interstitiels et pneumothorax (bien que les 3 pneumothorax significatifs sur le plan clinique aient été détectés par l’échographie).

L’étude échographique chez le sous-groupe de patients sur 6 versus 12 zones ne relevait pas de différences significatives.

La plupart des patients présentaient au moins 2 atteintes pulmonaires avec des aspects échographiques parfois similaires.

Points forts

Ce travail est une étude intéressante car pragmatique : les patients sont lourds et poly-pathologiques pour la plupart et il existe de multiples opérateurs avec des niveaux d’expertise en échographie différents correspondant au réel fonctionnement d’un service de réanimation en CHU et la tentative d’intégrer le concept de polypathologies respiratoires est une idée séduisante.

Enfin, rapporté par les auteurs, l’intégration des consolidations antérieures (correspondant à un profil C ou B et l’absence de glissement antérieur considéré comme une consolidation).

Points faibles
  • Monocentrique
  • Les scanners sont fait en dehors de toute notion d’insuffisance respiratoire aigüe (ce qui ne correspond pas à l’algorithme du BLUE Protocol).
  • Il y a peu d’inclusion en 2 ans (79 patients).
  • Le niveau d’expertise des opérateurs de l’échographie est variable probablement responsable aussi des différences de performance (avec des résultats moins bons que dans des études préalables).  
  • Le sous-groupe analysant 12 versus 6 régions échographiques est petit mais des travaux semblent effectivement aller dans le sens d’une efficacité équivalente avec moins de zones étudiées notamment dans le cadre de l’urgence [3].
  • L’analyse du dendrogramme est complexe (par exemple le profil « SDRA » est semblable au profil « OAP ») et doit rappeler que l’échographie pulmonaire ne s’analyse pas isolément mais s’intègre dans un algorithme diagnostique clinico-biologique et éventuellement associée à l’ETT ou le Doppler veineux.
  • La sémiologie utilisée est très simple là où de nombreux travaux sur l’échographie pulmonaire notamment en réanimation ont permis d’affiner le cadre sémiologique diagnostique comme dans la pneumonie [4] par exemple avec l’utilisation d’un doppler ou l’aspect du bronchogramme [5].
Implications et conclusions

Il existe une corrélation forte entre échographie pulmonaire et scanner sur la performance diagnostique de consolidations, de pneumothorax relevant d’une prise en charge thérapeutique et d’épanchement pleural. Ces résultats confirment également des études menées chez les patients présentant des pneumopathies liées au COVID-19 [6].

La performance d’une étude 6 zones sur ces points pourrait être aussi bonne qu’une étude classique 12 zones.

Le fait de vouloir axer ce travail sur une comparaison d’images simples, ponctuelles et reproductibles a privé les résultats d’outils diagnostiques complémentaires qui auraient pu en augmenter la performance.

Ainsi l’échographie pulmonaire ne vous donnera pas plus qu’avant le ou les diagnostics de la détresse respiratoire aigüe présentée par votre patient  mais est une aide diagnostique précieuse qui doit motiver chacun à y être formé comme aux autres techniques ultrasoniques. 

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CONFLIT D'INTÉRÊTS

Article commenté par Charlotte ARBELOT, Médecin Anesthésiste Réanimateur, Service de Réanimation Traumatologique et Polyvalente, CHU Marseille NORD AP-HM, France.

L'auteur déclare n'avoir aucun lien d'intérêt.

Le contenu des fiches REACTU traduit la position de leurs auteurs, mais n’engage ni la CERC ni la SRLF.

Envoyez vos commentaires/réactions à l'auteur (charlotte.arbelot@ap-hm.fr) ou à la CERC.

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Références

  1. Comparative Performance of Pulmonary Ultrasound, Chest Radiograph, and CT Among Patients With Acute Respiratory Failure.
    Tierney DM, Huelster JS, Overgaard JD, Plunkett MB, Boland LL, St Hill CA, Agboto VK, Smith CS, Mikel BF, Weise BE, Madigan KE, Doshi AP, Melamed RR.
    Crit Care Med. 2020 Feb;48(2):151-157
  2. Relevance of lung ultrasound in the diagnosis of acute respiratory failure: the BLUE protocol.
    Lichtenstein DA, Mezière GA.
    Chest. 2008 Jul;134(1):117-25.
  3. Determining the optimal number of lung ultrasound zones to monitor COVID-19 patients: can we keep it ultra-short and ultra-simple?
    Heldeweg MLA, Lieveld AWE, de Grooth HJ, Heunks LMA, Tuinman PR; ALIFE study group.
    Intensive Care Med. 2021 Sep;47(9):1041-1043
  4. Lung Ultrasound for Early Diagnosis of Ventilator-Associated Pneumonia.
    Mongodi S, Via G, Girard M, Rouquette I, Misset B, Braschi A, Mojoli F, Bouhemad B.
    Chest. 2016 Apr;149(4):969-80.
  5. A lung ultrasound sign of alveolar consolidation ruling out atelectasis.
    Lichtenstein D, Mezière G, Seitz J. The dynamic air bronchogram.
    Chest. 2009 Jun;135(6):1421-1425. doi: 10.1378/chest.08-2281. Epub 2009 Feb 18. PMID: 19225063.
  6. Comparative study of lung ultrasound and chest computed tomography scan in the assessment of severity of confirmed COVID-19 pneumonia.
    Zieleskiewicz L, Markarian T, Lopez A, Taguet C, Mohammedi N, Boucekine M, Baumstarck K, Besch G, Mathon G, Duclos G, Bouvet L, Michelet P, Allaouchiche B, Chaumoître K, Di Bisceglie M, Leone M; AZUREA Network.
    Intensive Care Med. 2020 Sep;46(9):1707-1713.
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CERC

B. HERMANN (Secrétaire)
A. BRUYNEEL
G. DECORMEILLE
S. GOURSAUD
N. HEMING
G. JACQ
T. KAMEL
G. LABRO
JF. LLITJOS
L. OUANES-BESBES
L. POIROUX
A. ROUZÉ