L’intubation immédiate ou différée pendant la réanimation d’un arrêt cardiaque intra-hospitalier : vraiment délétère ?

04/01/2018
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Association between tracheal intubation during adult in-hospital cariac arrest and survival.
Andersen LW, Granfeldt A, Callaway CW, Bradley SM, Soar J, Nolan JP, Kurth T, Donnino MW, for the American Heart Association’s Get With The Guidelines-Resuscitation investigators.
JAMA 2017 ; 317 : 494-506.

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Question évaluée

L’intubation trachéale précoce c’est-à-dire dans les 15 premières minutes de l’arrêt cardiaque intra-hospitalier pendant la réanimation influence-t-elle son pronostic ?

Type d’étude

Il s’agit d’une étude rétrospective observationnelle sur un registre prospectif multicentrique américain d’arrêts cardiaques intra-hospitaliers (Get With the Guidelines-Resuscitation GWTG-R).

Population étudiée

Cette étude analyse tous les patients adultes (≥18 ans) victimes d’arrêt cardiaque intra-hospitalier (défini par la réalisation d’un massage cardiaque et/ou d’une défibrillation). Les patients déjà ventilés de manière invasive, pour lesquels les données sur la réalisation de l’intubation ou sur la survie étaient manquantes et les sujets non hospitalisés étaient exclus.

Méthode

La variable d’intérêt était la réalisation d’une intubation orotrachéale ou trachéotomie avant le retour à une activité circulatoire spontanée (RACS).

Le critère de jugement principal était la survie hospitalière, et les critères secondaires étaient le RACS et l’évolution neurologique favorable (CPC1-CPC2).

Pour évaluer l’association entre intubation et survie, les auteurs ont utilisé un score propension temps-dépendant : les patients intubés dans les 15 premières minutes ont été ainsi appariés aux patients présentant le même risque d’être intubés au même instant (selon le score de propension) et qui ne sont pas encore intubés ou ne le seront jamais.

Des analyses en groupes d’intérêt ont été réalisées (rythme initial, préexistence d’une insuffisance respiratoire, étiologie sous jacente).

Résultats essentiels

108 079 patients ont été inclus dans 668 hôpitaux entre 2000 et 2014.

L’âge moyen était de 69 ans (58-74), 68% étaient des hommes, 12% avaient un rythme initial choquable et environ 70% ont été intubés, la grande majorité dans les 15 premières minutes.

Le taux global de survie hospitalière est de 22,4%.

En analyse univariée, le taux de RACS et la survie hospitalière des patients intubés dans les 15 premières minutes sont significativement plus faibles comparés aux patients non intubés (respectivement 59,2% vs 69 % RR=0,75 et 17% vs 33% RR=0,58)

Après appariement sur score de propension temps-dépendant, ces associations restaient significativement liées à un moins bon pronostic pour les patients intubés (respectivement 57,8% vs 59,3% RR= 0,97% pour le RACS et 16,3% vs 19,4% RR=0,84 pour la survie hospitalière).

L’association entre l’intubation précoce et le devenir restait significativement plus délétère dans les différents sous-groupes : patients en rythme initial choquable, étiologies cardiaques, et en l’absence d’insuffisance respiratoire.

Commentaires

Le rationnel de cette étude repose sur le débat actuel concernant le mode de ventilation dans les arrêts cardiaques extra-hospitaliers (ACEH) principalement orotrachéale vs. supra-glottique. Les hypothèses en défaveur de l’intubation précoce dans ce cadre font référence au temps de réalisation du geste (interruption du massage, autres interventions retardées) et aux compétences de l’effecteur (risque d’échec), contrebalancées par un meilleur contrôle de l’oxygénation et une protection des voies aériennes. Dans l’ACEH, de nombreuses études observationnelles ont tenté de comparer le mode de ventilation avec des conclusions souvent hétérogènes (1,2,3). Devant ces incertitudes, plusieurs essais randomisés internationaux sont en cours (NCT02607644, NCT02327026).

Cette étude est la première étude d’envergure s’intéressant à cette thématique dans l’arrêt cardiaque intra-hospitalier. Toutefois le profil des patients et les caractéristiques de leur prise en charge sont très différents du contexte extra-hospitalier, rendant la problématique difficilement transposable.

Cette étude observationnelle sur base de données est bien conduite avec une méthodologie et des analyses de qualité compte tenu du design.

Les auteurs montrent dans leurs résultats que l’intubation précoce est associée négativement au pronostic des patients victimes d’arrêt cardiaque et ceci de manière plus forte dans certains sous-groupes (rythme choquable, étiologie cardiaque, absence d’insuffisance respiratoire). Ils suggèrent que la réalisation de ce geste pourrait ainsi détériorer la qualité de prise en charge initiale et par conséquence le devenir du patient.

Cependant ces conclusions doivent être interprétées  à la lumière de certaines limites :

  • Le design de l’étude ne permet pas de définir réellement un groupe comparatif-mode ventilatoire utilisé dans le groupe contrôle- (contrairement aux études ayant évalué des ACEH) ;
  • Même si les auteurs utilisent le score de propension pour mesurer leur association, on ne peut exclure que la réalisation d’une intubation précoce peut jouer un rôle de surrogate factor (l’intubation précoce est liée à une cause spécifique plus particulièrement ou à d’autres facteurs non pris en compte dans l’ajustement), ou de marqueur de gravité du patient…Cette hypothèse est renforcée par les résultats en sous-groupe où l’effet est « moins bon » dans les groupes de bon pronostic (rythme choquable, étiologie cardiaque, absence d’insuffisance respiratoire) ;
  • L’analyse de registre administratif tel que celui présenté peut conduire à la non prise en compte de certains facteurs de confusion (dans cette étude, les éléments de prise en charge sont restreints, les analyses ne sont pas ajustées).
Points forts
  • Large base de données ;
  • Qualité méthodologique ;
  • Première étude de grande envergure en intra-hospitalier.
Points faibles
  • Importance des données manquantes (seul un tiers du registre a été analysé) ;
  • Difficultés pour généraliser les résultats : pratiques, organisation différentes ;
  • Les patients intubés sont comparés à des patients non encore intubés à cette minute précise mais qui pourront être eux-mêmes intubés avant les 15 minutes (ou pas), ce qui revient finalement plus à une comparaison de stratégie d’intubation immédiate vs différée, qui est remise en cause toutes les minutes.
Implications et conclusions

Cette étude suggère que l’intubation précoce pendant la réanimation serait associée à un moins bon pronostic chez les patients victimes d’arrêt cardiaque intra-hospitalier.

Ces résultats sont issus d’une étude observationnelle unique avec toutes ses limites, ne permettant pas d’établir de lien de causalité, et ne peuvent par conséquent pas modifier la pratique clinique. Toutefois, ces observations permettent d’alimenter le débat actuel sur la ventilation au cours de la réanimation des arrêts cardiaques, dans l’attente des résultats des futurs essais randomisés et d’études interventionnelles.

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Conflit d'intérêts

Article commenté par  la Dr Florence Dumas, Service des Urgences-SMUR, CHU Cochin-Hôtel Dieu, France.

La Dr Florence Dumas ne déclare aucun conflit d’intérêt.
Le contenu des fiches REACTU traduit la position de leurs auteurs, mais n’engage ni la CERC ni la SRLF.

Envoyez vos commentaires/réactions aux auteurs (florence.dumas@aphp.fr) ou à la CERC.

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Liens utiles

  1. Hasegawa K, Hiraide A, Chang Y, Brown DF. Association of prehospital advanced airway management with neurologic outcome and survival with out-of hospita cardiac arrest. JAMA 2013 ; 309 (3) : 257-266.
  2. Kang K, Kim T, Ro YS, Kim YJ, Song KJ, Shin SD. Prehospital endotracheal intubation and survival after out-of-hospital cardiac arrest: results from the Korean nationwide registry. Am J Emerg Med. 2016;34(2):128-132.
  3. Fouche PF, Simpson PM, Bendall J, Thomas RE, Cone DC, Doi SA. Airways in out-of-hospital cardiac arrest: systematic review and meta-analysis. Prehosp Emerg Care. 2014;18(2):244-256.
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CERC

N. AISSAOUI (Secrétaire)
SD. BARBAR
F. BOISSIER
F. BROUARD
D. GRIMALDI
S. HRAIECH
JC. LACHERADE
JB. LASCARROU
P. MICHEL
G. MULLER
G. PITON
A. YOUSSOUFA