L’œil du tigre !!!

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López-de-Audícana-Jimenez-de-Aberasturi Y, Vallejo-De-la-Cueva A, Bermudez-Ampudia C, Perez-Francisco I, Bengoetxea-Ibarrondo MB, Parraza-Diez N. The comparison of pupillometry to standard clinical practice for pain and preemptive analgesia before endotracheal suctioning: A randomized controlled trial. Intensive Crit Care Nurs. 2025;88:103975. doi:10.1016/j.iccn.2025.103975

Texte
Question évaluée 

Les auteurs ont cherché à évaluer l’impact d’une analgésie préemptive guidée par la pupillométrie comparée aux pratiques habituelles sur la survenue d’une douleur pendant l’aspiration endotrachéale (AET) lors de la ventilation mécanique invasive (VMI).

Type d’étude 

Il s’agissait d’une étude contrôlée, randomisée, multicentrique à 2 groupes parallèles. 

Population étudiée 

Les patients inclus dans cette étude étaient âgés de plus de 18 ans, sous VMI et sédatés avec un RASS (Richmond Agitation Sedation Score) entre -1 et -4, stables sur le plan hémodynamique et sans signe de douleur (Behavioral Pain Scale BPS = 3). Les critères de non-inclusion étaient les suivants : pathologie ophtalmologique avec atteinte de la pupille, atteinte de la 3ème paire crânienne, score de Glasgow < 6 avant l’intubation, hypertension intracrânienne, traitement par des médicaments tels que l’atropine, la clonidine, la dexmédétomidine, le tramadol, la kétamine, l’adrénaline, les antagonistes calciques et les antiémétiques. 

Méthode 

L’étude a été mise en œuvre lors de la première semaine du séjour des patients en réanimation.

Dans le groupe expérimental (pupillométrie réalisée par le Neurolight AlgisScan®, ID company, Marseille, France), le Réflexe de Dilatation Pupillaire (RDP) a été étudié en réponse à un stimulus de 20 mA (mode "TETANOS") délivré par une électrode placée sur le nerf ulnaire avant une AET. Chez les patients avec un RDP ³ 11.5 % (seuil de ressenti de la douleur), une analgésie préemptive était administrée avant l’AET. 

Dans le groupe témoin, l’infirmière appliquait les pratiques habituelles du service conformément aux recommandations internationales (1). 

Dans les 2 groupes, l’analgésie préemptive consistait en l’administration de fentanyl (1 mg/kg IV). Les niveaux de douleur ont été évalués avant et pendant l’AET à l’aide de l’échelle BPS, de l’échelle "Scale of Behavior Indicators of Pain" (Escala de Conductas Indicadoras de Dolor : ESCID) et du RDP. Les mesures ont été réalisées en aveugle par 3 chercheurs indépendants. L’un d’entre eux a réalisé la pupillométrie et les deux autres ont évalué la douleur. L’analgésie préemptive n’était connue que par le médecin qui réalisait la pupillométrie. L’AET était réalisée par l’infirmière qui n’était pas impliquée dans l’étude.  

Résultats essentiels 

Au total, 92 patients ont été inclus dans cette étude (51 dans le groupe contrôle et 41 dans le groupe intervention) sur les 104 patients initialement éligibles.

Une analgésie préemptive avant une AET a été réalisée chez 43.9% des patients du groupe expérimental contre 19.6% dans le groupe contrôle (p=0.03). L’analyse multivariée a montré une réduction significative de la douleur dans le groupe pupillométrie avant AET suivant l’échelle BPS [OR=0.34 (95% IC : 0.12-0.99, p=0.048], l’ESCID [OR=0.29 (95% IC : 0.09-0.88), p= 0.030] et le RDP [OR=0.27 (95% IC : 0.08-0.86, p=0.027] par rapport à la pratique habituelle du service. 

Commentaires 

D’autres études confirment ces résultats notamment chez des patients sous sédation avec un RASS -5 (2,3). Les soins pratiqués en réanimation nécessitent fréquemment la mise en œuvre de traitements de suppléances d’organes susceptibles d’être une source d’inconfort, de douleur, d’angoisse et de stress avec des perceptions subjectives et des niveaux de tolérance extrêmement variables selon les patients (4,5). D’après l’étude DOLOREA (6) menée dans 44 services de réanimation chez 1381 patients ventilés, la douleur était évaluée chez seulement 42% des patients. Lorsque la douleur était évaluée, sa prévalence à J2 était de 33% au repos et 56% au cours d’une procédure de soin (douleur d’intensité au moins modérée). 

Ainsi, une approche cohérente de l’évaluation et de la gestion de la douleur est donc primordiale afin de tenir compte des caractéristiques singulières des adultes gravement malades, en raison notamment de troubles ou de difficultés de communication, d’altérations de l’état mental, de la ventilation mécanique, des interventions et de l’utilisation d’appareils invasifs, des troubles du sommeil et de l’immobilité/mobilité (5). De même, la prescription des opioïdes, pilier de la gestion de la douleur en réanimation, doit être réalisée avec prudence en raison d’effets secondaires potentiels qui peuvent poser des problèmes de sécurité à court terme (confusion, dépression respiratoire, iléus, hypotension…) (7) mais également à moyen et long terme avec la survenue d’un Syndrome de Stress Post-Traumatique (SSPT) pouvant s’intégrer sous le terme de Syndrome post-réanimation ou « Post Intensive Care Syndrome » (PICS) (8). Il convient de souligner qu’il n’est pas indispensable de positionner les électrodes précisément au niveau du nerf ulnaire pour l’évaluation de la douleur par pupillométrie. Une application sur une zone de l’avant-bras réceptive aux stimulations nociceptives suffit à obtenir une réponse fiable. Par ailleurs, le choix du mode "TETANOS" avec une stimulation fixe de 20 mA interroge, car il ne constitue pas l’option la plus pertinente pour l’évaluation de l’analgésie. Le mode PPI (Pupillary Pain Index) apparaît plus approprié : il permet de débuter la stimulation à 10 mA, puis de l’ajuster en fonction de la réponse pupillaire. Si le RDP dépasse 13 %, la stimulation est interrompue, traduisant un niveau insuffisant d’analgésie. Ce mode offre ainsi une approche plus individualisée, respectueuse de la physiologie du patient et mieux adaptée à l’évaluation de la douleur. A noter dans cette étude, l’utilisation d’une échelle de la douleur (ESCID) validée uniquement en Espagne en 2016.

Points forts 

Évaluation de 2 stratégies d’analgésie préemptive en aveugle avec une méthodologie bien construite.

Points faibles 

L’AET si elle est bien réalisée ne devrait pas en théorie provoquer de douleur. L’analgésie préemptive par fentanyl est sans doute un peu exagérée car d’autres antalgiques de palier 1 ou 2 pourraient sans doute être suffisants. Le délai d’action plaide cependant en faveur du fentanyl si l’AET n’est pas anticipée ou programmée.

Implications et conclusions 

Le ressenti de la douleur chez des patients « non-communicants » en réanimation est un phénomène à la fois complexe et multifactoriel qui nécessite d’être anticipé par l’utilisation d’échelles (sauf si le patient est sous curares) ou de dispositifs comme la pupillométrie plus objectifs et reproductibles. Des protocoles de service concernant la gestion de la douleur par des moyens médicamenteux et non-médicamenteux doivent permettre d’autonomiser les IDEs et de personnaliser la prise en charge des patients dans le respect des bonnes pratiques et des prescriptions médicales.


Références citées dans les commentaires :

  1. Guidelines for the Prevention and Management of Pain, Agitation/Sedation, Delirium, Immobility, and Sleep Disruption in Adults Patients in the ICU. Crit Care Med 2018;46(9):e825-e873

  2. Vinclair M, Schilte C, Roudaud F, et al. Using Pupillary Pain Index to Assess Nociception in Sedated Critically Ill Patients. Anesthesia & Analgesia 2019;129:1540–1546.

  3. Favre A, Rahmaty Z, Ben-Hamouda N, et al. Nociception assessment with videopupillometry in deeply sedated intensive care patients: discriminative and criterion validations. Aust Crit Care 2024;37(1):84-90

  4. Chanques G, Jaber S, Barbotte E, et al. Impact of systematic evaluation of pain and agitation in an intensive care unit: Crit Care Med 2006;34:1691–1699.

  5. Devlin JW, Skrobik Y, Gélinas C, et al. Clinical Practice Guidelines for the Prevention and Management of Pain, Agitation/Sedation, Delirium, Immobility, and Sleep Disruption in Adult Patients in the ICU. Crit Care Med 2018;46:e825–e873.

  6. Payen JF, Chanques G, Mantz J, et al. Current practices in sedation and analgesia for mechanically ventilated critically il patients: a prospective multicenter patient-based study. Anesthesiology 2007;106:687-95

  7. Molina PE. Opioids and opiates: analgesia with cardiovascular, haemodynamic and immune implications in critical illness. Journal of Internal Medicine 2006;259:138–154.

  8. Needham DM, Davidson J, Cohen H, et al. Improving long-term outcomes after discharge from intensive care unit: Report from a stakeholdersʼ conference. Critical Care Medicine 2012;40:502–509.


CONFLIT D'INTÉRÊTS

Commenté par :  

  • Christina Teron, Médecine-Intensive Réanimation, CHU Dijon-Bourgogne

  • Laurent Faivre, Réanimation Polyvalente et USC, HNFC, CH Trevenans

  • Jean-Pierre Quenot, Médecine-Intensive Réanimation, CHU Dijon-Bourgogne

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