George S, Williams T, Humphreys S, Atkins T, Tingay D, Gelbart B, Pham T, Craig S, Erickson S, Chavan A, Rasmussen K, Ganeshalingham A, Oberender F, Ganu S, Singhal N, Gibbons K, Le Marsney R, Burren J, Schlapbach LJ, Gannon B, Jones M, Dalziel SR, Schibler A; Paediatric Research in Emergency Departments International Collaborative research networks and the Australian and New Zealand Intensive Care Society Paediatric Study Group. Effectiveness of nasal high-flow oxygen during apnoea on hypoxaemia and intubation success in paediatric emergency and ICU settings: a randomised, controlled, open-label trial. Lancet Respir Med. 2025 Jun;13(6):545-555. doi: 10.1016/S2213-2600(25)00074-8. Epub 2025 Mar 21. PMID: 40127666.
Question évaluée :
L’oxygénothérapie à haut débit nasal (OHD) pendant la phase apnéique de l’intubation permet-elle d’améliorer le taux de réussite au premier essai et de réduire les évènements hypoxiques chez l’enfant en réanimation ?
Type d’étude :
Essai pragmatique, contrôlé randomisé ouvert multicentrique dans 11 services d'urgences, de réanimation pédiatrique, et de réanimation néonatale en Australie, Nouvelle-Zélande et Suisse.
Population :
Critères d’inclusion :
Enfants de moins de 16 ans nécessitant une intubation endotrachéale urgente
Consentement parental (obtenu avant la procédure ou dans les 72 heures)
Critères de non-inclusion :
Intubation par voie nasale en première intention
Intubation immédiate pour une réanimation cardiopulmonaire
Changements de sonde d’intubation
Intubation réalisée en dehors du site des urgences ou de l’unité de soin intensif
Traumatisme facial aigu ou malformation des voies aériennes supérieures avec obstruction des voies nasales
Méthode :
Les patients étaient randomisés pour recevoir lors de la phase apnéique per-intubation de l’OHD à 2 L/kg et FiO2 100% ou le traitement standard (absence d’oxygène). La randomisation était stratifiée selon l’âge, l’expérience de l’opérateur, et le centre.
Le type de pré-oxygénation et le choix de la séquence d’induction étaient laissés au choix du clinicien. Les données étaient recueillies sur papier pendant la procédure, et vérifiées à l’aide d’un enregistrement vidéo. L’exposition au laryngoscope définissait le début de la tentative et son retrait la fin de la procédure. Un patient pouvait être inclus plusieurs fois.
Le critère de jugement principal (CPJ) était double :
Intubation compliquée d’une hypoxémie (SpO₂≤90 % ou chute de plus de 10% par rapport à la valeur de base)
Succès de l'intubation (position correcte confirmée par EtCO2) à la première tentative sans hypoxémie.
Les critères de jugement secondaires étaient liés à la procédure (nombre de tentatives par patient, nombre de tentatives suivies d’une ré-oxygénation, SpO2 la plus basse pendant l’intubation), et à la morbi-mortalité (incluant effets indésirables, nombre de jours sans ventilation à J28, durée du séjour en réanimation, en hospitalisation, mortalité hospitalière).
Le même poids statistique était donné aux 2 CPJ : le nombre de patients à traiter était calculé avec une erreur de type 1 de 2.5% et une puissance de 90%, en estimant une réduction du taux de désaturation de 16 à 8%, et une amélioration du taux de succès d’intubation de 60 à 80%, selon des données déjà publiées (1,2). Le nombre de patients nécessaire était estimé à 816.
L’analyse principale était réalisée en intention de traiter modifiée (incluant tous les enfants randomisés et intubés) (ITT) et en per protocole, à l’aide d’un modèle mixte de régression logistique ajusté sur les variables de stratification, le centre, et le patient.
Résultats essentiels :
Sur les 2574 intubations éligibles (de mai 2017 à octobre 2022), seules 1069 ont été randomisées (969 patients), dont 950 inclues dans l’analyse en ITT modifiée : 476 dans le groupe OHD, 474 dans le groupe standard.
Environ 60% des patients avaient moins de 1 an. Les intubations étaient majoritairement réalisées par des opérateurs juniors et par laryngoscopie directe. Les 2 groupes étaient globalement comparables, mais l’OHD semblait plus fréquemment utilisée dans le groupe OHD à la fois comme support ventilatoire (28.5% vs 20.4% dans le groupe standard) et comme technique de pré-oxygénation (3.8% vs 0.8% dans le groupe standard) en pré-intubation.
L'analyse en ITT n’a pas montré de bénéfice significatif de l’OHD par rapport au traitement standard sur la réduction du taux d’hypoxémie (12.8% vs 16.2 % dans le groupe standard, OR ajusté 0.74 ; IC 97.5 % 0.46–1.18 ; p=0.15) ni sur l’augmentation de succès au premier essai (63 % dans le groupe OHD vs 59.1% dans le groupe standard, OR ajusté 1.13 ; IC 97.5 % 0.79–1.62 ; p=0.43).
Quarante-cinq patients n’ont pas reçu le traitement alloué, dont 32 dans le groupe OHD (oubli de l’OHD par le clinicien au moment de la procédure chez 17 patients). L’analyse per protocole a porté sur 905 intubations. Là encore il n’existait pas de différence significative en termes de succès d’intubation à la première tentative (p=0.19), mais le taux d’hypoxémie était significativement réduit dans le groupe OHD (10.8% vs 16.7 % dans le groupe standard, OR ajusté 0.59 ; IC 97.5 % 0.36–0.97 ; p=0.017).
Les résultats étaient inchangés sur les analyses post-hoc effectuées avec un seuil différent d’hypoxémie (SpO2<80%) et selon le type de laryngoscopie, ainsi que sur l’analyse en sous-groupe chez les nouveau-nés (<1 mois), bien que dans cette population spécifique le taux de désaturation était numériquement plus faible dans le groupe OHD (15% vs 23% dans le groupe standard).
Il n’y avait pas de bénéfice de l’OHD concernant l’ensemble des critères de jugement secondaires.
Commentaires :
Cette étude aborde une question essentielle, peu explorée chez l’enfant : l’intérêt de l’OHD pendant la phase apnéique d’intubation, au regard du risque important de désaturation dans cette population spécifique. Le bénéfice de l’oxygénation apnéique (OA) sur l’amélioration de la saturation et du succès d’intubation a déjà été démontré chez l’enfant nouveau-né et au bloc opératoire (3). Des données suggèrent également son efficacité sur la réduction de l’hypoxémie chez l’enfant en réanimation, à plus haut risque d’intubation urgente et difficile (4).
Malgré une hypothèse physiologique séduisante et un design méthodologiquement robuste, les résultats de l’analyse en ITT ne montrent pas de bénéfice clair. Néanmoins, l’analyse per protocole révèle une réduction significative des hypoxémies, suggérant un effet réel lorsque l’OHD est correctement appliquée.
En pratique, le nombre non négligeable de déviations du protocole dans le groupe OHD souligne que son usage reste contraignant en routine. La question se pose de la pertinence d’utiliser un système à haut débit pour obtenir une FiO2 à 100%, versus une oxygénothérapie bas débit aux lunettes, plus facile à appliquer, quitte à perdre en efficacité d’oxygénation.
L’hétérogénéité des méthodes de pré-oxygénation des patients dans les deux groupes rend également difficile l’interprétation des résultats. En effet, la pré-oxygénation est plus efficace avec un support respiratoire non invasif (incluant l’OHD) qu’au masque seul (5). Le déséquilibre entre les deux groupes concernant la pré-oxygénation peut avoir entraîné une moindre efficacité de la pré-oxygénation chez certains (notamment dans le groupe standard, moins exposé à l’OHD en pré-oxygénation), responsable d’une plus faible efficacité de l’OA.
Chez les nouveau-nés, les résultats pointent vers une tendance favorable à l’OHD, ce qui laisse penser que cette stratégie pourrait être plus bénéfique dans cette tranche d’âge, comme suggéré par la méta-analyse de Fuchs (3).
L’étude enrichit cependant une littérature encore pauvre, et encourage à mieux évaluer l’OHD per-intubation chez l’enfant en réanimation. Des approches plus personnalisées, telles que les méthodologies bayésiennes, constituent une piste intéressante pour les études futures. Même si les adaptations en temps réel sont peu compatibles avec une procédure aussi brève et urgente que l’intubation, ce type d’approche permettrait de tenir compte de l’hétérogénéité des situations pour identifier plus finement les sous-groupes réellement bénéficiaires d’une OA optimisée par OHD, là où les essais pragmatiques classiques atteignent leurs limites.
Points forts :
Question pertinente et pragmatique.
Grande taille d'échantillon multicentrique.
Analyse en ITT et per protocole permettant de distinguer l’effet en vie réelle de l’effet clinique.
Méthodologie rigoureuse et innovante (enregistrement vidéo).
Points faibles :
Nombre important de déviations au protocole faisant douter de la généralisation des résultats.
Hétérogénéité des méthodes de pré-oxygénation pouvant limiter l’efficacité de l’OA, avec un déséquilibre en faveur de l’OHD.
Nombre important de patients éligibles non inclus induisant un potentiel biais de sélection.
Implications et conclusions :
Cette étude n’a pas retrouvé un bénéfice significatif à l’OA par OHD sur la réduction du nombre de désaturations ou l’amélioration du succès d’intubation au premier essai en réanimation pédiatrique. La réduction des événements hypoxiques retrouvée dans l’analyse per protocole et le nombre non négligeable de déviations au protocole incitent à poursuivre les recherches sur l’effet de l’OHD, et de l’OA en général, chez l’enfant intubé en réanimation.
Références cités dans les commentaires :
- Miller AG, Mallory PM, Rotta AT. Endotracheal Intubation Outside the Operating Room: Year in Review 2023. Respir Care. 24 août 2024;69(9):1165‑81.
- Nishisaki A, Turner DA, Brown CA, Walls RM, Nadkarni VM, National Emergency Airway Registry for Children (NEAR4KIDS), et al. A National Emergency Airway Registry for children: landscape of tracheal intubation in 15 PICUs. Crit Care Med. mars 2013;41(3):874‑85.
- Fuchs A, Koepp G, Huber M, Aebli J, Afshari A, Bonfiglio R, et al. Apnoeic oxygenation during paediatric tracheal intubation: a systematic review and meta-analysis. Br J Anaesth. févr 2024;132(2):392‑406.
- Napolitano N, Polikoff L, Edwards L, Tarquinio KM, Nett S, Krawiec C, et al. Effect of apneic oxygenation with intubation to reduce severe desaturation and adverse tracheal intubation-associated events in critically ill children. Crit Care Lond Engl. 17 janv 2023;27(1):26.
- Pitre T, Liu W, Zeraatkar D, Casey JD, Dionne JC, Gibbs KW, et al. Preoxygenation strategies for intubation of patients who are critically ill: a systematic review and network meta-analysis of randomised trials. Lancet Respir Med. 20 mars 2025;S2213-2600(25)00029-3.
CONFLIT D'INTÉRÊTS
Commenté par Meryl Vedrenne-Cloquet, Unité de VNI et du Sommeil de l’enfant, CHU Necker-Enfants malades, France.
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