Jabaudon M, Quenot JP, Badie J, Audard J, Jaber S, Rieu B, Varillon C, Monsel A, Thouy F, Lorber J, Cousson J, Bulyez S, Bourenne J, Sboui G, Lhommet C, Lemiale V, Bouhemad B, Brault C, Lasocki S, Legay F, Lebouvier T, Durand A, Pottecher J, Conia A, Brégeaud D, Velly L, Thille AW, Lambiotte F, L'Her E, Monchi M, Roquilly A, Berrouba A, Verdonk F, Chabanne R, Godet T, Garnier M, Blondonnet R, Vernhes J, Sapin V, Borao L, Futier E, Pereira B, Constantin JM; SESAR Trial Investigators. Inhaled Sedation in Acute Respiratory Distress Syndrome: The SESAR Randomized Clinical Trial. JAMA. 2025 May 13;333(18):1608-1617. doi: 10.1001/jama.2025.3169. PMID: 40098564; PMCID: PMC11920880.
Question évaluée :
Evaluation de l’efficacité et de la sécurité d’une sédation inhalée par sévoflurane, comparée à une sédation intraveineuse par propofol chez des patients atteints de SDRA modéré -à-sévère.
Type d’étude :
Etude randomisée multicentrique (32 centres) en France, en ouvert.
Population étudiée :
Patients adultes avec un SDRA selon la définition de Berlin, précoce <24h et de sévérité modéré-à-sévère (rapport PaO2/FiO2 < 150mmHg et PEEP ≥8cmH2O).
Méthode :
Les patients étaient randomisés (1 :1) soit dans le groupe propofol (contrôle), soit dans le groupe sévoflurane (intervention), avec une stratification sur le site d’inclusion, le besoin en vasopresseur à la randomisation (choc), le rapport PaO2/FiO2 inférieur ou supérieure à 100 mmHg et une infection à COVID-19 suspectée ou prouvée. Dans le groupe sévoflurane, la sédation inhalée était administrée au moyen du dispositif Sedaconda ACD-S (Sedana Medical), un système miniaturisé de conservation de l’anesthésie. Les patients étaient sédatés selon randomisation (propofol ou sévoflurane) au cours de la période d'intervention de 7 jours. Au-delà, les cliniciens choisissaient le type de sédation.
Le protocole visait à atteindre initialement une sédation profonde avec un score de RASS de -5/-4, avec administration de curares par cisatracurium en continu jusqu’à 48h ou jusqu’à obtention d’un rapport PaO2/FiO2 >150 mmHg pendant >4h avec une FiO2 ≤60%. Puis, une sédation légère (score de RASS -1/0) était recommandée avec un protocole quotidien d’interruption des sédations (ABCDEF bundle).
Critère de jugement principal :
Jours sans ventilation mécanique invasive à J28 de la randomisation
Critères de jugement secondaires :
Survie à J90
Mortalité à J7, J14 et J28
Nombre de jours sans réanimation à J28
Analyses en sous-groupe pré-spécifiées : SDRA COVID-19 et non-COVID-19
Critères de sécurité : survenues d’un épisode d’instabilité hémodynamiques (augmentation de la dose de noradrénaline et du lactate), d’une insuffisance rénale aigue, d’un nouvel épisode de tachycardie supra-ventriculaire ou de fibrillation atriale, d’une acidose hypercapnique sévère (pH<7,15).
Résultats essentiels :
Inclusion de 687 patients dans 32 centres en France entre mai 2020 et octobre 2023 (346 patients dans le groupe sévoflurane et 341 patients dans le groupe propofol). Les caractéristiques des patients étaient homogènes dans les deux groupes avec une moyenne d’âge de 68 ans et 30% de femmes. L’origine du SDRA était une pneumonie dans la grande majorité des cas (84%) dont 55% de pneumonie COVID-19. A l’inclusion, 74% des patients étaient sous vasopresseurs et 36% avaient une insuffisance rénale aigue.
La randomisation était effectuée à 0 (0-1) jour de l’intubation oro-trachéale. Le mode de ventilation était de la ventilation contrôlée (94%) avec un volume courant de 6,0 mL/kg de poids prédit, un niveau de PEEP de 10 cmH2O et une fréquence respiratoire de 26/min. Le rapport PaO2/FiO2 était de 111 (86-137) mmHg dans le groupe sévoflurane et 107 (80-133) mmHg dans le groupe propofol.
Durant la période interventionnelle de 7 jours, la durée moyenne d’administration du traitement selon le bras était de 5 (2-7) jours pour le sévoflurane et de 6 (3-7) jours pour le propofol. La durée totale moyenne de sédation était de 7 (4-7) jours dans les deux groupes.
Objectif principal :
Dans le groupe sévoflurane, le nombre de jours sans ventilation mécanique invasive à J28 était de 0,0 (0,0-11,9) jours, et de 0,0 (0,0-18,7) jours dans le groupe propofol (différence moyenne de -2,1 [-3,6 à -0,7] jours) et hazard ratio de 0,76 [0,50-0,97]).
Les résultats étaient similaires après ajustement multivariable, dans deux analyses per-protocole prédéfinies, ainsi que dans une analyse de sensibilité excluant les cinq premiers patients inclus dans chaque site afin d’exclure une éventuelle courbe d’apprentissage dans l’utilisation de la sédation inhalée.
Objectifs secondaires :
Concernant la survie à J90, elle était plus faible dans le groupe sévoflurane (47,1%) que dans le groupe propofol (55,7%) (hazard ratio 1,31 [1,05-1,62]; log rank p=0,02).
Le sévoflurane était également associé à une mortalité plus élevée à J7 (19,4% vs 13,5%; risque relatif 1.44 [1.02-2.03]) et à moins de jours sans réanimation à J28 (0(0-6) jours vs 0(0-15) jours ; HR 1.67 [0.52-0.86]), comparé au propofol. L’analyse de sensibilité confirmait ces résultats pour les pneumonies non-COVID-19.
Dans le groupe sévoflurane, 5 (1,4%) cas de diabète néphrogénique était rapportés. Il n’y avait pas de différence entre les deux groupes concernant les effets secondaires prédéfinis.
Commentaires :
Quelques études animales (1,2) et une étude randomisée monocentrique (3), ont suggéré un bénéfice de la sédation par sévoflurane dans le SDRA sur l’oxygénation, secondaire à une réduction des lésions inflammatoire, du stress oxydatif et de la formation d’œdème pulmonaire. De plus, la sédation inhalée pourrait être associé une durée de ventilation mécanique moindre, un recours aux analgésiques morphiniques diminués, une diminution du risque de delirium et un meilleur pronostic neurologique au long cours.
A l’encontre de ces données préliminaires, les résultats de l’étude SESAR ne montre pas de bénéfice de la sédation inhalée par sévoflurane pour les patients avec un SDRA. Pire, elle pourrait même être associée à une morbi-mortalité plus élevée. Plusieurs facteurs pourraient expliquer cette surmortalité. On note d’une part des effets hémodynamiques plus marqués dans le groupe sévoflurane que dans le groupe propofol. Les doses médianes de noradrénaline jusqu’à J3 et la lactatémie à J1, J2 et J4 étaient en effet plus élevées dans le groupe sévoflurane, sans être associées pour autant à une incidence plus élevée d’états de choc réfractaire. D’autre part, l’administration de sévoflurane pourrait être associée à un surrisque d’insuffisance rénale aiguë en raison de l’instabilité hémodynamique induite ou de l’action directe du sévoflurane sur les aquaporines, inducteur de diabète néphrogénique (4). Enfin, le sévoflurane pourrait altérer la mécanique ventilatoire. L’espace mort, même minime, induit par le système Anaconda (50cc) peut être responsable d’une hypercapnie avec acidose plus marquée, nécessitant une augmentation de la fréquence respiratoire, augmentant alors la mechanical power et le risque de VILI. En somme, le sévoflurane ne semble pas être une bonne alternative au propofol.
Cette étude s’est intéressée au sévoflurane. La sédation inhalée par isoflurane est également à l’étude. L’isoflurane, pourrait avoir des bénéfices spécifiques (5–7), notamment en raison de son métabolisme. Il aurait un meilleur profil de sécurité (8). Les résultats de plusieurs études de grande envergure sont en attente (INSPiRE-ICU 1 et 2).
Enfin, la question écologique doit être abordée, les halogénés étant des gaz à effets de serre importants. Il n’existe encore que peu de données concernant l’utilisation du sévoflurane en réanimation. Contrairement à l’utilisation des gaz halogénés au bloc opératoire où les gaz sont relâchés directement dans l’atmosphère, des cartouches de charbon actif sont utilisées pour capturer les gaz résiduels, permettant éventuellement leur recyclage et réutilisation. On ne connait cependant pas l’effet de l’incinération de ces cartouches sur la destruction ou le relargage des gaz halogénés.
Points forts :
Etude multicentrique randomisée avec grand effectif
Population incluse est celle d’intérêt (SDRA modéré-à-sévère)
Population homogène.
Points faibles :
Etude en ouvert
Déviations de protocole
Sédation profonde, prolongée et utilisation de curares prolongée (5 jours)
Utilisation du sévoflurane pendant 5j seulement et avec une utilisation du propofol non négligeable dans le groupe interventionnel
Pas de monitorage de fraction expirée en sévoflurane avec le risque de sur-sédation et d’effets hémodynamiques plus importants
Taux de polymédication élevée, en particulier dans le groupe sévoflurane avec une proportion non négligeable de patients recevant du propofol.
Implications et conclusions :
La sédation inhalée par sévoflurane ne doit pas être proposée aux patients avec un SDRA modéré-à-sévère en première intention. Elle est associée à une durée de ventilation mécanique invasive supérieure et probablement à une mortalité plus élevée à J90, notamment dans les SDRA non liés au COVID-19, comparée à une sédation par propofol.
En réanimation, les études portant sur l’isoflurane sont en attente. Le sévoflurane paraît devoir être abandonné.
Références cités dans les commentaires:
- Schläpfer M, Leutert AC, Voigtsberger S, Lachmann RA, Booy C, Beck-Schimmer B. Sevoflurane reduces severity of acute lung injury possibly by impairing formation of alveolar oedema: Sevoflurane and water transport. Clinical & Experimental Immunology. avr 2012;168(1):125‑34.
- Ferrando C, Aguilar G, Piqueras L, Soro M, Moreno J, Belda FJ. Sevoflurane, but not propofol, reduces the lung inflammatory response and improves oxygenation in an acute respiratory distress syndrome model: A randomised laboratory study. European Journal of Anaesthesiology. août 2013;30(8):455‑63.
- Jabaudon M, Boucher P, Imhoff E, Chabanne R, Faure JS, Roszyk L, et al. Sevoflurane for Sedation in Acute Respiratory Distress Syndrome. A Randomized Controlled Pilot Study. Am J Respir Crit Care Med. 15 mars 2017;195(6):792‑800.
- Beck-Schimmer B, Schadde E, Pietsch U, Filipovic M, Dübendorfer-Dalbert S, Fodor P, et al. Early sevoflurane sedation in severe COVID-19-related lung injury patients. A pilot randomized controlled trial. Ann Intensive Care. 27 mars 2024;14(1):41.
- Miatello J, Palacios-Cuesta A, Radell P, Oberthuer A, Playfor S, Amores-Hernández I, et al. Inhaled isoflurane for sedation of mechanically ventilated children in intensive care (IsoCOMFORT): a multicentre, randomised, active-control, assessor-masked, non-inferiority phase 3 trial. The Lancet Respiratory Medicine. juill 2025;S2213260025002036.
- Meiser A, Volk T, Wallenborn J, Guenther U, Becher T, Bracht H, et al. Inhaled isoflurane via the anaesthetic conserving device versus propofol for sedation of invasively ventilated patients in intensive care units in Germany and Slovenia: an open-label, phase 3, randomised controlled, non-inferiority trial. The Lancet Respiratory Medicine. nov 2021;9(11):1231‑40.
- L’Her E, Teiten C, Bailly P. Volatile sedation in critically ills adults undergoing mechanical ventilation: not all inhaled sedatives are equivalent! Crit Care. 14 août 2025;29(1):356.
- Sneyd JR. Avoiding kidney damage in ICU sedation with sevoflurane: use isoflurane instead. British Journal of Anaesthesia. juill 2022;129(1):7‑10.
CONFLIT D'INTÉRÊTS
Commenté par Camille ETCHEBEST et Christopher LAI. Service de Médecine Intensive Réanimation, Le Kremlin-Bicêtre, France.
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