African Critical Illness Outcomes Study (ACIOS) Investigators. The African Critical Illness Outcomes Study (ACIOS): a point prevalence study of critical illness in 22 nations in Africa. Lancet. 2025 Mar 1;405(10480):715-724. doi: 10.1016/S0140-6736(24)02846-0. Erratum in: Lancet. 2025 Apr 12;405(10486):1230. doi: 10.1016/S0140-6736(25)00688-9. Erratum in: Lancet. 2025 Sep 20;406(10509):1222. doi: 10.1016/S0140-6736(25)01868-9. PMID: 40023650; PMCID: PMC11872788.
Question évaluée :
Décrire la prévalence des états critiques chez les patients adultes hospitalisés dans un échantillon d’hôpitaux de pays africains, ainsi que les soins prodigués à ces patients et leur devenir.
Type d’étude :
Etude pan-africaine, prospective de prévalence sur une journée chez les patients adultes hospitalisés pour des soins aigus en Afrique.
Les hôpitaux ont été recrutés via l’African Perioperative Research Group et l’ Essential Emergency and Critical Care network (EECC). Tout hôpital accueillant des patients nécessitant des soins aigus pouvait participer sous réserve de se conformer aux recommandations éthiques. Ont été exclus les hôpitaux n’accueillant que des patients pour chirurgie programmée, maladie psychiatrique ou réhabilitation.
Population étudiée:
Tous les patients adultes (≥ 18 ans) admis pour des soins non programmés, dans un hôpital participant, le jour du recueil, ont été inclus.
Méthode :
Les investigateurs principaux de chaque centre choisissaient un jour unique de recueil de tous les patients inclus dans la période de l’étude, et recueillaient les critères de jugements à J7.
Les hôpitaux ont été classés en niveau 1 (local), niveau 2 (régional) ou niveau 3 (universitaire, central ou national), et les données hospitalières ont été collectées, incluant les ressources disponibles.
Les caractéristiques des patients recueillies incluaient les caractéristiques démographiques, pathologies chroniques, les paramètres vitaux au jour de l’étude, et la survie ou le décès à J7 par les investigateurs.
Les critères de jugements principaux étaient l’état critique au jour du recueil, et la mortalité intra-hospitalière à J7. Le critère de jugement secondaire était la durée d’hospitalisation.
L’état critique était défini par une altération sévère d’un des paramètres vitaux : fréquence respiratoire <8 ou ≥ 30 cycles/min, SpO2 <90%, pression artérielle systolique <90 mmHg, fréquence cardiaque <40 bat/minute ou > 130 bat/minute, ou état de conscience altéré.
Résultats essentiels :
19 872 patients (56% de femmes, âge médian 40 ans [IQR 29-59]) ont été recrutés entre le 6 septembre et le 27 décembre 2023 dans 180 hôpitaux au sein de 22 pays africains. 32% des hôpitaux (13% des patients) étaient de niveau 1, 22% (20% des patients) de niveau 2 et 46% (66% des patients) de niveau 3. Au total, 2461 (12,5%) des patients présentaient un état critique : parmi eux, 69% étaient hospitalisés dans une unité d’hospitalisation conventionnelle, 14% en unité de soins intermédiaires, et 17% en unité de soins intensifs. Le principal paramètre vital altéré chez les patients en état critique était respiratoire, dont 49% seulement ont reçu de l’oxygène. Parmi les défaillants hémodynamiques, 54% seulement ont reçu une expansion volémique ou des vasopresseurs, et parmi les défaillants neurologiques, 49% seulement ont reçu une protection des voies aériennes ou une position latérale de sécurité. La prise en charge des patients critiques selon les critères EECC (les éléments fondamentaux des soins d'urgence et de soins critiques essentiels) a été estimée complète pour 44% des patients en état critique.
La mortalité à J7 était de 4,9% (967/19780 patients) au total, et de 20,7% (507/2450) chez les patients ayant présenté un état critique, avec une majorité de décès chez les patients en service conventionnel [268/507 (53%)], en comparaison aux soins intermédiaires [102/507 (20%)] et aux soins intensifs [137/507 (27%)]. La mortalité était la plus élevée chez les patients présentant une défaillance neurologique (39%) ou plusieurs défaillances (40% pour 2 défaillances, 50% pour 3 défaillances). Les facteurs influençant la mortalité en analyse multivariée étaient :
- l’état critique : Odds Ratio ajusté 7,72 [95%CI : 6,65–8,95]
- l’âge avancé, le cancer, l’infection VIH, la chirurgie urgente, l’admission pour une infection, une pathologie non-transmissible (maladies chroniques) ou un traumatisme.
La durée médiane de séjour hospitalier était de 4 jours [IQR : 2-6] pour les patients sans état critique versus 6 jours [2-7] pour les patients avec état critique.
Enfin, parmi les 67 ressources recommandées par l’EECC (parmi lesquelles des équipements de soin comme l’oxygène, du matériel, des traitements, et du personnel), les hôpitaux disposaient en médiane de 54/67 [44-63] ressources, et seulement 13% des hôpitaux avaient toutes les ressources à disposition.
Commentaires :
Il s’agit d’une étude descriptive de grande envergure, destinée à évaluer le sujet encore mal exploré des soins critiques chez les patients en Afrique. Le résultat principal de cette étude est que la vaste majorité (près de 70%) des patients en état critique n’est pas prise en charge en unité de soins intensifs ou réanimation et présente une mortalité significative à court terme (20% à J7).
D’autre part, seulement la moitié environ des patients nécessitant un support d’organe bénéficiaient des éléments fondamentaux de prise en charge (oxygénothérapie pour la détresse respiratoire, remplissage vasculaire ou catécholamines pour la défaillance hémodynamique et protection des voies aériennes pour les troubles de la conscience).
Enfin, les données hospitalières recueillies confirment le déficit de ressources, à la fois au niveau structurel et fonctionnel.
Il s’agit d’un travail important, car les grandes études épidémiologiques en soins critiques ne concernent en général que très peu de patients d’Afrique (1,4% dans l’étude de Vincent et al. en 20141).
Points forts :
- Données prospectives évaluées au lit du malade par les investigateurs
- Très grande population de 180 hôpitaux dans 22 pays permettant une relative généralisation des résultats, bien que la majorité soient des hôpitaux de niveau 3.
- Méthodologie robuste avec analyses de sensibilité prévues à priori.
Points faibles :
- Définition pragmatique mais large de l’état critique, surestimant potentiellement le nombre de patients avec des défaillances d’organe avérées, en particulier dans le cadre de pathologies chroniques (trouble du rythme supra-ventriculaire, BPCO…).
- Une fenêtre temporelle de recrutement d’un jour, pouvant générer un biais de recrutement en cas de variation saisonnière des pathologies.
- Les patients étaient évalués sur un jour donné, et le diagnostic de défaillance pouvait être manqué.
Implications et conclusions :
La prise en charge des patients en état critique dans ces pays requiert, à court terme, une implication forte des unités d’hospitalisation conventionnelle et une évolution du paradigme de la réanimation : il ne s’agit plus seulement de sanctuariser un lieu dédié aux malades critiques, mais de diffuser des soins de support fondamentaux (oxygène, remplissage vasculaire, positionnement pour protéger les voies aériennes) devant être accessibles à tout patient en état critique, quel que soit le type d’unité dans lequel il se trouve.
Compte tenu de l’inadéquation entre les besoins et le nombre de lits de réanimation disponibles sur le continent, des difficultés structurelles et fonctionnelles rencontrées par les unités existantes, et de la nécessaire prise en charge « hors les murs » de la majorité des patients critiques, une stratégie d’innovation frugale2 apparait indispensable pour relever ce défi.
Références cités dans les commentaires:
- Vincent JL, Marshall JC, Ñamendys-Silva SA, et al. Assessment of the worldwide burden of critical illness: the Intensive Care Over Nations (ICON) audit. Lancet Respir Med. 2014;2(5):380-386. doi:10.1016/S2213-2600(14)70061-X
- Mekontso Dessap A. Frugal innovation for critical care. Intensive Care Med. 2019;45(2):252-254. doi:10.1007/s00134-018-5391-6
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Commenté par Ségolène Gendreau et Armand Mekontso Dessap, Médecine Intensive et Réanimation , CHU Henri Mondor, AP-HP, Créteil, France
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