« L’open lung approach » et la stratégie de « plus haute PEP » dans le SDRA ont sévèrement du plomb dans l’aile

25/01/2018
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reactu-open lung approach
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Effect of lung recruitment and titrated positive-end-expiratory pressure on mortality in patients with acute respiratory distress syndrome. A randomized clinical trial.
Writing group for the alveolar recruitment for acute respiratory distress syndrome trial (ART) investigators. Corresponding author: Alexandre Biasi Cavalcanti
JAMA 2017; 318:1335-45

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Question évaluée

Savoir si une stratégie de recrutement alvéolaire associée à une « haute PEP » améliore la survie de patients avec SDRA modéré ou sévère.

Type d’étude

Etude randomisée, multicentrique, menée dans 120 réanimations dans 9 pays (Brésil essentiellement et pays d’Amérique latine, Europe du sud et de l’est).

Population étudiée : patients présentant un SDRA modéré à sévère défini par une valeur de PaO2/FiO2 < 200mmHg avec PEP à 10 cmH2O.

Méthodes
Protocole

Assignation de façon aléatoire à une ventilation conventionnelle à petit volume courant et basse PEP, réglée selon l’algorithme utilisé dans l’étude de l’ARDSnet 1 ou à une ventilation petit volume courant et haute PEP précédée par une manœuvre de recrutement.  La manœuvre de recrutement consistait à augmenter le niveau de PEP par paliers, jusqu’à 45 cmH2O, en ventilation en pression contrôlée, en maintenant une « driving pressure » de 15 cmH2O. Après cela, la PEP était baissée graduellement jusqu’à la valeur associée à la meilleure compliance du système respiratoire, valeur à laquelle 2 cm H2O étaient rajoutés pour obtenir le niveau de PEP dans cette stratégie.  Après cette titration du niveau de PEP, une seconde manœuvre de recrutement en un palier à 45cmH2O était réalisée. Le niveau de pression atteint au cours des manœuvres de recrutement a été réduit à 35 cmH2O après qu’à mi-étude, ait été constaté la survenue de trois arrêts cardiaques (récupérés).

Critères de jugement

Principal : mortalité à J28.

Secondaires : durée de séjour en réanimation et à l’hôpital, “ventilator-free days” jusqu’à J28, survenue d’un pneumothorax ou d’une autre manifestation de barotrauma liée à la ventilation.

Résultats essentiels

501 patients du groupe expérimental et 509 du groupe contrôle ont été analysés.

Paramètres ventilatoires et hémodynamiques

Le volume courant était équivalent dans les deux groupes (entre 5,4 et 5,8 ml/kg durant les trois premiers jours). La PEP était significativement plus élevée dans le groupe haute PEP lors des 3 premiers jours (16,4 vs 13 cmH2O le premier jour ; 16,2 vs 12 le deuxième et 14,2 vs 10,5 le 3ème).  Cette différence s’amenuisait ensuite tout en restant significative (11,6 versus 9,6 à J7). La pression de plateau, bien que < 28 cmH2O dans les deux groupes, était significativement plus élevée dans le groupe haute PEP dépassant d’un peu plus de 2 points celle observée dans le groupe basse PEP pendant les 3 premiers jours. La « driving pressure » (pression de plateau – PEP) était inférieure à 14 cmH2O et significativement plus basse dans le groupe haute PEP, d’environ 1,5 cmH2O durant les 3 premiers jours. La compliance du système respiratoire et le rapport PO2/FiO2 étaient nettement (et très significativement) plus élevés dans le groupe haute PEP. Le recours à l’augmentation de doses de vasopresseurs ou l’hypotension étaient plus fréquents dans le groupe expérimental.

Paramètres cliniques

Critère principal : La mortalité à J28 était significativement supérieure dans le groupe « recrutement plus haute PEP » (55,3%) que dans le groupe contrôle (49 ,3% ; p = 0,041).

Critères secondaires : les « ventilator-free days » étaient significativement plus nombreux  dans le groupe contrôle (6,4 vs 5,3 ; p=0,03). Les pneumothorax nécessitant le drainage ainsi que les manifestations de barotraumatisme étaient significativement plus élevés dans le groupe expérimental (respectivement 3,2% vs 1,2% ; p=0,03 et 5,6% vs 1,6% ; p=0.001).

Commentaires

Points forts : étude randomisée de grande envergure avec protocole théoriquement rigoureux, permettant un contraste élevé entre les groupes.

Points faibles : un nombre non négligeable de violations de protocole : dans près de 100 cas, la manœuvre de recrutement n’a pu être réalisée ou a dû être interrompue du fait de troubles hémodynamiques ou désaturations artérielles dans le groupe expérimental. A l’inverse, 28 patients du groupe contrôle ont eu une manœuvre de recrutement. Par ailleurs, une modification du protocole de recrutement est survenue en cours d’étude.

Commentaires sur le fond

Il s’agit d’un triple échec retentissant : celui d’une théorie (l’atélectrauma et l’open lung approach), d’une tentative de définir un paramètre de ventilation « non-agressive »  (la « driving pressure ») et d’une stratégie thérapeutique (le recrutement et la haute PEP). Quelques rappels sont nécessaires avant de discuter les considérations physiopathologiques qui rendaient cet échec prévisible.

Les progrès considérables du pronostic du SDRA ont culminé avec trois études ayant en commun de diminuer le « volotrauma » : l’étude des petits volumes courants 1, de la curarisation systématique 2, et du décubitus ventral 3.

Par contre, trois études n’ont pas montré de bénéfice de la « plus » haute PEP en termes de survie 4-6.  Une méta-analyse de ces essais 7 a conclu qu’une « plus haute » PEP améliorait la mortalité hospitalière du SDRA modéré à sévère (et donc aggravait celui des autres). Néanmoins la significativité de ce résultat positif dans le SDRA était marginale (p=0,049). L’absence de données concernant les décisions de limitations et arrêts de traitement constituait un biais probable dans une analyse avec une significativité aussi marginale d’études ouvertes 8.

La base physiologique de cette étude se fonde sur la croyance que les phénomènes de réouvertures et de refermetures alvéolaires (atélectrauma) sont la cause essentielle des lésions induites par la ventilation mécanique qui pourraient être prévenues par une PEP « élevée » alors que la surdistension pulmonaire ne jouerait que peu de rôle. Néanmoins, il a été montré expérimentalement que la surdistension obtenue par une PEP très élevée induit des lésions, même lorsque le volume courant est bas 9. Cela semble avoir été oublié par les tenants de « l’open lung approach » que ce soit dans cette étude ou dans l’HFO qui a été un échec retentissant 10 alors qu’une méta-analyse des études antérieures en avait là-aussi prédit le succès.

Cette erreur conceptuelle préside également à la mise en avant de la « driving pressure » par rapport à la pression de plateau. La pression de plateau (Pplat) est un témoin de la distension totale (statique ou dynamique) alors que la « driving pressure » qui est la valeur de Pplat – PEP traduit la distension dynamique. Amato et ses collègues ont publié une analyse statistique extrêmement complexe au terme de laquelle  ils concluaient que plus la « driving pressure » était basse, plus faible était la mortalité 11. Premier problème : en HFO, la driving pressure est proche de zéro et le poumon est en distension statique …..et les malades meurent plus 10 ; deuxième problème : dans l’étude discutée ici dont Amato est un des auteurs majeurs, Pplat était plus basse et la driving pressure plus haute chez ceux qui mouraient moins (groupe contrôle) montrant bien quel est le meilleur prédicteur.

Conclusions et implications pour la pratique

Même si les partisans de la « plus » haute PEP tireront argument des différences de protocoles entre les 4 études, force est de constater qu’il serait plus raisonnable de limiter le niveau de PEP à ce qui est nécessaire à une oxygénation correcte, sans plus (à noter que dans cette étude, l’oxygénation était nettement meilleure dans le groupe qui mourait le plus). Roy Brower, investigateur principal de l’étude du NIH sur la haute PEP 4,  écrit dans l’éditorial accompagnant cet article :   « Après que 4 grandes études randomisées de stratégies destinées à favoriser le recrutement pulmonaire aient échoué à réduire la mortalité, peut-être devrait-on fermer la porte à « l’open lung approach »…Finalement, laisser une partie du poumon fermée avec une atélectasie permissive peut être plus protecteur pour le patient que les efforts agressifs pour maintenir le poumon ouvert » 12. Cela corrobore quelques concepts physiologiques énoncés il y a longtemps 9,13.

On pourrait aussi suggérer aux auteurs de l’étude d’avoir une approche moderne de la ventilation du SDRA : seuls 16% de leurs patients ont bénéficié du décubitus ventral.

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Conflit d'intérêts

Article commenté par le Pr Didier Dreyfuss et le Dr Jonathan Messika (Service de réanimation médico-chirurgicale, Hôpital Louis Mourier, Colombes, UFR Paris-Diderot).

Les auteurs ne déclarent aucun conflit d’intérêt.
Le contenu des fiches REACTU traduit la position de leurs auteurs, mais n’engage ni la CERC ni la SRLF.

Envoyez vos commentaires/réactions aux auteurs (didier.dreyfuss@aphp.fr) ou à la CERC.

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Liens utiles

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  2. Papazian L, Forel JM, Gacouin A, et al. Neuromuscular blockers in early acute respiratory distress syndrome. N Engl J Med. 2010;363(12):1107-1116.
  3. Guerin C, Reignier J, Richard JC, et al. Prone positioning in severe acute respiratory distress syndrome. N Engl J Med. 2013;368(23):2159-2168.
  4. Higher versus Lower Positive End-Expiratory Pressures in Patients with the Acute Respiratory Distress Syndrome. N Engl J Med. 2004;351(4):327-336.
  5. Meade MO, Cook DJ, Guyatt GH, et al. Ventilation strategy using low tidal volumes, recruitment maneuvers, and high positive end-expiratory pressure for acute lung injury and acute respiratory distress syndrome: a randomized controlled trial. Jama. 2008;299(6):637-645.
  6. Mercat A, Richard JC, Vielle B, et al. Positive end-expiratory pressure setting in adults with acute lung injury and acute respiratory distress syndrome: a randomized controlled trial. Jama. 2008;299(6):646-655.
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  8. Messika J, Gaudry S, Tubach F, et al. Under-reporting of End-of-life Decisions in Critical Care Trials: A Call to Modify CONSORT Statement. Am J Respir Crit Care Med. 2017.
  9. Dreyfuss D, Saumon G. Role of tidal volume, FRC and end-inspiratory volume in the development of pulmonary edema following mechanical ventilation. Am Rev Respir Dis. 1993;148:1194-1203.
  10. Dreyfuss D, Ricard JD, Gaudry S. Did studies on HFOV fail to improve ARDS survival because they did not decrease VILI? On the potential validity of a physiological concept enounced several decades ago. Intensive Care Med. 2015;41(12):2076-2086.
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  12. Sahetya SK, Brower RG. Lung Recruitment and Titrated PEEP in Moderate to Severe ARDS: Is the Door Closing on the Open Lung? JAMA. 2017;318(14):1327-1329.
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CERC

G. MULLER (Secrétaire)
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