L’oxygénothérapie à haut débit : le débat n’est pas clos !

10/11/2022
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Article JAMA
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Effect of High-Flow Oxygen Therapy vs Conventional Oxygen Therapy on Invasive Mechanical Ventilation and Clinical Recovery in Patients With Severe COVID-19 A Randomized Clinical Trial
G. Ospina-Tascon
JAMA. 2021;326(21):2161-2171. doi:10.1001/jama.2021.20714

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Question évaluée

Cet essai colombien compare l’oxygénothérapie à haut débit nasal (OHD) avec l’oxygène standard dans l’insuffisance respiratoire aiguë secondaire au COVID-19 modérée à sévère sur le recours à l’intubation et la récupération clinique.

Type d’étude

Essai ouvert, randomisé, contrôlé, conduit dans trois hôpitaux en Colombie entre août 2020 et janvier 2021.

Population d’étude

Les patients adultes admis dans les services d’urgences, en hospitalisation conventionnelle, ou en réanimation étaient éligibles si les critères suivants étaient réunis : insuffisance respiratoire aiguë secondaire à une infection à COVID-19, rapport PaO2/FiO2 < 200 mm Hg et signes de détresse respiratoire aiguë (utilisation des muscles respiratoires accessoires et fréquence respiratoire > 25 cycles/min.). Les patients devaient être inclus dans les 6 heures après l’apparition des signes.

Les principaux critères d’exclusion étaient les suivants : hypercapnie > 55 mm Hg, œdème aigu pulmonaire, antécédents d’insuffisance cardiaque ou de BPCO sévère, maladie neurologique démyélinisante, cirrhose Child C.

Interventions

Après inclusion et randomisation (ratio de 1 :1), les patients devaient recevoir le traitement de l’étude dans les 30 min.

Dans le bras OHD : débit 60 L/min. et FiO2 pour SpO2 ≥ 92%.

Dans le bras oxygène standard : débit d’oxygène pour SpO2 ≥ 92%.

A noter le décubitus ventral vigile était autorisé dans les deux bras, de même que les traitements antiviraux ou immuno-modulateurs. Les critères d’intubation étaient prédéfinis.

Le critère de jugement principal incluait 2 critères : l’intubation et le délai de récupération clinique entre la randomisation et J28. Cette dernière était définie par la réduction d’au moins 2 points sur une échelle ordinale allant de 1 à 7 par rapport au score à la randomisation : 1 à 2 points, sortie de l’hôpital avec reprise des activités de la vie quotidienne (sans et avec limitation) ; 3 et 4 points, hospitalisation en service conventionnel (sans ou avec oxygène/soins) ; 5 et 6 points, hospitalisation en réanimation (avec oxygénothérapie ou ventilation invasive/ECMO) ; et 7 points pour décès.

Les critères de jugement secondaires incluaient l’intubation, les jours sans ventilation à J28, l’oxygénation et la mortalité à J28.

Le nombre de sujets nécessaires était estimé à 196 patients pour montrer une diminution de 20% du taux d’intubation (de 60% dans le bras oxygène à 40 % dans le bras OHD), avec une puissance de 80% et un risque alpha de 0.05. Un nombre de 160 patients était nécessaire pour montrer une réduction de 2 jours sur le délai de guérison avec les mêmes risques alpha et beta. Compte tenu du contexte de pandémie et du risque de perdus de vue le nombre d’inclusions a été augmenté à 220.

Résultats essentiels

Population : Sur les 250 patients éligibles, 220 ont été randomisés et 199 inclus dans l’analyse en intention de traiter, 99 dans le bras OHD et 100 dans le bras oxygène standard. Les comorbidités principales étaient l’hypertension artérielle (40%) et la cirrhose Child A-B (40%). La corticothérapie était délivrée de manière similaire dans les bras (93% des patients), de même pour le décubitus ventral vigile (69% des patients).

Critère principal : le taux d’intubation était significativement plus bas dans le bras OHD (34% versus 51%, respectivement dans les bras OHD et oxygène, P=0.03), de même le taux de récupération clinique était plus élevé dans le bras OHD (78% vs 71%, respectivement dans les bras OHD et oxygène, P=0.047).

Critères secondaires : les jours sans ventilation à J28 étaient plus élevés dans le bras OHD (28 versus 24 jours, respectivement dans les bras OHD et oxygène, P=0.01). Les durées de séjour en réanimation et hospitalier n’étaient pas différentes entre les bras de traitement. La mortalité à J28 n’était pas différente (8% vs 16%, respectivement dans les bras OHD et oxygène, P=0.11).

Les délais d’intubation étaient similaires 29 h vs 22 h, respectivement dans les bras OHD et oxygène, P=0.69. La raison d’intubation était la persistance de signes de détresse respiratoire dans 100% des cas.

Commentaires

Bien que l’OHD soit devenue populaire dans les services de réanimation, sa supériorité sur les autres dispositifs d’oxygénation n’est pas établie de manière certaine dans l’insuffisance respiratoire aiguë hypoxémique. Un seul essai randomisé contrôlé a montré un bénéfice en termes de survie et d’intubation dans cette indication (1), tandis qu’un autre conduit chez les patients immunodéprimés n’a montré aucun bénéfice en termes de survie ou d’intubation (2). Dans les recommandations de pratiques cliniques récentes, l’OHD est proposée avec un faible niveau de preuve dans cette indication, car elle semble diminuer le risque d’intubation comparativement à l’oxygénothérapie standard sans certitude sur la mortalité (3). De même, aucun des supports non-invasifs d’oxygénation (OHD, oxygène standard ou ventilation non-invasive) n’a montré sa supériorité sur les autres dans l’insuffisance respiratoire secondaire au COVID-19. Des arguments physiologiques conceptuels développés récemment conduisent à son utilisation dans cette indication, car l’OHD considérée comme un support ventilatoire serait capable d’atténuer les lésions de PSILI (patient self-inflicted lung injury) (4).

Ainsi cette étude montre un effet bénéfique de l’OHD avec une diminution du taux d’intubation et une récupération clinique plus rapide, comparativement à un traitement par oxygène standard. Cependant, aucune donnée physiologique n’a été relevée dans l’étude pour apporter une explication à ce bénéfice (mesure des volumes courants, efforts inspiratoires, pressions trans-pulmonaires). Enfin, l’impact sur la mortalité n’était pas significatif malgré une tendance, qui peut suggérer un manque de puissance de l’étude.

Points forts
  • Population de l’étude représentative : taux d’intubation similaires à ceux rapportés dans les essais précédents (Florali (1) et High (2)) ; patients avec une hypoxémie modérée à sévère (PaO2/FiO2 < 200 mmHg).
  • Harmonisation des indications d’intubation par l’établissement de critères prédéterminés d’intubation
Points faibles
  • Population : faible effectif, seulement 3 centres ; calcul du rapport PaO2/FiO2 non expliqué ; traitements reçus avant inclusion non précisés.
  • Critère de jugement principal : l’intubation reste un critère subjectif, un comité d’adjudication aurait pu examiner les raisons d’intubation. La puissance était insuffisante pour montrer une éventuelle différence des taux de mortalité entre les deux stratégies.
  • Pas d’aveugle : mais est-ce possible ?
Implications et conclusions

Malgré l’absence d’impact sur la mortalité, le bénéfice de l’OHD sur la diminution du taux d’intubation conduit à privilégier son utilisation sur les autres techniques d’oxygénation dans l’insuffisance respiratoire secondaire au COVID-19. Par ailleurs, aucune étude n’a montré d’effet délétère de l’OHD comparativement aux autres supports d’oxygénation dans l’insuffisance respiratoire aiguë hypoxémique (oxygène standard ou VNI) (1, 2, 5). Ainsi son utilisation peut être envisagée dans toute insuffisance respiratoire aiguë hypoxémique. Cependant, d’autres études avec une population plus large sont nécessaires pour confirmer le bénéfice de l’OHD en termes d’intubation et surtout de mortalité. Le débat reste ouvert !

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CONFLIT D'INTÉRÊTS

Article commenté par Jean-Pierre FRAT, Service de Médecine Intensive Réanimation, CHU de Poitiers, France.

L'auteur déclare les liens suivants : rémunérations pour des présentations et des invitations à congrès médicaux de la part de SOS oxygène et Paykel Healthcare.

Le contenu des fiches REACTU traduit la position de leurs auteurs, mais n’engage ni la CERC ni la SRLF.

Envoyez vos commentaires/réactions à l'auteur (jean-pierre.frat@chu-poitiers.fr) et/ou à la CERC.

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Références
  1. High-flow oxygen through nasal cannula in acute hypoxemic respiratory failure.
    Frat JP, Thille AW, Mercat A, Girault C, Ragot S, Perbet S, Prat G, Boulain T, Morawiec E, Cottereau A, Devaquet J, Nseir S, Razazi K, Mira JP, Argaud L, Chakarian JC, Ricard JD, Wittebole X, Chevalier S, Herbland A, Fartoukh M, Constantin JM, Tonnelier JM, Pierrot M, Mathonnet A, Beduneau G, Deletage-Metreau C, Richard JC, Brochard L, Robert R.
    The New England journal of medicine 2015;372:2185-2196.
  2. Effect of high-flow nasal oxygen vs standard oxygen on 28-day mortality in immunocompromised patients with acute respiratory failure: The high randomized clinical trial.
    Azoulay E, Lemiale V, Mokart D, Nseir S, Argaud L, Pene F, Kontar L, Bruneel F, Klouche K, Barbier F, Reignier J, Berrahil-Meksen L, Louis G, Constantin JM, Mayaux J, Wallet F, Kouatchet A, Peigne V, Theodose I, Perez P, Girault C, Jaber S, Oziel J, Nyunga M, Terzi N, Bouadma L, Lebert C, Lautrette A, Bige N, Raphalen JH, Papazian L, Darmon M, Chevret S, Demoule A.
    Jama 2018.
  3. Ers clinical practice guidelines: High-flow nasal cannula in acute respiratory failure.
    Oczkowski S, Ergan B, Bos L, Chatwin M, Ferrer M, Gregoretti C, Heunks L, Frat JP, Longhini F, Nava S, Navalesi P, Uğurlu AO, Pisani L, Renda T, Thille AW, Winck JC, Windisch W, Tonia T, Boyd J, Sotgiu G, Scala R.
    The European respiratory journal 2021.
  4. Mechanical ventilation to minimize progression of lung injury in acute respiratory failure.
    Brochard L, Slutsky A, Pesenti A.
    American journal of respiratory and critical care medicine 2017;195:438-442.
  5. Official ers/ats clinical practice guidelines: Noninvasive ventilation for acute respiratory failure.
    Rochwerg B, Brochard L, Elliott MW, Hess D, Hill NS, Nava S, Navalesi PMOTSC, Antonelli M, Brozek J, Conti G, Ferrer M, Guntupalli K, Jaber S, Keenan S, Mancebo J, Mehta S, Raoof SMOTTF.
    The European respiratory journal 2017;50.
Texte

CERC

B. HERMANN (Secrétaire)
A. BRUYNEEL
G. FOSSAT
S. GOURSAUD
N. HEMING
T. KAMEL
G. LABRO
JF. LLITJOS
L. OUANES-BESBES
L. POIROUX
A. ROUZÉ
V. ZINZONI