L’utilisation de l’oxygène nasal à haut débit chez les nouveau-nés augmente le succès d’intubation orotrachéale

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Nasal High-Flow Therapy during Neonatal Endotracheal Intubation.
Kate A. Hodgson, M.B., B.S., Louise S. Owen, M.D., C. Omar F. Kamlin, D.Med.Sci., Calum T. Roberts, Ph.D., Sophie E. Newman, M.B., B.S., Kate L. Francis, M.Biostat., Susan M. Donath, M.A., Peter G. Davis, M.D., and Brett J. Manley, Ph.D.
N Engl J Med 2022; 386:1627-37. DOI: 10.1056/NEJMoa2116735

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Question évaluée

Évaluer l’impact de l’utilisation de l’oxygénothérapie nasale à haut débit sur le succès d’intubation orotrachéale dès la première tentative sans instabilité respiratoire ou hémodynamique.

Type d’étude

Essai contrôlé bicentrique, en ouvert avec une randomisation stratifiée en blocs.

Population étudiée
  • Critères d’inclusion : Nouveau-nés nécessitant une intubation orotrachéale en unité de soins intensifs ou en salle de naissance dans deux établissements australiens de niveau trois entre novembre 2018 et avril 2021.
  • Critères d’exclusion ;
    • Intubation nasotrachéale
    • Intubation en urgence
    • Fréquence cardiaque < 120/minute avant randomisation
    • Contre-indication à l’utilisation de canules nasales à haut débit
    • Infection respiratoire à Covid,
    • Cardiopathie cyanogène
Méthode
  • Essai contrôlé randomisé multicentrique comparant la thérapie nasale à haut débit avec des soins standards chez les nouveau-nés nécessitant une intubation orotrachéale. Randomisation des intubations :
    • groupe intervention : oxygénothérapie nasale à haut débit maintenue pendant toute la durée de l’intubation
    • groupe de soins standard (pas de thérapie nasale à haut débit ni d'oxygène supplémentaire)
  • Stratification selon le centre d'essai, l'utilisation d’une prémédication pour l'intubation ou non et l'âge post-menstruel du nourrisson (≤28 ou >28 semaines d’aménorrhée).
  • Critère de jugement principal : intubation réussie à la première tentative sans instabilité physiologique (définie comme une diminution absolue de la saturation en oxygène > 20 % par rapport au chiffre avant l'intubation ou la survenue d’une bradycardie avec fréquence cardiaque inférieure à 100 battements par minute)
  • Critères secondaires : la saturation médiane en oxygène pendant la tentative d'intubation, le délai et la durée de la désaturation (le cas échéant), la durée et le nombre de tentatives d'intubations.
  • Événements indésirables graves pré spécifiés : compressions thoraciques ou administration d'adrénaline dans l'heure qui suit l'intervention, la survenue d’un pneumothorax ou le décès dans les 72 heures suivant l'intervention.
Résultats essentiels
  • 251 intubations chez 202 nourrissons ont été analysées en intention de traiter : 124 et 127 intubations ont été respectivement attribuées aux groupes intervention et standard.
  • Les caractéristiques de la population étudiée étaient similaires dans les 2 groupes avec un âge médian de 27,9 semaines et un poids médian de 920 grammes.
  • Concernant le critère de jugement principal, l’intubation réussie sans instabilité physiologique à la première tentative était obtenue chez 50 % des nouveau-nés du groupe haut débit et chez 31.5 % des nouveau-nés du groupe de soins standard (différence de risque ajusté : 17.6, IC95% 6.0 à 29.2).
  • Par ailleurs, l’intubation était réussie dès la première tentative, sans tenir compte de la stabilité physiologique dans 68.5 % pour le groupe à haut débit et dans 54.3 % pour le groupe de soins standard (différence de risque ajustée 15.8, IC95% 4.3 à 27.3). Les résultats étaient similaires quel que soit le terme du nouveau-né. Il n’y avait pas de différence entre les groupes en l’absence de sédation. En revanche, l’effet observé dans le groupe intervention était plus important quand l’intubation était effectuée par un opérateur inexpérimenté.
  • En ce qui concerne le critère de jugement secondaire, la SpO2 médiane per intubation était de 94% dans le groupe intervention vs 89% dans le groupe standard (différence entre les groupes de 5%, 95% IC 1.1-8.9). Il n’a pas été rapporté de différence entre les 2 groupes pour le nombre d’intubations, la durée des tentatives ainsi que pour la survenue d’évènements indésirables graves.
Commentaires

Cette étude montre que la thérapie par oxygénothérapie nasale à haut débit améliore le taux de succès d'intubation orotrachéale à la première tentative sans instabilité hémodynamique ou respiratoire, en dehors d’un contexte d’urgence. On observe plus de succès d’intubations dès la première tentative dans le groupe haut débit avec un taux de désaturations plus faible pendant la procédure.

Même si l’utilisation de la ventilation mécanique est de moins en moins fréquente en néonatalogie, l'intubation est parfois nécessaire pour les nouveau-nés prématurés et instables (1). Ce geste est rendu difficile par la petite taille des voies aériennes des patients et leurs faibles réserves pulmonaires. Le temps imparti pour que l’intubation soit réalisée sans instabilité est donc court et les tentatives répétées d’intubation peuvent se compliquer d’hémorragies intraventriculaire et de lésions des voies respiratoires (2).

Peu d’interventions ont jusque-là amélioré significativement les chances de réussite (3). Parmi elles, la formation par simulation et le recours à la vidéo-laryngoscopie améliorent la performance technique de la procédure avec 6 enfants à traiter pour faire bénéficier un patient (4).

L’oxygénothérapie nasale à haut débit réduit le risque d’hypoxie et fournit des conditions stables plus longtemps pour permettre aux opérateurs d’intuber avec succès. Les plus jeunes professionnels sont d’ailleurs ceux qui améliorent le plus leurs performances avec l’utilisation de la thérapie haut débit. Ces résultats concordent avec ceux d'un précédent essai pédiatrique randomisé utilisant la thérapie à haut débit dans lequel il a été démontré que celle-ci prolongeait la fenêtre apnéique pendant l'anesthésie générale sans augmenter le temps de réalisation de l’intubation (5). La thérapie nasale à haut débit a été proposée pour faciliter les tentatives d’intubation et prolonger la fenêtre apnéique et s’est avérée utile chez les enfants plus âgés et les adultes (6).

Points forts
  • Il s’agit du premier essai contrôlé randomisé évaluant la thérapie nasale à haut débit avant intubation orotrachéale qui montre une amélioration du taux de succès de la procédure et de la stabilité physiologique pendant l’intubation néonatale. Cette intervention est bien tolérée et facilement généralisable en pratique.
  • Les interventions étaient enregistrées par vidéo pour limiter le risque de biais de mémoire. Le résultat principal était contrôlé par un évaluateur indépendant sur l’enregistrement vidéo.
  • La probabilité de succès de l’intubation peut être affectée par l’expérience de l’opérateur et les épisodes multiples pour le même patient mais ces facteurs étaient évalués par une analyse de sensibilité prévue dans le protocole.
Points faibles
  • En raison de la nature de l’intervention, l’aveugle n’est pas possible. L’application placebo de la thérapie haut débit pourrait provoquer une obstruction nasale et le temps pris pour appliquer les canules nasales aurait pu impacter la durée d’intubation.
  • Des dysfonctionnements mécaniques du dispositif de thérapie haut débit et la mobilisation des canules nasales ont été documentés mais non répertoriés : manquement au protocole.
  • Certaines équipes préfèrent l’intubation par voie naso-trachéale (stabilité de la sonde et diminution des dys-stimulations de la sphère orale afin de préserver l’oralité) : le fait que l’utilisation de la thérapie nasale haut débit amènerait à un changement de ces pratiques n’est pas abordé.
  • De même, la plupart des nouveau-nés en détresse respiratoire, en particulier les moins de 28SA, intubés dans les services de néonatologie bénéficient d’une ventilation nasale en pression positive continue (CPAP). Une étude similaire évaluant l’utilisation de la CPAP pendant l’intubation néonatale serait intéressante.
  • La durée de préoxygénation avec l’oxygénothérapie à haut débit n’est pas rapportée.
Implications et conclusions

La thérapie nasale à haut débit pendant l'intubation orotrachéale augmente la probabilité de réussite de l'intubation dès la première tentative sans instabilité physiologique chez le nouveau-né. En cas d’intubation orotrachéale non urgente, la mise en place de cette thérapie devrait être envisagée, notamment pour les médecins les moins expérimentés.

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CONFLIT D'INTÉRÊTS

Article commenté par Léa Douziech, Noura Zayat, et Bénédicte Gaillard-Le Roux, Réanimation néonatale et pédiatrique, CHU de Nantes, France.

Les auteures déclarent n'avoir aucun lien d'intérêt.

Le contenu des fiches REACTU traduit la position de leurs auteurs, mais n’engage ni la CERC ni la SRLF.

Envoyez vos commentaires/réactions à l'auteur (benedicte.gaillardleroux@chu-nantes.fr) et/ou à la CERC.

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CERC

B. HERMANN (Secrétaire)
A. BRUYNEEL
S. BOURCIER
M. Arnaud BRUYNEEL
C. DUPUIS
S. GENDREAU
S. GOURSAUD
G. FOSSAT
N. HIMER
T. KAMEL
G. LABRO
O. LESIEUR
A. ROUZÉ
V. ZINZONI

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RÉFÉRENCES

  1. Schulzke SM, Stoecklin B. Update on ventilatory management of extremely preterm infants—A Neonatal Intensive Care Unit perspective. von Ungern‐Sternberg B, éditeur. Pediatric Anesthesia. févr 2022;32(2):363‑71.
  2. Fiadjoe JE, Nishisaki A, Jagannathan N, Hunyady AI, Greenberg RS, Reynolds PI, et al. Airway management complications in children with difficult tracheal intubation from the Pediatric Difficult Intubation (PeDI) registry: a prospective cohort analysis. The Lancet Respiratory Medicine. janv 2016;4(1):37‑48.
  3. O’Shea JE, Scrivens A, Edwards G, Roehr CC. Safe emergency neonatal airway management: current challenges and potential approaches. Arch Dis Child Fetal Neonatal Ed. mai 2022;107(3):236‑41.
  4. Lingappan K, Arnold JL, Fernandes CJ, Pammi M. Videolaryngoscopy versus direct laryngoscopy for tracheal intubation in neonates. Cochrane Neonatal Group, éditeur. Cochrane Database of Systematic Reviews [Internet]. 4 juin 2018 [cité 21 juin 2022]; Disponible sur: https://doi.wiley.com/10.1002/14651858.CD009975.pub3
  5. Humphreys S, Lee-Archer P, Reyne G, Long D, Williams T, Schibler A. Transnasal humidified rapid-insufflation ventilatory exchange (THRIVE) in children: a randomized controlled trial. British Journal of Anaesthesia. févr 2017;118(2):232‑8.
  6. Patel A, Nouraei SAR. Transnasal Humidified Rapid‐Insufflation Ventilatory Exchange (THRIVE): a physiological method of increasing apnoea time in patients with difficult airways. Anaesthesia. mars 2015;70(3):323‑9.