
Individualized Treatment Effects of Oxygen Targets in Mechanically Ventilated Critically Ill Adults. Buell et al. JAMA 2024. doi:10.1001/jama.2024.2933
Question évaluée :
La personnalisation des cibles de SpO2 par intelligence artificielle en fonction des caractéristiques des patients permet-elle de diminuer la mortalité à 28 jours ?
Type d’étude
Analyse secondaire de 2 essais contrôlés randomisés évaluant plusieurs cibles d'oxygénation selon la SpO2 :
- Essai Pragmatique Investigation of Optimal Oxygen Targets (PILOT) : Essai randomisé monocentrique en cluster-crossover comparant 3 cibles de SpO2 (basse : 88-92%, intermédiaire : 92- 96% et haute : 96-100%) chez des patients ventilés, dans des services d’urgences et de réanimation, aux états unis, du 1/07/2018 au 31/08/2021.
- Essai Intensive Care Unit Randomized Trial Comparing Two Approches to Oxygen Therapy (ICU-ROX) : Essai contrôlé randomisé multicentrique en groupes parallèles comparant un objectif de SpO2 conservateur (SpO2 90-96 %) versus usuel (SpO2 91-100%) chez des patients ventilés dans 21 centres de réanimation en Australie et Nouvelle-Zélande entre Septembre 2015 et Mai 2018.
Population étudiée
Patients des urgences et de réanimation sous ventilation mécanique invasive.
Méthode
Les auteurs ont défini 2 groupes selon des cibles de SpO2. Le groupe cible haute de SpO2 utilisait le groupe « higher SpO2 target » de l'essai PILOT (objectif SpO2 96-100%) et le groupe « usual oxygen therapy » de SpO2 pour l'essai ICU-ROX (SpO2 91-100%). Le groupe cible basse de SpO2 utilisait le groupe « lower SpO2 target » de l'essai PILOT (SpO2 88-92%) et le groupe « conservative oxygen therapy » dans l'essai ICU-ROX (SpO2 90-96%).
Le critère de jugement principal était la mortalité à 28 jours.
En utilisant l'algorithme R-boost, une implémentation de l'algorithme de machine learning XGBoost adaptée pour l'estimation des effets individualisés de traitement, les auteurs ont calculé les effets des cibles de SpO2 prévus pour chaque patient, prenant en compte des variables démographiques et cliniques de base. L'idée était de prédire quelle cible de SpO2 serait plus bénéfique à un patient sur la mortalité à 28 jours en fonction de ses caractéristiques. Les variables utilisées dans la création du modèle étaient : variables démographiques, provenance du patient, diagnostic à l'admission, constantes vitales, créatininémie, recours au vasopresseurs / inotropes, délai entre la ventilation mécanique et la randomisation, mode de ventilation, PEP, PaCO2 et le risque prédit de mortalité à 28 jours.
Les données de l'étude PILOT ont été utilisées pour l’apprentissage de l’algorithme et celles de l'étude ICU-ROX pour la validation. Une validation croisée en 5 folds ainsi qu'un fine tuning des hyperparamètres du modèle permettait de sélectionner le meilleur algorithme possible en limitant le surapprentissage aux données d'entrainement.
Résultats essentiels
La cohorte d'entrainement de l'algorithme (Essai PILOT) comprenait 1682 patients dont 808 et 874 patients respectivement dans les groupes basse et haute cible de SpO2. La cohorte de validation (Essai ICU-ROX) comprenait 965 patients dont 484 et 481 patients respectivement dans les groupes basse et haute cible de SpO2.
L’effet individualisé d’un traitement (en clair, si le patient avait reçu le traitement qualifié par l’algorithme comme étant le plus adapté) pouvait aller d’une réduction absolue de mortalité à J28 de 27.2% dans le groupe SpO2 basse jusqu’à une réduction absolue de 34.4% dans le groupe SpO2 haute. Notons que les études prises séparément ne montraient pas de résultat significatif sur la mortalité. Les caractéristiques importantes dans la prédiction de l'effet étaient la pression artérielle moyenne, la fréquence cardiaque, l'âge et la PaCO2. Les individus bénéficiant d'une cible de SpO2 basse étaient plus âgés, majoritairement des hommes et avaient une plus grande prévalence de lésions cérébrales et de maladies cardiovasculaires. Les patients bénéficiant d'une cible de SpO2 haute étaient plus jeunes, avaient une plus haute prévalence de sepsis et de pathologies respiratoires ainsi que des valeurs plus élevées de PAM, FC, fréquence respiratoire et température.
L'effet de l'attribution des groupes de SpO2 sur la mortalité à 28 jours était significativement modifié par les effets individualisés de traitement prédits (Likelihood ratio test ; P=0.02). Les patients ayant d'après l'algorithme un bénéfice de basse SpO2 et qui étaient randomisés dans le groupe basse SpO2 avaient une diminution de 6.1 % de la mortalité à 28 jours (IC95% [-4.3-16.5%]). Pour ceux ayant un bénéfice prédit de haute SpO2 et randomisés dans le groupe basse SpO2, une augmentation significative de 13% de la mortalité à 28 jours était constatée (IC95% [3.5-22.6%]). Globalement, la mortalité totale à 28 jours aurait été diminuée de 6.4 % en absolu (IC95% [1.9-10.9%]) si les patients avaient bénéficié des cibles de SpO2 prédites par l'algorithme.
Commentaires
Ce travail apporte un nouvel éclairage sur la personnalisation des cibles de SpO2 en réanimation en prenant compte les caractéristiques individuelles des patients. Par l'emploi d'une technique innovante de machine learning, il permet d'axer l'évaluation de l'effet d'une action thérapeutique sur une échelle individuelle. L'analyse des effets individuels est habituellement traitée par l'analyse en sous-groupe qui ne considère qu'un seul sous-groupe à la fois. Mais en réalité, les patients présentent généralement plusieurs comorbidités et appartiennent donc à plusieurs sous-groupes simultanément introduisant une hétérogénéité dans l'évaluation de l'effet 1.
La cible de SpO2 adéquate en réanimation reste encore débattue. La majorité des essais contrôlés randomisés 2,3 ou des méta analyses 4 sur le sujet n'arrivent pas à dégager le bénéfice d'une stratégie plutôt qu'une autre sur la mortalité à l'échelle populationnelle. Seules les cibles extrêmes (l’hypoxie ou l’hyperoxie) apparaissent délétères 5. Ce travail montre qu'un choix plus pertinent des objectifs de SpO2 en prenant en compte des profils individuels pourrait être associé à une diminution de la mortalité à 28 jours. Ces profils sont corroborés par certains éléments de physiopathologie. Le bénéfice d'une cible basse de SpO2 chez les cérébrolésés peut être mis en parallèle avec le concept "d'hypoxemic reperfusion", théorisé pour tenter de diminuer les lésions d'ischémie-reperfusion 6. Cependant, cette stratégie doit rester modérée par la tolérance globale de l’organisme à l’hypoxémie comme ont pu le démontrer Barrot et al. qui retrouvent plus d’ischémie mésentérique dans le groupe basse SpO2 (88-92%) chez des malades en SDRA 7.
Le bénéfice de plus haute cible de SpO2 dans le cadre du sepsis ou l'extraction tissulaire de l'oxygène est abaissée prend aussi tout son sens 8. La définition de ces profils de patients devrait permettre à l'avenir de pouvoir vérifier le bénéfice de ces stratégies au travers d'essais contrôlés randomisés conçus spécifiquement pour ces groupes d'individus.
Points forts
- Critère de jugement principal dur.
- Entrainement du modèle sur un large échantillon et validation sur une cohorte multicentrique.
- Indépendance des études sur le plan temporel et géographique permettant une bonne généralisation de l'algorithme.
- Originalité de l'analyse des effets individuels par machine-learning.
Points faibles
- Analyse secondaire d'essais randomisés
- Hétérogénéité des groupes sur les cibles de SpO2 avec une définition assez différente des groupes haute et basse SpO2 dans les 2 essais.
- Non prise en compte de l'effet de la pandémie COVID-19 sur un des 2 essais (PILOT)
- Applicabilité au lit du patient qui reste encore à démontrer
Implications et conclusions
Cette étude apporte un nouveau regard sur la personnalisation de cibles de SpO2 pouvant potentiellement réduire la mortalité pour certains patients tout en évitant des effets délétères pour d'autres. Elle nous invite à considérer l'aide que peut fournir l'intelligence artificielle dans la personnalisation des thérapeutiques en réanimation. En conclusion, la considération des caractéristiques individuelles dans le choix de la cible de SpO2 chez les patients ventilés permettrait de diminuer la mortalité à 28 jours.
Références cités dans les commentaires
- Kent DM, Hayward RA. Limitations of applying summary results of clinical trials to individual patients: the need for risk stratification. JAMA. 12 sept 2007;298(10):1209‑12.
- The ICU-ROX Investigators and the Australian and New Zealand Intensive Care Society Clinical Trials Group. Conservative Oxygen Therapy during Mechanical Ventilation in the ICU. N Engl J Med. 12 mars 2020;382(11):989‑98.
- Nielsen FM, Klitgaard TL, Siegemund M, Laake JH, Thormar KM, Cole JM, et al. Lower vs Higher Oxygenation Target and Days Alive Without Life Support in COVID-19: The HOT-COVID Randomized Clinical Trial. JAMA. 9 avr 2024;331(14):1185‑94.
- Jiang X, Qiu D. Effects of Conservative Oxygen Therapy versus Conventional Oxygen Therapy on the Mortality in ICU Patients: A Meta-Analysis. Jain PP, éditeur. Can Respir J. 14 oct 2023;2023:1‑7.
- Girardis M, Busani S, Damiani E, Donati A, Rinaldi L, Marudi A, et al. Effect of Conservative vs Conventional Oxygen Therapy on Mortality Among Patients in an Intensive Care Unit: The Oxygen-ICU Randomized Clinical Trial. JAMA. 18 oct 2016;316(15):1583.
- Tasoulis M, Douzinas EE. Hypoxemic reperfusion of ischemic states: an alternative approach for the attenuation of oxidative stress mediated reperfusion injury. J Biomed Sci. 19 janv 2016;23(1):7.
- Barrot L, Asfar P, Mauny F, Winiszewski H, Montini F, Badie J, et al. Liberal or Conservative Oxygen Therapy for Acute Respiratory Distress Syndrome. N Engl J Med. 12 mars 2020;382(11):999‑1008.
- Mallat J, Rahman N, Hamed F, Hernandez G, Fischer MO. Pathophysiology, mechanisms, and managements of tissue hypoxia. Anaesth Crit Care Pain Med. août 2022;41(4):101087.
CONFLIT D'INTÉRÊTS
Commenté par le Dr Geoffray Agard et le Pr Sami Hraiech, Médecine Intensive Réanimation, APHM, CHU Nord Marseille.
Les auteurs ne déclarent pas de conflit d'intérêt en lien avec cet article.
Le contenu des fiches REACTU traduit la position des auteurs, mais n’engage ni la CERC ni la SRLF.
Envoyez vos commentaires/réactions à l'auteur (geoffray.agard@ap-hm.fr) , (sami.hraiech@ap-hm.fr) et à la CERC.
CERC
G. LABRO (Secrétaire)
S. BOURCIER
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C. DUPUIS
S. GENDREAU
S. GOURSAUD
G. FOSSAT
N. HIMER
T. KAMEL
O. LESIEUR
A. ROUZÉ
V. ZINZONI