Oxygénothérapie à haut débit avec obstruction de la trachéotomie ou aspirations pour décanulation

03/03/2022
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High-Flow Oxygen with Capping or Suctioning for Tracheostomy Decannulation
Gonzalo Hernández Martínez, Maria-Luisa Rodriguez, Maria-Concepción Vaquero, Ramón Ortiz, Joan-Ramon Masclans, Oriol Roca, Laura Colinas, Raul de Pablo, Maria-Del-Carmen Espinosa, Marina Garcia-de-Acilu, Cristina Climent, Rafael Cuena-Boy
N Engl J Med 2020;383:1009-17. DOI: 10.1056/NEJMoa2010834

Texte
Question évaluée

Les données concernant le choix du moment de la décanulation sont limitées (avis d’expert, expériences monocentriques, scores non validés). Le test le plus utilisé consiste à boucher la trachéotomie et à évaluer les possibilités de respiration par le nez et la bouche. Ces protocoles ont une spécificité et une valeur prédictive positive élevées mais leur nature précautionneuse risque de retarder la décanulation.  Une autre stratégie est la quantification des aspirations nécessaires via la canule de trachéotomie. Un nombre réduit serait un indicateur de succès potentiel de décanulation.

L’essai REDECAP (Reducing Decannulation Time Limiting Capping), compare les évaluations de possibilités de décanulation à partir de la fréquence des aspirations et de l’obturation de la canule. Tous les patients recevaient une oxygénothérapie haut débit (OHD) quand ils respiraient à travers leur trachéotomie.

Population étudiée

Critères d’inclusion : Tous les patients trachéotomisés en réanimation, après un sevrage de la ventilation mécanique supérieur à 24h.

Critères d’exclusion :

  • Contre-indication à la décanulation (troubles de conscience, troubles de déglutition importants, défaut de perméabilité des voies aériennes, atteinte neuromusculaire autre qu’une neuromyopathie de réanimation)
  • Age inférieur à 18 ans
  • Risque de décès intra hospitalier (score de Sabadell)

Recueil de données du jour de l’inclusion à celui de la sortie de l’hôpital avec suivi de tous les patients jusqu’à la sortie de l’hôpital ou au décès.

Méthode
  1. Design de l’essai

Etude randomisée dans 5 services de réanimation en Espagne

  1. Protocoles de sevrage ventilatoire et de décanulation

Sauf exception, les patients avaient le même modèle de trachéotomies (TRACOE Twist fenêtrée chemise interne fenêtrée 7 mm) et le sevrage ventilatoire était standardisé, avec des épreuves de respiration spontanée de durée croissante jusqu’à une durée de 12h consécutives pendant 2 jours de suite, après quoi les patients étaient mis sous OHD en continu. La ventilation était considérée comme étant sevrée après 24h d’OHD sans rebranchement au ventilateur.

Dans le groupe contrôle, la décision de décanulation était basée sur le succès d’un essai d’obturation de la canule durant 24h, ballonet dégonflé. Les essais d’obturation étaient débutés quand moins d’une aspiration toutes les 4h était nécessaire sur une période de 12h.

Dans le groupe intervention, la décanulation intervenait quand moins de 2 aspirations par 8 h sur une période de 24h étaient pratiquées (soit un rythme proche de celui retenu pour débuter les épreuves d’obstruction de canule dans le groupe contrôle). Aucune obturation de la canule chez ces patients.

Tous les patients bénéficiaient d’OHD sur la trachéotomie (37°, 60L/min) quand ils respiraient à travers la trachéotomie. Elle était donc intermittente dans le groupe contrôle alors qu’elle était continue dans le groupe intervention.

  1. Critères d’évaluation

Critère principal : délai entre le sevrage de la ventilation mécanique et la décanulation.

Critères secondaires : échec de décanulation, échec de sevrage, infections respiratoires, sepsis, défaillance multi viscérale, durée de séjour en réanimation et à l’hôpital, réadmission en réanimation, décès en réanimation ou intra hospitalier.

Résultats essentiels
  1. Patients

Entre mai 2016 et mai 2018, 661 patients ont été screenés et 330 (50%) ont été randomisés : 161 dans le groupe contrôle et 169 dans le groupe intervention. L’âge moyen était de 58 +/- 15 ans et il y avait 68% d’hommes. Les caractéristiques démographiques et cliniques étaient comparables entre les 2 groupes.

  1. Critère principal

Le temps de décanulation était plus court dans le groupe intervention avec 6 jours intervalle interquartile [5-7] contre 13 jours [12-14] dans le groupe contrôle, soit une différence absolue de 7 jours 95% CI [5-9]  (résultats en intention de traiter). Mais il n’y a pas de détail sur la durée entre le sevrage ventilatoire et le débuter des épreuves d’occlusion de la canule.

  1. Critères secondaires

Les échecs de sevrages étaient plus fréquents dans le groupe contrôle que dans le groupe intervention, 16,7% versus 6,5% (différence de 10,3% IC 95% [3,4 à 17,4]), de même que les pneumonies (9.9% versus 4.1%, différence 5.8% IC 95% [0,2 à 11,8%]). En revanche, il n’y avait pas significativement plus de recanulation (5,6% versus 2,4%, différence 3,2% 95%CI [-1,2 à 8,1]. Enfin, la durée de séjour médiane à l’hôpital plus longue de 14 jours dans le groupe contrôle (62 versus 28) IC 95% [9 à 33].

Commentaires

Dans le groupe intervention, la décanulation (basée sur la fréquence des aspirations) intervient significativement plus précocement (7 jours en moyenne), Recanulations plus fréquents (bien que NS) dans le groupe contrôle (9 patients versus 4. différence de 3,2% IC 95% [-1,2 à 8,1]).  Tendance à des complications notamment infectieuses plus fréquentes dans le groupe contrôle où les canules de trachéotomies étaient présentes plus longtemps, mais différences non significatives.

L’explication la plus plausible est que dans le groupe contrôle, l’initiation de l’obstruction de la canule était débutée tardivement (le délai n’est pas précisé dans l’article), avec des critères assez proches de ceux permettant la décanulation dans le groupe intervention (<1 aspiration/4h sur 12h, soit 6/ 24h versus 2 aspirations/8h pendant 24h, soit 6/24h). Ces résultats peuvent aussi s’expliquer par le caractère trop restrictif du critère de décanulation dans le groupe contrôle, comme en témoignent le taux important d’échecs de l’occlusion de la canule (73%) ainsi que le nombre élevé de déviations du protocole avec 12 patients décanulés avec succès selon les critères du groupe intervention alors qu’ils avaient échoué les épreuves d’obstruction de canule. Ces échecs d’obstruction pourraient également favoriser une détérioration clinique.

Bien qu’en faveur de la comparabilité des groupes, tous les patients avaient les mêmes canules, contrairement à ce qui est habituellement fait dans les protocoles d’obstruction de canule où une réduction de calibre progressive est réalisée. Le maintien d’une canule de trachéotomie à ballonnet réduit la filière trachéale ce qui peut limiter la tolérance de l’obstruction et donc favoriser les échecs dans le groupe controle2.

Enfin, il est difficile de faire la part des choses entre le protocole selon aspiration ou obstruction et le rôle de l’OHD puisque le temps d’OHD plus long dans le groupe intervention3 pourrait avoir accéléré le sevrage et constitue donc un biais méthodologique.

Il manque également des données d’évaluation morphologique : la liberté des voies aériennes supérieures a-t-elle été évaluée par endoscopie ?

Points forts
  • Etude prospective, randomisée, multicentrique (mais plus de 80% des patients issus du même centre)
  • Grand nombre de patients
  • Pratiques sur le sujet basées essentiellement sur des habitudes sans preuve scientifique, question peu étudiée
  • Pas plus de recanulations dans le groupe intervention
Points faibles

Les conditions différentes entre les groupes semblent favoriser le groupe intervention :

  • Temps d’OHD très différent dans les 2 groupes
  • Probable retard à l’initiation du protocole dans le groupe contrôle du fait de critères d’obturation quasi superposables aux critères de décanulation du groupe intervention.
  • Absence de données sur les délais d’initiation de l’obstruction de la canule, la durée d’OHD dans le groupe contrôle
  • Filière trachéale réduite par des canules taille 7 à ballonnet, réduisant la tolérance de l’obstruction.

Le protocole de sevrage de la trachéotomie débutait dans les 2 groupes qu’une fois le sevrage de la ventilation obtenu, ce qui a probablement fait perdre du temps ; dans notre pratique clinique, l’obstruction intermittente de la canule débute avant que la ventilation soit totalement sevrée, ce qui permet notamment de rééduquer la déglutition et la phonation

Implications et conclusions

L’étude REDECAP conclut de manière statistiquement significative que le protocole basé sur le nombre d’aspirations endo-trachéales avec OHD continue permet une décanulation plus précoce que celui reposant sur l’obstruction de la canule avec OHD quand la canule est ouverte.

Les nombreuses limites du protocole ne permettent pas de préconiser cette méthode, la décanulation semblant retardée dans le groupe contrôle, trop restrictif. En revanche, il parait sécuritaire de décanuler un patient sans réaliser de test d’obstruction de canule. On peut retenir que la décanulation doit être évaluée et réalisée le plus précocement possible, probablement avec un protocole, sans que celui-ci ne soit trop restrictif pour ne pas retarder des décanulations et majorer la morbidité.

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CONFLIT D'INTÉRÊTS

Article commenté par Julie Paquereau, PH en Médecine Physique et Réadaptation à l’hôpital Raymond Poincarré, APHP, Garches.

L'auteur déclare n'avoir aucun lien d'intérêt.

Le contenu des fiches REACTU traduit la position de leurs auteurs, mais n’engage ni la CERC ni la SRLF.

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Références

  1. Capping or Suctioning for Tracheostomy Decannulation.
    Pandian V, McGrath BA, Brenner MJ.
    N Engl J Med. 2020 Dec 17;383(25):2480. doi: 10.1056/NEJMc2031385. PMID: 33326723

  2. Capping or Suctioning for Tracheostomy Decannulation.
    Thiboutot J, Feller-Kopman D.
    N Engl J Med. 2020 Dec 17;383(25):2480-2481. doi: 10.1056/NEJMc2031385. PMID: 33326724.

  3. Capping or Suctioning for Tracheostomy Decannulation.
    Tretiakow D, Springer J, Skorek A.
    N Engl J Med. 2020 Dec 17;383(25):2481. doi: 10.1056/NEJMc2031385. PMID: 33326725.

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CERC

B. HERMANN (Secrétaire)
A. BRUYNEEL
G. DECORMEILLE
S. GOURSAUD
N. HEMING
G. JACQ
T. KAMEL
G. LABRO
JF. LLITJOS
L. OUANES-BESBES
L. POIROUX
A. ROUZÉ