Peu importe le flacon, pourvu qu’on ait la BPCO !

29/10/2020
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Article AJPM
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Association of E-Cigarette Use With Respiratory Disease Among Adults: A Longitudinal Analysis
Bhatta DN, Glantz SA.
Am J Prev Med. 2020 Feb;58(2):182-190.

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Question évaluée

Déterminer si l’utilisation de e-cigarette (cigarette électronique) est associée à l’existence et à l’incidence de pathologies respiratoires.

Type d’étude

Etude de cohorte prospective observationnelle avec suivi longitudinal.

Population étudiée

Population issue d’un échantillon représentatif de la population générale des Etats-Unis (Population Assessment of Tobacco and Health (PATH)).

Méthode

A partir de la base de données PATH, les auteurs ont déterminé la fréquence des pathologies respiratoires à l’inclusion (visite 1 (septembre 2013 à décembre 2014)) puis lors de 2 visites successives (visite 2 (octobre 2014 à octobre 2015) et visite 3 (octobre 2015 à octobre 2016)).

A chaque visite, le patient devait répondre à un questionnaire portant sur l’existence de pathologies respiratoires (auto-évaluation), sa consommation tabagique et/ou de e-cigarette et des données démographiques usuelles. Dans l’analyse longitudinale, les sujets ayant déclaré avoir une pathologie respiratoire à la visite 1 était censuré pour l’analyse de la visite 2 et 3.

Les pathologies respiratoires considérées étaient l’asthme, la BPCO, la bronchite chronique et l’emphysème.

Les sujets étaient considérés comme consommateur de tabac et/ou de e-cigarette s’il en avait déjà consommé tous les jours ou pendant plusieurs jours au cours de leur vie.

Une régression logistique a été réalisée pour évaluer l’association entre l’utilisation de e-cigarette et l’existence ou l’incidence de pathologies respiratoires et ce après ajustement sur les facteurs confondants habituels (tabagisme, âge, sexe, niveau socio-économique, ethnie).

Résultats essentiels

Sur plus de 30 000 patients inclus, 5466 (15%) rapportaient avoir une pathologie respiratoire à la visite 1. Ces patients n’ont donc pas été inclus dans l’analyse longitudinale. L’existence d’une pathologie respiratoire à l’inclusion était significativement associée à l’utilisation de e-cigarette (odds ratio ajusté (ORa) = 1.34, IC 95% =1.23, 1.46), à la consommation de tabac (ORa=1.32, IC 95% =1.17, 1.49) ainsi que l’existence d’un diabète (ORa=1.38, IC 95% = 1.20, 1.60) ou d’une hypertension artérielle (ORa=1.40, IC 95% = 1.21, 1.61). Les effets de la e-cigarette et du tabac étaient indépendants.

Parmi les patients indemnes de pathologie respiratoire à la visite 1, 6% des patients ont développé une pathologie respiratoire au cours du suivi longitudinal (visite 2 ou 3).  L’utilisation de e-cigarette était associée à l’incidence des pathologies respiratoires (ORa=1.29, IC 95% =1.03, 1.61) mais de manière moins importante que la consommation de tabac (ORa = 2.56, IC 95% =1.92, 3.41). Par ailleurs, l’utilisation combinée de tabac et de e-cigarette avait un effet synergique sur l’incidence de pathologies respiratoires (ORa = 3.30).

Enfin, cette incidence plus importante était observée pour les différentes pathologies respiratoires incluses : la BPCO, la bronchite chronique, l’emphysème et l’asthme.

Commentaires

La e-cigarette est souvent présentée comme une aide potentielle au sevrage tabagique. Dans une analyse Cochrane portant sur 1246 patients issus de 3 essais randomisés contrôlés, la e-cigarette permettait de multiplier par deux le taux d’arrêt du tabac (RR 2,29; IC95% [1,05-4,96]) (1). De manière similaire, dans un essai randomisé incluant 886 patients, l’utilisation de l’e-cigarette permettait un sevrage tabagique plus efficace que les substituts nicotiniques seuls (2). Enfin, l’exposition à des substances cancérogènes et toxiques semblent nettement moins importante avec la e-cigarette qu’avec le tabac (3).

La e-cigarette ne fait néanmoins l’objet, à l’heure actuelle, d’aucune recommandation pour le sevrage tabagique en raison de l’insuffisance de données sur son efficacité et son innocuité à long terme. Le Haut Conseil de la Santé Publique a cependant proposé que la e-cigarette puisse être considérée comme une aide pour arrêter ou réduire la consommation de tabac des fumeurs tout en mettant en garde sur le risque qu’elle peut constituer une porte d’entrée dans le tabagisme (4).

En effet, les e-cigarettes ont connu un succès fulgurant; les taux de vapotage chez les adolescents augmentent à un rythme alarmant (5). Étant donné que la nicotine est un médicament qui abaisse le seuil de dépendance à d’autres drogues, on peut supposer que l’utilisation de e-cigarette pourrait favoriser la survenue d’une dépendance aux opioïdes (6). Par ailleurs, de récentes données ont montré que l’utilisation de e-cigarette augmentait non seulement l’inflammation pulmonaire mais avait également des conséquences au niveau systémique (7, 8). De plus, plusieurs milliers d’insuffisance respiratoire aiguë en lien avec l’utilisation d’e-cigarette (EVALI = e-cigarette or vaping product use-associated lung injury), ont également été rapportées (9-11).

Des données avec une évaluation à long terme des effets de la e-cigarette manquait jusqu’alors. L’étude présentée ici est une des premières menées en population générale avec un suivi longitudinal mettant en évidence le lien entre l’utilisation de e-cigarette et l’incidence de pathologies respiratoires. L’analyse d’une autre base de données américaine incluant plus de 700 000 sujets confirme ces résultats (12).

Par ailleurs, l’utilisation de e-cigarettes semble agir de manière additive avec la consommation concomitante de tabac sur le risque de pathologies respiratoires. Le constat est le même concernant l’incidence des pathologies cardiovasculaires (13). Ce résultat appelle à la prudence puisque qu’on considère que près de la moitié des utilisateurs de e-cigarette à des fins de sevrage tabagique consomment simultanément des cigarettes de tabac et ne réduisent que très peu leur consommation globale.

Point fort
  • L’analyse s’appuie sur un suivi longitudinal d’un large échantillon (30 000 patients) représentatif de la population générale.
Points faibles
  • Le diagnostic de pathologie respiratoire est simplement déclaratif («Un médecin ou un professionnel de santé vous a-t-il déjà dit que vous aviez l’une des affections respiratoires suivantes (asthme , BPCO, bronchite chronique, emphysème)?») et non basé sur des critères diagnostiques robustes d’où la possibilité d’un biais de sélection.
  • Certains facteurs de risque de pathologies respiratoires comme la pollution atmosphérique ou l’exposition environnementale (poussières organiques, biomasse, …) n’ont pas été pris en compte.
Implications et conclusions

La e-cigarette est probablement un outil intéressant d’aide au sevrage tabagique. Comme en attestent les résultats de cette étude, son utilisation seule est probablement moins nocive que la consommation de tabac, mais elle n’est pas sans risque ! Par ailleurs, la e-cigarette peut constituer un point d’entrée dans le tabac et l’addiction à la nicotine.

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LIENS UTILES

  1. Hartmann-Boyce J, McRobbie H, Bullen C, et al. Electronic cigarettes for smoking cessation. The Cochrane database of systematic reviews. 2016;9(9):CD010216-CD.
  2. Hajek P, Phillips-Waller A, Przulj D, et al. A Randomized Trial of E-Cigarettes versus Nicotine-Replacement Therapy. The New England journal of medicine. 2019;380(7):629-37.
  3. Shahab L, Goniewicz ML, Blount BC, et al. Nicotine, Carcinogen, and Toxin Exposure in Long-Term E-Cigarette and Nicotine Replacement Therapy Users: A Cross-sectional Study. Ann Intern Med. 2017;166(6):390-400.
  4. Avis HCSP du 24/02/2016. Bénéfices-risques de la cigarette électronique pour la population générale. https://www.hcsp.fr/explore.cgi/avisrapportsdomaine?clefr=541
  5. Miech R, Johnston L, O’Malley PM, et al. Adolescent Vaping and Nicotine Use in 2017–2018 — U.S. National Estimates. New England Journal of Medicine. 2018;380(2):192-3.
  6. Kandel ER, Kandel DB. Shattuck Lecture. A molecular basis for nicotine as a gateway drug. The New England journal of medicine. 2014;371(10):932-43.
  7. Ghosh A, Coakley RD, Ghio AJ, et al. Chronic E-Cigarette Use Increases Neutrophil Elastase and Matrix Metalloprotease Levels in the Lung. American journal of respiratory and critical care medicine. 2019;200(11):1392-401.
  8. Kuntic M, Oelze M, Steven S, et al. Short-term e-cigarette vapour exposure causes vascular oxidative stress and dysfunction: evidence for a close connection to brain damage and a key role of the phagocytic NADPH oxidase (NOX-2). European heart journal. 2019.
  9. MacMurdo M, Lin C, Saeedan MB, et al. e-Cigarette or Vaping Product Use-Associated Lung Injury: Clinical, Radiologic, and Pathologic Findings of 15 Cases. Chest. 2020;157(6):e181-e7.
  10. Kalininskiy A, Bach CT, Nacca NE, et al. E-cigarette, or vaping, product use associated lung injury (EVALI): case series and diagnostic approach. The Lancet Respiratory Medicine. 2019;7(12):1017-26.
  11. Werner AK, Koumans EH, Chatham-Stephens K, et al. Hospitalizations and Deaths Associated with EVALI. The New England journal of medicine. 2020;382(17):1589-98.
  12. Osei AD, Mirbolouk M, Orimoloye OA, et al. Association Between E-Cigarette Use and Chronic Obstructive Pulmonary Disease by Smoking Status: Behavioral Risk Factor Surveillance System 2016 and 2017. American journal of preventive medicine. 2020;58(3):336-42.
  13. Kim C-Y, Paek Y-J, Seo HG, et al. Dual use of electronic and conventional cigarettes is associated with higher cardiovascular risk factors in Korean men. Scientific Reports. 2020;10(1):5612.
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CONFLIT D'INTÉRÊTS

Article commenté par Thibaud Soumagne, Service de Réanimation médicale, CHRU de Besançon, France.

L’auteur déclare ne pas avoir de liens d’intérêt en rapport avec cette REACTU.

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