Le phénotypage du SDRA, ça marche aussi en pédiatrie!

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Identification of phenotypes in paediatric patients with acute respiratory distress syndrome: a latent class analysis. Dahmer et al. Lancet Respir Med 2022 Mar;10(3):289-297

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Introduction

Aucune thérapeutique pharmacologique en dehors des curares n’a montré son efficacité dans la réduction de la mortalité du SDRA, ce qui pourrait être en partie lié à l’hétérogénéité clinique et biologique de ce syndrome. Pour autant, l’efficacité des corticostéroïdes dans le SDRA associé au SARS-CoV2 fait aujourd’hui rediscuter leur utilisation dans le SDRA en général (1)Les données chez l’adulte suggèrent en effet qu’il existe 2 phénotypes hypo et hyperinflammatoires dans le SDRA, avec un devenir différent et potentiellement une susceptibilité différente à certaines molécules (2)

La population pédiatrique étant marquée par une hétérogénéité supplémentaire du fait de la variabilité développementale, l’hypothèse des auteurs est qu’il existe également différents phénotypes dans le SDRA de l’enfant.

Objectif

Caractériser les différents phénotypes présents dans le SDRA de l’enfant selon leurs caractéristiques cliniques et biologiques, en utilisant une approche statistique par analyse de classes latentes (ACL), (ou « latente class analysis (LCA) »), analyse similaire à celle déjà effectuée dans le SDRA de l’adulte par Sinha et al.  (2).

Type d’étude

Il s’agit d’une analyse secondaire de l’essai contrôlé randomisé RESTORE (Randomized Evaluation of Sedation Titration for Respiratory Failure) comparant l’effet de deux types de titration de sédation sur la réduction de la durée de ventilation mécanique chez l’enfant en insuffisance respiratoire aiguë  (3), et de son étude ancillaire BALI (Genetic Variation and Biomarkers in Children with Acute Lung Injury), les deux études ayant été conduites aux USA de 2009 à 2013.

Population étudiée

Critères d’inclusion :

  • Patients inclus dans RESTORE : enfants âgés de 2 semaines à 17 ans sous ventilation mécanique invasive (VM) pour une insuffisance respiratoire aiguë
  • Critères de SDRA pédiatrique selon la définition de la conférence PALICC 2015 (4)
  • Echantillons plasmatiques disponibles pour l’analyse des biomarqueurs inflammatoires (étude BALI)

Critères d’exclusion :

  • dépendance à la VM avant l’admission en réanimation ou extubation envisagée dans les 24h suivant l’intubation.
Méthodes 

Les auteurs ont cherché à identifier les phénotypes distincts de patients en fonction de leurs données démographiques, cliniques, et biologiques. Les caractéristiques biologiques incluaient les dosages de plusieurs biomarqueurs reflétant la réponse inflammatoire, endothéliale et de la coagulation déjà analysés dans l’étude BALI (antagoniste du récepteur à l’interleukine 1 (IL-1ra), interleukine 8 (IL-8), protéine du surfactant D (SPD), inhibiteur de l’activation du plasminogène (PAI-1), thrombomoduline (TM)), ou dosé a posteriori (interleukine 6 (IL-6), récepteur soluble au facteur de nécrose tumorale (sTNFr1), angiotensine 2 (Ang-2), récepteur pour les produits avancés de glycation (RAGE), molécule d’adhésion intercellulaire (ICAM1), Protéine C). Les échantillons plasmatiques étaient collectés dans les deux jours suivant le diagnostic de SDRA. Les dosages protéiques étaient réalisés par techniques d’immunoanalyse (ELISA ou multiplex)

L’approche utilisée pour identifier les phénotypes était une analyse par ACL. Il s’agit d’une méthode statistique non supervisée, fondée sur des modèles de mélange (« mixture modeling »). Ce type de modélisation permet d’identifier des sous-groupes homogènes de patients (ou classes) dans une population hétérogène, à partir de données recueillies à l’admission ou au cours du temps sans connaitre le devenir des patients (2).

Dans cette étude, les variables inclues dans les modèles étaient identiques à celles utilisées dans les études adultes (1,2). Certaines étaient modifiées pour s’adapter aux particularités du SDRA pédiatrique (i.e. le rapport PaO2/FiO2 était remplacé par l’index d’oxygénation), et/ou standardisées selon l’âge ou le poids.

Plusieurs modèles comportant entre 2 et 5 classes ont été construits. Le modèle optimal était choisi à l’aide de plusieurs critères d’ajustement et de performance utilisés dans ce type de modélisation (notamment le test du rapport de vraisemblance Vuong-Lo-Mendell-Rubin (VLMR) pour évaluer le nombre de classes optimal, et l’entropie (qui informe sur le degré de séparation entre les classes) (5).

Les patients étaient ensuite assignés à leur classe d’appartenance de manière à comparer leurs caractéristiques et leur devenir.

Le critère de jugement principal était un équivalent du nombre de jours sans VM à J28 (durée de VM pendant les 28 premiers jours, les patients décédés avant J28 étant considérés comme ayant reçu 28 jours de VM). Le critère de jugement secondaire était la mortalité à 90 jours.

L’effet du protocole de sédation (intervention de l’étude RESTORE) sur les deux critères en fonction des phénotypes était évalué.

Les auteurs ont également cherché à savoir si les classes identifiées à l’aide de l’ACL pouvaient être prédites de manière plus simple en sélectionnant les 2 ou 3 biomarqueurs les plus discriminants identifiés par l’ACL, ou en appliquant les algorithmes proposé par Sinha et al. chez l’adulte combinant deux biomarqueurs (parmi  sTNFr1, IL-6, et IL-8) et le recours aux vasopresseurs (2).

Résultats essentiels

L’analyse a porté sur 304 patients (âge médian 4.1 [0.7 ; 11] ans). Trente-cinq variables ont été prises en compte dans l’ACL. Le modèle optimal comportait finalement deux classes, nommées phénotype 1 et 2.

Les variables avec le degré de séparation le plus important entre les deux phénotypes étaient les biomarqueurs associés à la réponse inflammatoire et endothéliale. En particulier, le phénotype 2, hyper-inflammatoire, était caractérisé par un niveau plus élevé de cytokines pro-inflammatoires (sTNFr1, IL-6 et IL-8). Ce phénotype était également marqué par la présence d’un sepsis et le recours aux vasopresseurs. A l’inverse le phénotype 1, hypo-inflammatoire, était caractérisé par la présence plus fréquente d’une bronchiolite aigue virale comme diagnostic initial.

La proportion de SDRA sévère était plus importante dans le phénotype 2 hyper-inflammatoire (53%) que dans le phénotype 1 hypo-inflammatoire (29%, p=0.0001). L’appartenance au phénotype 2 hyper-inflammatoire était associée à une augmentation de la durée de VM (10 jours vs 6.6 jours, p<0.0001) et de la mortalité à J90 (13.8 vs 2.2%, p=0.0001), sans interaction liée à l’intervention de l’étude RESTORE (pas d’effet du protocole de sédation en fonction des phénotypes).

Les modèles validés chez l’adulte combinant sTNFr1, IL-6 ou IL-8, et le recours aux vasopresseurs, présentaient une performance correcte pour prédire le phénotype 2 hyper-inflammatoire (AUC > 0.95) avec toutefois une sensibilité faible pour un seuil de probabilité > 0.5 d’être assigné à ce phénotype. Cette sensibilité était améliorée si les cut-off de ces variables étaient définis à partir de la cohorte de l’étude pédiatrique.

Commentaires

L’individualisation de la prise en charge est un sujet d’importance majeure en soins critiques, particulièrement en pédiatrie dont la population est marquée par une hétérogénéité supplémentaire, notamment en termes d’âge et de particularités développementales. Dans cette optique les recommandations sur le SDRA pédiatrique réactualisées en 2023 insistent sur la nécessité d’évaluer des stratégies plus individualisées et centrées sur le patient en fonction de ses particularités cliniques, biologiques et physiologiques (4).

Cette étude s’inscrit totalement dans ce contexte, et conforte les données déjà publiées chez l’adulte sur la caractérisation des phénotypes inflammatoires dans le SDRA (2). Des études transcriptomiques avaient déjà permis d’identifier différents endotypes de sepsis chez les enfants avec une insuffisance respiratoire aiguë hypoxémiante (6), mais cette étude à plus large échelle est la première à évaluer l’existence et les conséquences d’un phénotype hyper-inflammatoire dans le SDRA pédiatrique.

L’objectif de cette l’étude n’était pas d’identifier la réponse des différents profils inflammatoires à des thérapeutiques pharmacologiques ciblées. La caractérisation précise de ces phénotypes représente néanmoins une première étape pour établir des stratégies plus personnalisées en pédiatrie. Les données préliminaires rétrospectives publiées chez l’adulte et qui suggèrent un bénéfice de la simvastatine sur la mortalité des patients ayant un phénotype hyperinflammatoire semblent aller dans ce sens (2), même si elles nécessitent d’être confirmées en prospectif.

Il est surprenant que les modèles de classification identifiés chez l’adulte soient aussi performants dans une population pédiatrique, néanmoins leur sensibilité faible encourage à affiner la caractérisation des différents phénotypes pédiatriques.  On peut notamment regretter que certaines variables déjà identifiées pour stratifier la sévérité du SDRA pédiatrique telles que l’évaluation de l’espace mort alvéolaire (4) n’aient pas été incluses dans l’ACL.

Point forts
  • Large cohorte pour une population de soins critiques pédiatrique
  • Inclusion de nombreuses variables cliniques et biologiques dont un panel exhaustif de biomarqueurs évaluant la réponse inflammatoire et endothéliale, avec peu de données manquantes.
  • Utilisation de l’ACL appropriée pour répondre à l’objectif principal puisqu’il s’agit de l’analyse statistique la plus robuste et objective dans ce type de cohorte. La méthodologie statistique est bien décrite, rigoureuse et suit les recommandations (5)
  • Utilisation d’algorithmes déjà validés chez l’adulte en l’adaptant à la population d’intérêt (ici pédiatrique) qui permet de renforcer la validité externe des résultats.
Point faibles
  • Effectif limité pour une analyse de type ACL (5) malgré la cohorte sensiblement importante
  • Nouveau-nés (<1 mois) peu représentés
  • Absence de cohorte de validation du modèle
  • Long délai entre le recrutement des patients dans l’étude principale (2009 à 2013) et la réalisation de l’analyse secondaire, le SDRA pédiatrique étant défini selon des critères a posteriori selon des recommandations établies en 2015 (4)
  • Absence de prise en compte des caractéristiques physiologiques. L’inclusion de variables liées à la mécanique respiratoire, différente de l’enfant à l’adulte (4), aurait pu permettre d’affiner le phénotypage pédiatrique.
  • Standardisation de certaines variables dépendantes de l’âge et du développement selon une classification en sous-groupes arbitraire, potentiellement à l’origine d’un biais de sélection des variables.
  • Absence de rationnel reliant le critère de jugement de l’étude princeps (évaluation d’un protocole de sédation) et l’objectif de l’analyse secondaire (phénotypes en fonction de la réponse inflammatoire), à l’origine d’un manque de puissance concernant l’effet du traitement assigné sur la durée de VM en fonction des phénotypes.
Conclusions et implications

Cette étude suggère qu’il existe deux phénotypes distincts dans le SDRA pédiatrique caractérisés par une concentration plasmatique très différente des biomarqueurs de la réponse inflammatoire.  Si la caractérisation de ces phénotypes nécessite d’être affinée dans d’autres cohortes pédiatriques, la stratification du SDRA en fonction du phénotype inflammatoire des patients  représente une piste prometteuse pour implémenter de nouvelles pistes thérapeutiques individualisées.

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CONFLIT D'INTÉRÊTS

Article commenté par Meryl Vedrenne & Benjamine Sarton

L'auteur ne déclare pas de conflit d'intérêt en lien avec cet article.

Le contenu des fiches REACTU traduit la position de l'auteur, mais n’engage ni la CERC ni la SRLF.

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CERC

G. LABRO (Secrétaire)
S. BOURCIER
A. BRUYNEEL
C. DUPUIS
S. GENDREAU
S. GOURSAUD
G. FOSSAT
N. HIMER
T. KAMEL
O. LESIEUR
A. ROUZÉ
V. ZINZONI

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LES RÉFÉRENCES

1.         Chaudhuri D, Sasaki K, Karkar A, Sharif S, Lewis K, Mammen MJ, et al. Corticosteroids in COVID-19 and non-COVID-19 ARDS: a systematic review and meta-analysis. Intensive Care Med. 2021;47(5):521–37.

2.         Sinha P, Calfee CS. Phenotypes in acute respiratory distress syndrome: moving towards precision medicine. Curr Opin Crit Care. 2019 Feb;25(1):12–20.

3.         Curley MAQ, Wypij D, Watson RS, Grant MJC, Asaro LA, Cheifetz IM, et al. Protocolized sedation vs usual care in pediatric patients mechanically ventilated for acute respiratory failure: a randomized clinical trial. JAMA. 2015 Jan 27;313(4):379–89.

4.         Emeriaud G, López-Fernández YM, Iyer NP, Bembea MM, Agulnik A, Barbaro RP, et al. Executive Summary of the Second International Guidelines for the Diagnosis and Management of Pediatric Acute Respiratory Distress Syndrome (PALICC-2). Pediatr Crit Care Med. 2023 Feb 1;24(2):143–68.

5.         Sinha P, Calfee CS, Delucchi KL. Practitioner’s Guide to Latent Class Analysis: Methodological Considerations and Common Pitfalls. Crit Care Med. 2021 Jan 1;49(1):e63–79.

6.         Yehya N, Thomas NJ, Wong HR. Evidence of Endotypes in Pediatric Acute Hypoxemic Respiratory Failure Caused by Sepsis. Pediatr Crit Care Med. 2019 Feb;20(2):110–2.