La pose d’un cathéter veineux central : une procédure encore à risque !

23/01/2020
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Mechanical complications of central venous catheter insertions : A retrospective multicenter study of incidence and risks.
Björkander M, Bentzer P, Schött U, Broman ME, Kander T.
Acta Anaesthesiol Scand 2019, 63 : 61-68.

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Question évaluée

Déterminer l’incidence et les facteurs de risque de complications mécaniques associées à la pose de cathéters veineux centraux.

Type d’étude

Rétrospective, multicentrique, observationnelle, à partir de registres élaborés pour la documentation des complications liées à l’insertion des cathéters veineux centraux (CVC).

Population étudiée

Patients de plus de 16 ans (considérés comme adultes en Suède) ayant bénéficié d’un CVC, hospitalisés entre le 1er mai 2013 et le 9 septembre 2016 dans 8 hôpitaux de la région de Skäne, en Suède, dont 1 hôpital hospitalo-universitaire, 3 hôpitaux de proximité et 4 plus petits centres hospitaliers.

Critères d’exclusion : patients de moins de 16 ans et multiples CVCs/patient

Méthode

Un seul cathéter sélectionné par patient, même si celui-ci en a eu plusieurs au cours de son séjour hospitalier :

  • Soit le dernier cathéter mis en place si absence de complications
  • Soit le cathéter veineux central avec la complication la plus grave

Les données cliniques concernant l’indication du CVC, le site d’insertion, l’utilisation d’un échographe pour la pose du CVC, le nombre de lumières du cathéter, le nombre de ponctions transcutanées et de ponctions artérielles étaient collectées.

De même, les données d’hémostase du patient (TCA, INR, plaquettes) les plus proches de la date d’insertion du CVC ont été recueillies. Les patients étaient considérés comme présentant une anomalie de la coagulation si : TCA > 1,3 x valeur témoin ou INR > 1,8 ou plaquettes < 50.109/L.

Les complications mécaniques liées à l’insertion du cathéter étaient recueillies pendant les 3 jours suivant l’insertion : hémorragie, hémothorax, pneumothorax, lésion nerveuse et arythmie. Le recueil des complications était assuré par la répétition de la recherche de complications dans les 3 jours suivant l’insertion du cathéter, et par l’ajout de la recherche de tout examen angiographique réalisé dans les 3 jours suivant l’insertion du CVC.

La sévérité des complications a été classée selon « The Common Terminology Criteria for Adverse Events » (CTCAE, v4,0). Etaient considérés comme évènements graves :

  • hémorragie nécessitant une intervention et/ou une transfusion de culot globulaire correspondant à des grades 3 ou 4 de la CTCAE,
  • pneumothorax, lésion nerveuse persistante identifiée dans les 3 jours postprocédure,
  • arythmie non spontanément résolutive (grades 3 ou 4 de la CTCAE).
Résultats essentiels

Quatorze mille deux cent quarante-trois CVCs ont été identifiés. Après exclusion des patients de moins de 16 ans et des multiples CVCs pour un même patient, 10949 insertions de cathéters ont été inclues dans l’étude et analysés sur une population d’un âge moyen de 66,1 (+15,3) ans, majoritairement masculine (56,5%), et dont 8,1% des patients présentaient une hémostase considérée comme perturbée.

La majorité des CVCs étaient posés en voie jugulaire interne (57,9%), et près d’un CVC sur 2 étaient posés avec utilisation de l’échographie (49%), respectivement 75% en jugulaire interne, 37,5% en sous-clavière et 80,1% en fémorale. Plus de 2 ponctions transcutanées ont été nécessaires dans 3% des cas, et 0,7% des procédures ont été associées à une ponction artérielle.

Cent dix-huit (1,1%) incidents à type de complications mécaniques ont été recensés :

  • 85 (0,8%) hémorragies
  • 21 (0,2%) pneumothorax
  • 7 (0,06%) lésions nerveuses transitoires
  • 5 (0,05%) arythmies spontanément résolutives

Parmi ces complications, 23 (0,2%) étaient considérées comme graves, incluant 21 pneumothorax, et 2 hémorragies de grade 3.

En analyse multivariée par régression logistique, 3 facteurs de risque indépendants de complications hémorragiques ont été identifiés après ajustement sur l’âge, le sexe, l’utilisation de l’échographie, le site d’insertion, le diamètre du cathéter, et le nombre de ponction :

  • Anomalies de la coagulation péri-procédure ; Odd Ratio (OR) : 1,8 [Intervalle de confiance (IC) 1,5-2,2] p<0,001
  • Ponction artérielle ; OR : 2,7 [2,2-3,2) p<0,001
  • Rang du CVC (chez les patients ayant eu plusieurs CVC) ; OR : 1,2 [1,0-1,4] p<0,001

En analyse multivariée par régression logistique, 3 facteurs de risque indépendants de pneumothorax ont également été identifiés après ajustement sur l’âge, le sexe, la coagulation, l’utilisation de l’échographie, le diamètre et le rang du cathéter, et le nombre de ponction :

  • Site sous-clavier vs site jugulaire interne ; OR : 3,8 [3,0-4,6] p<0,001
  • Ponction artérielle ; OR : 4,5 [3,6-5,5] p=0,02
  • Rang du CVC ; OR : 1,5 [1,2-1,8] p=0,004
Commentaires

Si beaucoup de données existent dans la littérature concernant le risque infectieux lié aux CVC [1-3], peu d’auteurs se sont intéressés spécifiquement aux complications mécaniques précoces liées aux CVC, ainsi qu’à la comparaison de ce risque de complications mécaniques en fonction du site d’insertion.

Après avoir posé l’indication d’un CVC, l’opérateur doit choisir le site d’insertion le plus adapté au patient en fonction du risque infectieux lié au cathéter, le site sous-clavier semblant alors être la voie à privilégier [2], mais également en fonction des risques de complications mécaniques liées au terrain et aux contre-indications absolues ou relatives pour chaque site (coagulation, insuffisance respiratoire aiguë, poids et index de masse corporelle …). Il est notamment recommandé d’éviter pour un opérateur peu expérimenté la ponction de la voie sous-clavière lorsque le patient a un TP inférieur à 50%, un INR supérieur à 1,5, un taux de plaquettes inférieur à 50000/mm3 [4], facteurs de risque hémorragiques également retrouvés dans cette étude.

Comme confirmé dans cette étude, les complications mécaniques précoces ont une incidence basse mais non négligeable, allant de 0,7% à 2,5% [2, 5]. Elles incluent ponctions artérielles avec hémorragies, hémothorax et pneumothorax, arythmies cardiaques, lésions nerveuses, voire embolies gazeuses, chacune à des degrés divers de sévérité à classer de 1 à 4 selon la classification CTCAE. Ces complications surviennent plus fréquemment en voies supérieures, jugulaires internes et sous-clavières, qu’en voie fémorales.

L’apport de l’échographie avec la technique de ponction veineuse sous échoguidage (et non échorepérage qui n’a pas montré de supériorité par rapport au simple repérage anatomique en terme de diminution du taux de complications) est à ce jour le meilleur moyen de prévention, et a permis diminuer le risque de survenue de ces complications mécaniques précoces d’un facteur 5 à 10 selon les études [6]. Cette étude nous montre que malgré « l’evidence-based medicine » sur l’apport de l’échoguidage pour la pose des CVC et les recommandations des sociétés savantes nationales et internationales publiées avant le début de l’étude [7], près d’un patient sur 2 ne bénéficie pas encore de cette technique qui pourrait pourtant diminuer fortement l’incidence des complications mécaniques précoces.

Il faut toutefois noter que cette étude décrit la pose des CVCs à l’hôpital en général. Il est possible que la survenue de complications mécaniques lors de la pose de CVCs soit supérieure dans le sous-groupe des patients hospitalisés en réanimation.

Points forts
  • Question posée pertinente
  • Large effectif. Il s’agit en effet, avec plus de 10000 patients inclus, de la plus grande cohorte jamais analysée sur le sujet.
  • Méthodologie statistique simple et adaptée avec l’utilisation d’analyses multivariées par régression logistique (Toutefois, on peut noter que la régression logistique concernant le pneumothorax soit forcée avec sans doute trop de données (n=10) inclues dans le modèle au vu du faible nombre d’évènements (n=21)).
Points faibles
  • Etude rétrospective sur registre et/ou base de données avec nombreuses données manquantes, ce qui peut sous-estimer le nombre de complications mécaniques, notamment celles classées comme non graves.
  • Un seul CVC inclus dans l’analyse pour les patients ayant eu plusieurs CVC, donc biais de sélection
  • Hétérogénéité des centres recruteurs avec notamment 4 petits hôpitaux de proximité de moins de 80 lits d’hospitalisation, ce qui peut induire un biais « effet centre » lié en particulier au volume annuel de CVC.
  • Absence de données sur le statut de l’opérateur : junior vs sénior expérimenté ou non.
  • Seulement 50% des CVC posés sous échographie dont 3/4 des CVC en voie jugulaire interne et 1/3 des CVC en voie sous-clavière. Issues d’un registre régional en Suède, ces données sont-elles le reflet de ce qui se fait ailleurs dans le monde (Validité externe) ?
  • Utilisation de l’échographie non décrite : Echoguidage ou échorepérage ?
  • Les pneumothorax sont-ils survenus après échoguidage ou pose de CVC en repérage anatomique ? Bien que l’utilisation de l’échographe ne ressorte pas comme facteur de risque indépendant de complications mécaniques dans l’analyse multivariée, au vu du relativement faible taux d’utilisation de l’échographe en voies jugulaire interne et surtout sous-clavière, on aimerait avoir plus d’information sur l’impact de l’utilisation de l’échographie sur la survenue de complications mécaniques.
  • Absence de données sur le temps de pose du CVC.
Implications et conclusions

Cette étude nous rappelle que les complications mécaniques précoces ne sont pas si rares et parfois graves pouvant justifier une intervention thérapeutique en urgence. L’extrapolation aux CVCs posés spécifiquement en réanimation est difficile.

Elle nous rappelle aussi que toute pose de CVC doit faire l’objet d’une analyse bénéfice-risque pour le patient et que des contre-indications relatives ou absolues doivent être respectées dans le choix du site d’insertion du CVC par l’opérateur.

Elle nous montre enfin que si l’échoguidage tend à se développer selon les recommandations internationales pour la pose des CVC, des efforts restent à faire pour généraliser cet apport technique sécurisant la procédure, notamment pour la voie sous-clavière, et ainsi diminuer le risque de ponctions artérielles et surtout de pneumothorax considéré comme la complication la plus grave en routine clinique [8].

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CONFLIT D'INTÉRÊTS

Article commenté par le Pr. Damien du Cheyron et le Dr Suzanne Goursaud, Service de Réanimation Médicale, CHU de Caen, France.

Les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêt.

Le contenu des fiches REACTU traduit la position de leurs auteurs, mais n’engage ni la CERC ni la SRLF.
Envoyez vos commentaires/réactions à l’auteur (ducheyron-d@chu-caen.fr) ou à la CERC.

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LIENS UTILES

  1. Merrer J, De Jonghe B, Golliot F, Lefrant JY, Raffy B, Barre E, et aL. Complications of femoral and subclavian venous catheterization in critically ill patients: a randomized controlled trialJAMA 2001, 286 : 700-7
  2. Parienti JJ, Mongardon N, Mégarbane B, Mira JP, Kalfon P, Gros A, et al. Intravascular Complications of Central Venous Catheterization by Insertion SiteN Engl J Med 2015, 373 : 1220-9
  3. Mimoz O, Lucet JC, Kerforne T, Pascal J, Souweine B, Goudet V, et al. Skin antisepsis with chlorhexidine-alcohol versus povidone iodine-alcohol, with and without skin scrubbing, for prevention of intravascular-catheter-related infection (CLEAN): an open-label, multicentre, randomised, controlled, two-by-two factorial trial. Lancet 2015, 386 : 2069-77
  4. Schmalz-Ott S, Monti M, Vollenweider P. [Bases of central venous catheterization]. Rev Med Suisse 2008, 4 : 2343-8
  1. Lathey RK, Jackson RE, Bodenham A, Harper D, Patle V. A multicentre snapshot study of the incidence of serious procedural complications secondary to central venous catheterisation. Anaesthesia 2017, 72 : 328-34
  2. Simon EM, Summers SM. Vascular Access Complications: An Emergency Medicine Approach. Emerg Med Clin North Am 2017, 35 : 771-88
  3. Troianos CA, Hartman GS, Glas KE, Skubas NJ, Eberhardt RT, Walker JD, et al. Guidelines for performing ultrasound guided vascular cannulation: recommendations of the American Society of Echocardiography and the Society Of Cardiovascular Anesthesiologists. Anesth Analg 2012, 114 : 46-72
  4. Lalu MM, Fayad A, Ahmed O, Bryson GL, Fergusson DA, Barron CC, et al. Ultrasound-Guided Subclavian Vein Catheterization: A Systematic Review and Meta-Analysis. Crit Care Med 2015, 43 : 1498-507
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CERC

JB. LASCARROU (Secrétaire)
K. BACHOUMAS
SD. BARBAR
G. DECORMEILLE
N. HEMING
B. HERMANN
G. JACQ
T. KAMEL
JF. LLITJOS
L. OUANES-BESBES
G. PITON
L. POIROUX