Première vague de SDRA COVID sous ECMO : sauve-qui-peut

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EuroECMO-COVID Study Group. In-hospital and 6-month outcomes in patients with COVID-19 supported with extracorporeal membrane oxygenation (EuroECMO-COVID): a multicentre, prospective observational study.

Lancet Respir Med. 2023 Feb;11(2):151-162.

doi: 10.1016/S2213-2600(22)00403-9. Epub 2022 Nov 16. PMID: 36402148; PMCID: PMC9671669.

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Question évaluée

Evaluer la mortalité hospitalière et à 6 mois ainsi que l’état de santé à 6 mois (symptômes respiratoires, cardiaques, neurocognitifs et reprise d’un emploi) de l’implantation d’une ECMO chez des patients COVID-19.

Type d’étude

Etude observationnelle, prospective, multicentrique (133 centres, 21 pays).

Population étudiée

Patients âgés de 16 ans ou plus, ayant une infection à SARS-CoV-2 mis sous ECMO pour SDRA réfractaire durant la première vague pandémique (du 1er mars 2020 au 13 septembre 2020).

Méthodes

Les variables recueillies étaient les données démographiques, les comorbidités, les caractéristiques pré-ECMO, la configuration de l’ECMO et son indication, les traitements reçus et la survenue de complications sous ECMO.

Les critères de jugement principaux étaient la survie hospitalière, et à 6 mois de l’implantation de l’ECMO. Parmi les critères de jugement secondaires, on pouvait noter la nécessité d’une greffe pulmonaire et/ou cardiaque, le statut fonctionnel à 6 mois (hospitalisation, retour possible au travail à temps partiel ou complet, symptômes cardio-respiratoires et neurocognitifs résiduels).

Sur le plan statistique, des analyses uni factorielles entre patients survivants ou non à l’hôpital étaient entreprises, selon une méthode de Kaplan-Meier et test de log-rank, puis des analyses multifactorielles utilisant un modèle de Cox modifié estimant l’association indépendante entre plusieurs variables et la mortalité. Deux modèles sont ainsi décrits : un comprenant uniquement des co-variables pré-implantation d’ECMO ; l’autre comprenant des variables pré et post-implantation d’ECMO.  Un protocole dédié à la gestion des données manquantes a été anticipé dans le plan d’analyses.

Résultats essentiels

1215 patients ont pu être inclus dans l’analyse (942 [78%] étaient des hommes parmi les 1209 patients pour lesquels la donnée était connue ; l’âge médian était de 53 ans [IQR 46–60]).

Le délai médian entre l’intubation et l’implantation de l’ECMO était de 4 jours [IQR 2–8]. 602 patients (49,5%) sont décédés à l’hôpital avec un délai médian de séjour en réanimation de 24 jours (IQR 14–39) dont 14 jours (IQR 6-27) passés sous ECMO de type veino-veineuse pour 88% d’entre eux.

Concernant le premier modèle multivarié, les co-variables pré-implantation associées de façon indépendantes à une surmortalité hospitalière étaient :

- un âge de 60 à 69 ans (HR ajusté à 1,68 [1,36–2,06])

- un âge ≥ 70 ans (HR ajusté à 2,95 [1,99–4,28])

- une insuffisance rénale chronique (HR ajusté à 1,54 [1,07–2,24])

- l’utilisation d’inotropes (HR ajusté à 1,62 [1,33–1,99]) ou de vasopresseurs (HR ajusté à 1,47 [1,12–1,88])

- un délai entre intubation et implantation ≥ à 4 jours (HR ajusté à 1,35 [1,12–1,62])

Dans le second modèle multivarié, en plus des co-variables pré-implantation précédemment décrites, les co-variables post-implantation associées de façon indépendantes à une surmortalité hospitalière étaient :

- la modification de configuration d’ECMO (HR ajusté à 1,39 [1,07–1,80])

- l’insuffisance rénale avec (HR ajusté à 1,85 [1,44–2,37]) ou sans épuration extra-rénale (HR ajusté à 1,69 [1,35–2,11])

- le survenue de saignements majeurs (HR ajusté à 1,15 [1,05–1,41]), d’un AVC ischémique (HR ajusté à 1,66 [1,14–2,42]), d’une ischémie digestive (HR ajusté à 1,52 [1,10–2,11]).

Concernant la mortalité à 6 mois des 613 patients non décédés à l’hôpital, 30 (5%) des 557 patients dont les données étaient complètes sont décédés après leur sortie de l’hôpital. 88 (17%) des 522 patients dont les données de suivi étaient disponibles nécessitaient une réhabilitation respiratoire et souffraient principalement de dyspnée résiduelle pour 35% d’entre eux. 10% de ces patients présentaient des symptômes cardiaques persistants et 13% présentaient des troubles cognitifs persistants. 159 (37%) des 431 patients dont les données de suivi étaient disponibles ont pu reprendre à 6 mois de leur sortie hospitalière une activité professionnelle à temps plein ou partiel.

Commentaires

Cette étude de grande envergure a pour principal intérêt d’établir des données prospectives de suivi à moyen terme (6 mois) mettant en lumière que 95% des patients non décédés à l’hôpital étaient vivants à 6 mois au prix de symptômes résiduels principalement respiratoires pour un tiers d’entre eux. Un tiers de ces patients vivants à 6 mois avaient repris une activité professionnelle à temps plein ou partiel.

Ces données de suivi sont en concordance avec une cohorte multicentrique française de 62 patients assistés par ECMO pour un SDRA sévère lors de la première vague de la pandémie. A 6 mois et un an, près de 50 % d'entre eux signalaient une asthénie ainsi que des séquelles psychologiques et émotionnelles persistantes et seulement 40 % avaient repris une activité professionnelle [1].

Plusieurs cohortes prospectives multicentriques de patients COVID-19 de moindre gravité, ventilés sans recours à l’ECMO objectivent que 75 à 85% d’entre eux avaient repris une activité professionnelle à 6 mois et 1 an. Par ailleurs, 20% déclaraient à 1 an des symptômes d’anxiété, de dépression, de syndrome de stress post-traumatique et 20% souffraient de dyspnée résiduelle [2–5].

En synthèse, si les données de survie à 6 mois et 1 an des patients SDRA COVID-19 sous ECMO sont rassurantes et justifient de positionner cette thérapeutique dans la prise en charge, les données de qualité de vie, de symptômes résiduels et de reprise du travail font état d’une lourde morbidité chez les survivants. Ainsi, ces données associées à l’impact pronostique de l’âge, des défaillances d’organes extra-respiratoires (hémodynamique et rénale) ainsi que le délai entre intubation et implantation doivent être prises en compte de façon intégrative dans la discussion de la balance bénéfice/risque à l’implantation de l’ECMO.

Points forts

- Étude prospective, multicentrique, internationale.

- Méthodes standardisées de recueil des données.

- Prise en compte de l’effet centre dans le modèle de Cox modifié.

- Reflet de centres expérimentés et à haut volume de pratique d’ECMO.

- Établissement de variables pré-implantation simples avec une bonne validité externe associées de façon indépendantes à une surmortalité.

Points faibles

- Biais de sélection/recrutement non exclus du fait d’une sous déclaration possible d’implantation et/ou de complications. De plus, les critères de SDRA COVID réfractaires ne sont pas précisés dans l’étude.

- Absence de comparaison à 6 mois avec un groupe de patients présentant un SDRA COVID sévère sous ventilation mécanique sans recours à l’ECMO.

- Absence de données sur le statut fonctionnel des patients avant la mise sous ECMO et d’échelles spécifiques d’évaluation à 6 mois.

- Analyse ne portant que sur les patients de la première vague épidémique. Or une surmortalité a été décrite lors des vagues successives telles que capturée par le même registre Euro-ELSO (survie à 53% lors de la première vague et 44% lors de la seconde (p < 0.0001))[6].

-  Des données de suivi à plus long terme (1 an) semblent souhaitables pour préciser l’impact au long cours de l’ECMO per se et du COVID-19.

Implications et conclusions

Cette étude prospective internationale de grande envergure, malgré quelques biais inhérents à son design et une analyse ne concernant que la première vague précise avec force les co-variables pré et post-implantation associées à une surmortalité et délivre des données de suivi à 6 mois essentielles pour la compréhension du devenir de ces patients tant sur le plan bio-psycho-social que sur le plan médico-économique.

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CONFLIT D'INTÉRÊTS

Article commenté par Nicolas Dognon et Thibault Duburcq, Pôle de Médecine Intensive - Réanimation, CHU de Lille, France.

Les auteurs ne déclarent pas de conflit d'intérêt en lien avec cet article.

Le contenu des fiches REACTU traduit la position de leurs auteurs, mais n’engage ni la CERC ni la SRLF.

Envoyez vos commentaires/réactions aux auteurs (nicolas.dognon@chu-lille.frthibault.duburcq@chu-lille.fr) et à la CERC.

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CERC

G. LABRO (Secrétaire)
S. BOURCIER
A. BRUYNEEL
C. DUPUIS
S. GENDREAU
S. GOURSAUD
G. FOSSAT
N. HIMER
T. KAMEL
O. LESIEUR
A. ROUZÉ
V. ZINZONI

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RÉFÉRENCES

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