Prophylaxie de la détresse respiratoire post extubation : quel support ventilatoire choisir chez les patients à haut risque d’échec ?

27/02/2020
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Article JAMA
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Effect of Postextubation High-Flow Nasal Oxygen With Noninvasive Ventilation vs High-Flow Nasal Oxygen Alone on Reintubation Among Patients at High Risk of Extubation Failure: A Randomized Clinical Trial. 
Arnaud W. Thille et al.  for the HIGH-WEAN Study Group and the REVA Research Network
JAMA 2019;322(15) :1465-75

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Question évaluée

L’association de l’oxygénothérapie humidifiée haut débit à la VNI est-elle supérieure à l’oxygénothérapie humidifiée haut débit seule pour prévenir la réintubation dans les 7 jours suivant l’extubation de patients à haut risque d’échec d’extubation ?

Type d’étude

Etude multicentrique randomisée contrôlée

Population étudiée

Les patients intubés depuis plus de 24 heures, prêts à être extubés et présentant un haut risque d’échec d’extubation étaient incluables. Ce haut risque était défini par :

  • Un âge supérieur à 65 ans,

ou

  • Une comorbidité cardiaque parmi : dysfonction systolique (fraction d’éjection ≤45%), fibrillation auriculaire permanente ou antécédent d’œdème pulmonaire cardiogénique ou d’ischémie myocardique,

ou

  • Une comorbidité respiratoire parmi : BPCO, maladie restrictive pulmonaire ou syndrome d’obésité hypoventilation.

Les patients intubés pour des affections neuro-traumatologiques ou bénéficiant de VNI ou CPAP au long cours étaient exclus, de même que ceux présentant une maladie neuro musculaire chronique, une contre-indication à la VNI, une consigne de non-réintubation ou une auto-extubation comme mode d’extubation.

Méthode

Après inclusion, les patients étaient randomisés entre les deux interventions, avec une randomisation stratifiée sur le centre et la PaCO2 mesurée à la fin du test de sevrabilité (pour répartir les patients hypercapniques entre les deux bras d’étude).

Groupe contrôle : oxygénothérapie humidifiée haut débit débuté juste après l’extubation avec un débit d’au moins 50L/min et une FiO2 ajustée pour obtenir une SpO2≥92%.

Groupe intervention (nommé groupe VNI) : VNI débutée juste après l’extubation, avec une première séance d’au moins 4 heures, et une durée globale d’au moins 12h par jour. Les réglages étaient ajustés pour obtenir un Vt de 6 à 8 ml/kg de poids prédit, avec une PEEP entre 5 et 10 cmH2O et une FiO2 permettant d’obtenir une SpO2 ≥92%. Entre les séances de VNI, une oxygénothérapie humidifiée haut débit était appliquée comme dans le groupe contrôle.

Pour les deux groupes, les traitements étaient appliqués pour au moins 48 heures avant transition vers une oxygénothérapie standard en cas d’évolution satisfaisante.

Critère de jugement principal
  • Proportion de patients réintubés dans les 7 jours suivant l’extubation.

Les critères de réintubation étaient standardisés et comprenaient l’insuffisance respiratoire sévère (clinique, ou acidose et/ou hypoxémie significatives), l’état de choc avec besoin de catécholamines, l’altération neurologique avec score de Glasgow<12, ou un arrêt cardiaque ou respiratoire.

Critères de jugement secondaires
  • Réintubation à 48h, 72h et jusqu’à la sortie de réanimation
  • Survenue de détresse respiratoire jusqu’à 7 jours post extubation
  • Proportion de patients bénéficiant du traitement du protocole au-delà des 48 heures imposées
  • Durée de séjour en réanimation, à l’hôpital
  • Mortalité en réanimation, à l’hôpital, à 28 et 90 jours.

Dans l’hypothèse d’une différence de 8% du taux de réintubation entre les deux bras (18% dans le bras contrôle vs. 10% dans le bras VNI), avec une puissance de 80% et un risque α de 5%, 590 patients devaient être inclus.

Résultats essentiels

D’avril 2017 à janvier 2018, 3121 patients ont été extubés dans les centres participants, dont 969 patients éligibles pour l’étude. Parmi eux 648 ont pu être randomisés, et 641 ont pu participer à l’analyse finale.

Les caractéristiques étaient similaires entre les deux groupes : âge moyen 70±10 ans, 34% de femmes. La seule différence notable était la proportion de patients porteurs d’une comorbidité respiratoire de base plus fréquente dans le groupe VNI (37% vs. 29%, p=0.02). Il n’y avait pas de différence concernant les raisons d’intubations (insuffisance respiratoire 52% bras contrôle vs. 49% bras VNI), la fréquence d’un âge>65 ans et d’une maladie cardiaque de base, les modes et réglages ventilatoires avant le sevrage, le type de test de sevrabilité, l’administration de stéroïdes, l’évaluation de la qualité de la toux et de l’abondance des sécrétions.

Concernant le critère de jugement principal : le taux de réintubation à 7 jours était de 11.8% (IC 95%, 8.4%-15.2%) dans le bras VNI vs.18.2% (IC 95%, 13.9%-22.6%) dans le bras contrôle (différence, −6.4%, [IC 95%, −12.0 to −0.9]; p = 0.02).

Pour les critères de jugement secondaires, on notait moins d’épisode de détresse respiratoire post extubation dans le bras VNI (21% vs. 29%, p=0.01), moins de réintubation à 48h, 72h et jusqu’à la sortie de réanimation (respectivement 7% vs. 12%, p=0.04 ; 9% vs. 16%, p=0.009 ; et 12% vs. 20%, p=0.009).

Les durées de séjour et la mortalité en réanimation et à l’hôpital étaient similaires entre les deux groupes.

Dans une analyse en sous-groupe, seul le groupe de patients hypercapniques avait un taux de réintubation significativement plus bas à 7 jours. Il n’y avait néanmoins, pas d’interaction entre la PaCO2 et la réintubation, ce qui signifie une absence d’hétérogénéité de l’effet du traitement entre les patients hypercapniques et non hypercapniques.

Commentaires

L’extubation d’un malade en réanimation reste un challenge quotidien. En effet, les échecs d’extubation nécessitant une réintubation surviennent dans 10 à 15% des cas, et ces réintubations s’accompagnent d’une mortalité jusqu’à 50%. La question du support ventilatoire post extubation est donc cruciale, tout particulièrement chez les patients à haut risque d’échec (âgés ou porteurs de comorbidités cardiaques ou respiratoires). A ce titre, des recommandations européennes supportent l’usage de la VNI chez ce type de patient [1], mais le niveau de preuve reste peu élevé car peu d’études de bonne qualité méthodologique supportent cette thérapeutique. L’oxygénothérapie humidifiée haut débit a montré sa non infériorité vis-à-vis de la VNI dans le même contexte, possiblement en partie en soulageant le travail respiratoire [2]. Il faut aussi souligner la bonne tolérance et la simplicité de mise en place de cette technique [3].

L’étude de Thille et al est la première explorant l’association oxygénothérapie haut débit et VNI dans la prévention de l’échec d’extubation, retrouvant son efficacité en comparaison de l’oxygénothérapie haut débit seule. La question de la comparaison avec l’oxygénothérapie standard se pose, et les auteurs soulignent que la récente démonstration de la supériorité de l’oxygénothérapie haut débit dans la population des patients à haut risque d’échec aurait posé le problème d’un traitement sous optimal. Pour maintenir l’équipoise, et favoriser les inclusions, l’oxygénothérapie haut débit a donc été choisie comme groupe contrôle.

Points forts
  • Première étude explorant l’association oxygénothérapie haut débit et VNI dans la prévention de l’échec d’extubation
  • Qualité méthodologique de l’étude (haute qualité méthodologique, validité de l’hypothèse de départ)
Points faibles
  • Absence de stratification sur la fonction cardiaque comme pour la capnie
  • Absence d’aveugle des cliniciens sur le bras d’allocation, pouvant potentiellement influencer leur décision de réintubation
Implications et conclusions

Malgré son exigence technique par rapport à l’oxygénothérapie haut débit, l’apport de la VNI chez les patients à haut risque d’échec d’extubation apparait incontestable. Il reste à rappeler que la façon de l’appliquer (durée et réglages) semble avoir une influence majeure sur l’issue de la technique. Une durée de 48 heures de VNI post extubation était réalisée, ce qui peut paraitre contraignant au quotidien, ce d’autant que celle-ci a été stoppée de façon « protocolaire » pour les trois quarts d’entre eux, laissant envisager qu’une durée plus courte serait envisageable.

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CONFLIT D'INTÉRÊTS

Article commenté par les Drs Benjamin Sztrymf, réanimation polyvalente et surveillance continue, Hôpital Antoine Béclère, Clamart, France et Jonathan Messika, pneumologie et transplantation pulmonaire, Hôpital Bichat, Paris, France.

Benjamain Sztrymf déclare ne pas avoir de liens d’intérêt. Jonathan Messika déclare les liens d’intérêt suivants: frais de déplacement, d’hébergement et de réunion par Fisher & Peckel, CSL et Berhing.

Le contenu des fiches REACTU traduit la position de leurs auteurs, mais n’engage ni la CERC ni la SRLF.
Envoyez vos commentaires/réactions à l’auteur (benjamin.sztrymf@aphp.fr) ou à la CERC.

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LIENS UTILES

  1. Rochwerg B, Brochard L, Elliott MW, et al. Official ERS/ATS clinical practice guidelines: noninvasive ventilation for acute respiratory failure. Eur Respir J 2017;50(2). pii: 1602426
  2. Hernández G, Vaquero C, Colinas L, et al. Effect of Postextubation High-Flow Nasal Cannula vs Noninvasive Ventilation on Reintubation and Postextubation Respiratory Failure in High-Risk Patients: A Randomized Clinical Trial. JAMA 2016 ;316(15) :1565-74
  3. Maggiore SM, Idone FA, Vaschetto R, et al.  Nasal high-flow versus Venturi mask oxygen therapy after extubation. Effects on oxygenation, comfort, and clinical outcome.  Am J Respir Crit Care Med. 2014;190(3):282-288
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CERC

JB. LASCARROU (Secrétaire)
K. BACHOUMAS
SD. BARBAR
G. DECORMEILLE
N. HEMING
B. HERMANN
G. JACQ
T. KAMEL
JF. LLITJOS
L. OUANES-BESBES
G. PITON
L. POIROUX