Azoulay, É., Myatra, S. N., Heras La Calle, G., Jaber, S., Boulanger, C., Demirkýran, O., Theodorakopoulou, M., Paiva, J. A., Arabi, Y. M., Burghi, G., van Heerden, P. V., Al Fares, A., Kentish-Barnes, N., Martin-Delgado, M. C., Mistraletti, G., Francois, G., Barth, A., De Waele, J., Shanafelt, T. D., Darmon, M., Cecconi, M., European Society of Intensive Care Medicine (2025).
Question évaluée :
L’étude visait à tester un programme simple et multiforme, abordant à la fois des facteurs individuels et systémiques, conçu pour réduire l’épuisement professionnel (burnout) chez le personnel des unités de soins intensifs (USI).
Type d’étude :
Essai multicentrique randomisé par grappes, conçu pour évaluer une intervention à composantes multiples favorisant la communication positive et le travail d’équipe.
Population étudiée :
Les unités affiliées à la Société européenne de médecine intensive ont été invitées à participer. Tous les professionnels de santé des unités incluses dans soixante pays pouvaient se joindre à l’étude sur base volontaire. Les comités d’éthique locaux ont validé le protocole. Aucune donnée relative au patient ou à sa famille n’a été collectée.
Méthode :
Les unités ont été randomisées par grappes dans un groupe intervention ou contrôle, afin de permettre une mise en œuvre collective. Deux périodes de recueil ont été réalisées avant et après l’intervention, via des questionnaires anonymes. L’intervention comprenait plusieurs composantes issues de la psychologie positive et des approches organisationnelles, visant à renforcer la communication et la coopération au sein des équipes (https://vimeo.com/988364914/e2c89b435b). Le critère principal était la prévalence du burnout, évaluée par le Maslach Burnout Inventory (MBI). Plusieurs critères secondaires portaient sur la satisfaction au travail, la qualité des soins, le climat éthique, l’intention de quitter l’unité et le sentiment de sécurité au travail. Le protocole complet de l’étude avait été publié précédemment (1).
Résultats essentiels :
L’étude a inclus 370 unités de réanimation totalisant plus de 9 000 lits. Parmi les 15 891 professionnels ayant complété le questionnaire avant l’intervention, la prévalence du burnout était de 59,4 % (58,6 % dans le groupe intervention et 60,5 % dans le groupe contrôle). Après l’intervention, 9 568 professionnels ont répondu, soit un taux global de participation de 59 %, avec une représentation majoritaire du personnel infirmier (environ 60 %) et médical (30 %).
La prévalence du burnout après l’intervention était significativement plus faible dans le groupe intervention (52,2 %) que dans le groupe contrôle (63,3 %), avec un OR ajusté de 0,56 (IC95 % : 0,46–0,68 ; p < 0,001). Les scores des trois dimensions du MBI (épuisement émotionnel, dépersonnalisation, accomplissement personnel) se sont améliorés dans le groupe intervention.
Les six indicateurs évalués par échelles visuelles analogiques (satisfaction au travail, soins centrés sur le patient, soins centrés sur la famille, climat éthique, intention de quitter l’unité, sentiment de sécurité) étaient également meilleurs dans le groupe intervention. Le nombre de conflits perçus avec des collègues n’a pas différé entre les groupes. Dans le groupe test, la comparaison avant-après implémentation a confirmé un effet favorable de l’intervention avec une réduction approximative de 7 % (IC95 % : –4 à –10 ; p < 0,001) de la prévalence du burnout.
L’adhésion au programme a été complète en première semaine dans toutes les unités du groupe intervention, puis a diminué progressivement au fil des semaines (66 % en semaine 4). Aucun écart majeur au protocole n’a été rapporté. Enfin, des variations inter-centres et inter-pays ont été observées, mais sans interaction significative selon la catégorie professionnelle. L’efficacité de l’intervention était associée à son niveau d’adhésion, sans relation dose-effet.
Commentaires :
Cette question est essentielle à l’heure où la pénurie de soignants fragilise la majorité des systèmes de santé dans le monde. Le burnout contribue directement à la baisse des heures travaillées, à la dégradation de la qualité des soins et à des taux élevés de départ, ce qui accentue la crise des ressources humaines (2).
L’intervention testée dans cette étude est particulièrement intéressante : elle est spécifique à la réanimation, simple, peu coûteuse et peu chronophage, tout en s’intégrant facilement dans la routine quotidienne des équipes. Son efficacité rapide, observée dès le premier mois, et la taille importante de l’essai multicentrique renforcent la pertinence de ces résultats. Ce type de programme peut constituer une piste concrète pour améliorer la rétention des professionnels et lutter contre le burnout en réanimation.
Cependant, plusieurs limites doivent être soulignées. L’adhésion à l’intervention a été évaluée uniquement par l’investigateur local, ce qui peut introduire un biais. Le taux de réponse aux questionnaires était plus faible chez le personnel infirmier (51 vs 83% chez les médecins), pourtant particulièrement exposé au risque de burnout. De plus, l’intervention ne prend pas en compte certains déterminants majeurs, comme la charge de travail, qui demeure élevée en réanimation et constitue un facteur clé dans la prévention du burnout (3–5). Enfin, la littérature internationale et française ad hoc converge sur un point : la prévention du burnout nécessite des interventions collectives multimodales, modifiant l’environnement de travail. Les concepts nord-américains d’« hôpitaux magnétiques », qui reposent sur la reconnaissance, la participation des équipes et un leadership fort, restent une référence (6,7). À terme, des stratégies systémiques associant amélioration du climat organisationnel et ajustement des ressources semblent indispensables pour un impact durable.
Points forts :
Essai internationale multicentrique de grande ampleur, incluant 370 unités et près de 16 000 professionnels.
Intervention spécifique à la réanimation, simple, peu coûteuse et intégrée dans la routine quotidienne.
Effet rapide et significatif sur la réduction du burnout et amélioration du climat organisationnel.
Points faibles :
Évaluation de l’adhésion uniquement par l’investigateur local, avec risque de biais.
Taux de réponse plus faible chez le personnel infirmier, pourtant le plus exposé au burnout.
Intervention ne prenant pas en compte des déterminants majeurs comme la charge de travail ou l’environnement de travail.
Durée de suivi courte, sans évaluation de la persistance des effets dans le temps.
Implications et conclusions :
Cette étude confirme qu’une approche organisationnelle centrée sur la communication positive peut réduire le burnout en réanimation. Elle démontre l’importance d’agir sur la culture d’équipe et la reconnaissance mutuelle, au-delà des interventions individuelles. La mise en œuvre de ce type de programme dans les USI semble réaliste, à condition d’accompagner son déploiement par un suivi régulier et des ajustements adaptés au contexte. Ces résultats ouvrent la voie à des stratégies simples et efficaces pour améliorer le bien-être des professionnels et, indirectement, la qualité des soins.
Toutefois, pour un impact durable, ces approches doivent s’inscrire dans des stratégies multimodales associant amélioration du climat organisationnel et ajustement des ressources, à l’image des modèles d’« hôpitaux magnétiques ».
Références cités dans les commentaires:
Azoulay E, Barnes NK, Nainan-Myatra S, Delgado MCM, Arabi Y, Boulanger C, et al. HELLO: a protocol for a cluster randomized controlled trial to enhance interpersonal relationships and team cohesion among ICU healthcare professionals. Intensive Care Med Exp. 7 oct 2024;12(1):90.
Li LZ, Yang P, Singer SJ, Pfeffer J, Mathur MB, Shanafelt T. Nurse Burnout and Patient Safety, Satisfaction, and Quality of Care: A Systematic Review and Meta-Analysis. JAMA Netw Open. 5 nov 2024;7(11):e2443059.
Bruyneel A, Dauvergne JE, Bouckaert N, Caillet A, Sermeus W, Poiroux L, et al. Association of Burnout and Intention‐To‐Leave the Job With Objective Nursing Workload and Nursing Working Environment: A Cross‐Sectional Study Among Intensive Care Nurses. J Clin Nurs. 14 janv 2025;jocn.17650.
Dauvergne JE, Bruyneel A, Caillet A, Caillet P, Keriven-Dessomme B, Tack J, et al. Workload assessment using the nursing activities score in intensive care units: Nationwide prospective observational study in France. Intensive Crit Care Nurs. oct 2024;103866.
Bruyneel A, Dello S, Dauvergne JE, Kohnen D, Sermeus W. Prevalence and risk factors for burnout, missed nursing care, and intention-to-leave the job among intensive care unit and general ward nurses: A cross-sectional study across six European countries in the COVID-19 era. Intensive Crit Care Nurs. févr 2025;86:103885.
Sermeus W, Aiken LH, Ball J, Bridges J, Bruyneel L, Busse R, et al. A workplace organisational intervention to improve hospital nurses’ and physicians’ mental health: study protocol for the Magnet4Europe wait list cluster randomised controlled trial. BMJ Open. juill 2022;12(7):e059159.
Aiken LH, Sermeus W, McKee M, Lasater KB, Sloane D, Pogue CA, et al. Physician and nurse well-being, patient safety and recommendations for interventions: cross-sectional survey in hospitals in six European countries. BMJ Open. févr 2024;14(2):e079931.
CONFLIT D'INTÉRÊTS
Commenté par Arnaud Bruyneel, Professeur en santé publique à l’Université Libre de Bruxelles
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CERC
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S. BOURCIER
A. BRUYNEEL
A.CAILLET
C. DUPUIS
N. FAGE
JP. FRAT
G. FOSSAT
A. GAILLET
S. GENDREAU
S. GOURSAUD
N. HIMER
O. LESIEUR
A. ROUZÉ
M. THY