
Lindén A, Spångfors M, Olsen MH, Fisher J, Lilja G, Sjövall F, Jungner M, Lengquist M, Kander T, Samuelsson L, Johansson J, Palmnäs E, Undén J, Oras J, Cronhjort M, Chew M, Linder A, Lipcsey M, Nielsen N, Jakobsen JC, Bentzer P; REDUSE Trial Group. Protocolized reduction of non-resuscitation fluids versus usual care in septic shock patients (REDUSE): a randomized multicentre feasibility trial. Crit Care. 2024 May 17;28(1):166. doi: 10.1186/s13054-024-04952-w. PMID: 38760833; PMCID: PMC11100208.
Question évaluée
L’association forte entre les volumes de fluides administrés et l’augmentation de la mortalité n’est plus à démontrer chez les patients de réanimation. Cependant, la relation de causalité reste incertaine, les patients les plus sévères étant exposés à l’administration de volumes plus élevés. Néanmoins, les pratiques des services ont un poids important, voire prédominant, sur les volumes administrés [1,2]. La gestion des bolus de remplissage a été la première approche pour limiter les volumes de fluides. Cependant, il est maintenant bien décrit que les fluides administrés dans un but d’amélioration de l’état hémodynamique représentent une proportion faible du volume total, environs 15% [1,3,4]. L’étude randomisée « CLASSIC » ciblant la réduction des bolus de remplissage à la phase initiale du choc septique n’a pas démontré qu’une stratégie d’épargne améliorait le pronostic [5]. L’objectif de l’étude « REDUSE » est d’évaluer si une réduction protocolisée des fluides non dédiés à la réanimation cardiovasculaire permet de diminuer significativement le volume total de fluides administrés dans les 4 premiers jours de la réanimation du choc septique. Les critères de faisabilité et d’évolution des patients ont été choisis dans le but de mener une étude plus large avec l’objectif de démontrer une amélioration du pronostic des patients recevant moins de fluides.
Type d’étude
Etude de faisabilité, randomisée par patient, ouverte, réalisée dans 6 services de réanimation suédois.
Population étudiée
Patients adultes avec un choc septique selon la définition « sepsis 3 » admis depuis moins de 12 h en réanimation. Le seul critère d’exclusion était les femmes enceintes.
Méthode
Traitements de l’étude
- Dans le bras restriction :
- La perfusion d’une “base” était arrêtée si le patient était en bilan positif et que le clinicien considérait qu’il n’était pas déshydraté.
- Les patients en bilan nul ou négatif recevaient un apport de 1 ml/kg/h pour couvrir leurs besoins.
- La nutrition entérale était concentrée à 2 kcal/ml.
- Les apports IV de glucose ne pouvaient débuter qu’après 72 heures avec une concentration de 20% et une dose maximale de 1 g/kg/j, uniquement en cas d’intolérance de la voie entérale.
- La dilution des médicaments était réalisée selon un protocole établi par les investigateurs visant à réduire au minimum possible le volume.
- Dans le bras contrôle
- En l’absence de procédure locale, une perfusion de “base” était administrée à un débit de 1 ml/kg/h composée de cristalloïdes ou de glucosé.
- Les apports glucosés devaient être administrés à une concentration maximale de 10%.
- Les médicaments et la nutrition étaient délivrés selon les recommandations en place dans les centres.
Critères de jugement
- Principal : différence de volume total administrée de J0 à J4
- Secondaires : rythme d’inclusion, exhaustivité du recueil des données, évolution des patients à J-90 (mortalité, nombre de jours vivant sans ventilation mécanique, insuffisance rénale, ischémie mésentérique).
Puissance
La différence de volume attendue a été basée sur une étude d’observation menée par les mêmes auteurs et était estimée à 2 litres sur les 4 premiers jours [3]. Le nombre de patients à inclure était de 98 pour une puissance de 80 %. Le résultat principal de faisabilité a été analysé à l'aide du test de Van Elteren et est présenté avec des différences médianes avec des intervalles de confiance de Hodges-Lehman à 95 % (ICHL).
Résultats essentiels
95 patients ont été inclus, 2 centres sur les 6 ont inclus moins de 10 patients. L’âge médian était relativement élevé à 72 ans (59-79). Les infections étaient pour 1/3 abdominales et 1/3 pulmonaires. Le volume reçu avant inclusion était de 3825 (2500-5025) ml en médiane. Les deux groupes étaient comparables.
La durée médiane du séjour en réanimation était de 67 (IQR 32 – 169) heures dans le groupe restrictif et de 72 (IQR 40 – 145) heures dans le groupe contrôle. Le volume total administré était de 6008 (IQR 3960–8123) ml dans le groupe restrictif et 9765 (IQR 6804–12401) ml dans le groupe contrôle, différence médiane de – 3560 (95% ICHL -5302 à -1614, p < 0.001) ml. Cette différence était plus importante chez les 51 patients présents durant toute la période de l’étude : 7144 (5872-8582) vs 12237 (9932-14268) ml, différence médiane de – 4749 (95% ICHL – 6507 à – 2879, p < 0.001) mL. La différence de volume administré se traduisait par une balance hydrique quasi nulle dans le groupe restriction : 249 (-1440 - 1985) vs 2317 (-588 - 4242) ml.
Les volumes pour la réanimation hémodynamique étaient identiques dans les 2 bras et représentaient environ 37% du volume total dans le groupe restrictif, et 22% dans le groupe contrôle. La différence de volume total était principalement liée à la réduction des fluides pour l’administration des médicaments, 1833 (748-2521) vs 2588 (1286-3726) ml, et pour les apports de glucose, 117 (0-606) vs 2605 (1634-3693) ml. L’évolution des patients à 90 jours étaient identique entre les deux bras.
Les critères de faisabilité de l’étude étaient considérés comme satisfaisants par les investigateurs.
Commentaires
Cette étude confirme que les principales sources de fluides chez des patients en choc septique sont les perfusions de « base » et les apports de médicaments. Une perfusion appelée « base » en français et « maintenance fluids » en anglais n’est pas clairement définie avec deux objectifs, la compensation des pertes insensibles et/ou l’apport de glucose. La nécessité d’une compensation des pertes insensibles en réanimation est largement remise en question à la lumière de l’augmentation des entrées liquidiennes qu’elle induit [6]. Les pertes insensibles sont, par définition, seulement estimables. Les abaques utilisés ont été proposés par les pédiatres dans les années 50 et extrapolés aux poids adultes [7]. En dehors de situations caricaturales d’augmentation des pertes (température ambiante très élevée, transpiration abondante), il n’est pas nécessaire de les compenser chez les patients de réanimation [8]. Les besoins en eau et en glucose sont, le plus souvent, couverts par les autres apports de fluides [1].
Réduire les volumes de dilution des médicaments IV est plus complexe. Dans leur protocole, les investigateurs n’ont pas pris les précautions nécessaires pour s’assurer que les médicaments, particulièrement les anti-infectieux, étaient délivrés en totalité ; à savoir, un montage des lignes avec un minimum de volume mort et sa purge après administration du médicament. Plusieurs dilutions étaient inférieures à 10 ml sachant que le volume mort des montages de perfusion peut largement dépasser ce volume [9]. La stagnation des médicaments dans les tubulures pose également des problèmes de compatibilité médicamenteuse et expose au risque d’occlusion. La nécessité d’une purge des lignes après administration d’un médicament (jusqu’à 50 ml selon certaines recommandations) fait que le volume final administré n’est pas forcément réduit même si la dilution est faite dans un petit volume.
La question de la différence de volume à atteindre pour montrer une amélioration du pronostic reste non résolue. Dans l’étude princeps « FACTT » montrant un bénéfice à la restriction des fluides sur la fonction pulmonaire au cours du SDRA, la différence était de 7 litres sur la balance hydrique [11]. Si l’on compare les études « REDUSE » et « CLASSIC » la différence obtenue sur le volume total est plus importante lorsque les fluides non dédiés à l’hémodynamique sont ciblés (-3,6 L sur 4 jours pour « REDUSE » versus -1,6 L sur 5 j dans « CLASSIC » [5]. La différence sur le bilan entrées-sorties est également plus importante dans l’étude « REDUSE », - 2,1 L vs - 0,7 L. Les résultats négatifs de l’étude « CLASSIC » ciblant uniquement les bolus de remplissages pourraient être expliqués par une réduction de volume insuffisante.
Au vue de la variabilité très importante des pratiques, l’impact d’une stratégie restrictive est probablement différente d’un centre à l’autre. Cela pose la question de la définition du bras contrôle. Dans l’étude « REDUSE », on peut s’interroger sur la réalité de pratiques dites « standards » dans le bras contrôle puisque des recommandations étaient formulées pour apporter du glucose et compenser les pertes insensibles. Cependant, comme l’indique les investigateurs, le volume total dans le bras contrôle était similaire à ceux retrouvés dans leur étude d’observation réalisée au Canada et en Suède et dans l’étude danoise « CLASSIC » [3,5].
Points forts
- Première étude portant sur la réduction des fluides non liés à la réanimation hémodynamique.
- Inclusion précoce permettant la mise en route rapide de la stratégie de réduction.
- Différence de volume obtenue cliniquement pertinente.
Points faibles
- Randomisation à l’échelle du patient avec risque d’induire un changement de pratique dans le bras contrôle.
- Présence de recommandations pour les fluides dans le bras « prise en charge habituelle ».
- Absence de précaution prise pour les modalités d’administration des médicaments dans des petits volumes de dilution avec un risque de sous dosage.
Implications et conclusions
Une stratégie de restriction doit prendre en compte l’ensemble des fluides non dédiés à la correction de l’état hémodynamique. Certains de ces fluides sont essentiels, même si leur objectif n’est pas le maintien de l’homéostasie. Si la suppression des perfusions de « base » semble simple et peu risquée, la gestion des volumes de dilution des médicaments est beaucoup plus complexe. Si tous les fluides ne peuvent pas être restreints, l’utilisation de diurétiques dans les protocoles de restriction est peut-être souhaitable. L’évaluation d’une stratégie de restriction sur le pronostic des patients devrait prendre en compte : la population étudiée (risque faible ou élevé de complications liées à un excès de fluides), les pratiques habituelles des centres avant leur participation à l’étude et la pertinence clinique de la différence de volume obtenue.
Références cités dans les commentaires
- Schortgen F, Tabra Osorio C, Carpentier D, Henry M, Beuret P, Lacave G, et al. Fluid Intake in Critically Ill Patients: The “Save Useless Fluids For Intensive Resuscitation” Multicenter Prospective Cohort Study. Crit Care Med. 2024;52:258–67.
- Zampieri FG, Machado FR, Veiga VC, Azevedo LCP, Bagshaw SM, Damiani LP, et al. Determinants of fluid use and the association between volume of fluid used and effect of balanced solutions on mortality in critically ill patients: a secondary analysis of the BaSICS trial. Intensive Care Med. 2024;50:79–89.
- Linden-Sonderso A, Jungner M, Spangfors M, Jan M, Oscarson A, Choi S, et al. Survey of non-resuscitation fluids administered during septic shock: a multicenter prospective observational study. Annals of intensive care. 2019;9:132.
- Van Regenmortel N, Verbrugghe W, Roelant E, Van Den Wyngaert T, Jorens PG. Maintenance fluid therapy and fluid creep impose more significant fluid, sodium, and chloride burdens than resuscitation fluids in critically ill patients: a retrospective study in a tertiary mixed ICU population. Intensive Care Med. 2018;44:409–17.
- Meyhoff TS, Hjortrup PB, Wetterslev J, Sivapalan P, Laake JH, Cronhjort M, et al. Restriction of Intravenous Fluid in ICU Patients with Septic Shock. N Engl J Med. 2022;386:2459–70.
- Hawkins WA, Smith SE, Newsome AS, Carr JR, Bland CM, Branan TN. Fluid Stewardship During Critical Illness: A Call to Action. J Pharm Pract. 2020;33:863–73.
- Holliday MA, Segar WE. THE MAINTENANCE NEED FOR WATER IN PARENTERAL FLUID THERAPY. Pediatrics. 1957;19:823–32.
- Cox P. Insensible water loss and its assessment in adult patients: a review. Acta Anaesthesiologica Scandinavica. 1987;31:771–6.
- Cooper DM, Rassam T, Mellor A. Non-flushing of IV administration sets: an under-recognised under-dosing risk. Br J Nurs. 2018;27:S4–12.
- Barton A. Intravenous infusion drug administration: flushing guidance. Br J Nurs. 2019;28:S16–7.
- Wiedemann HP, Wheeler AP, Bernard GR, Thompson BT, Hayden D, deBoisblanc B, et al. Comparison of two fluid-management strategies in acute lung injury. N Engl J Med. 2006;354:2564–75.
CONFLIT D'INTÉRÊTS
Article commenté par Frédérique Schortgen Service de médecine intensive – réanimation, 40 avenue de Verdun 94000 Créteil
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