Le sévoflurane à l'épreuve – quel impact sur la mécanique respiratoire dans la BPCO sévère en réanimation ?

05/02/2025
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Early and late effects of volatile sedation with sévoflurane on respiratory mechanics of critically ill COPD patients. Jung B, Fosset M, Amalric M, Baedorf-Kassis E, O'Gara B, Sarge T, Moulaire V, Brunot V, Bourdin A, Molinari N, Matecki S. Ann Intensive Care. 2024 Jun 18;14(1):91. doi: 10.1186/s13613-024-01311-4.

 

Texte
Question évaluée

Cette étude visait à évaluer si le sévoflurane, un anesthésique volatil aux propriétés potentiellement bronchodilatatrices [1], pouvait réduire la résistance des voies aériennes par rapport au propofol chez des patients de réanimation sous ventilation mécanique invasive pour décompensation aiguë de BPCO [2].

Type d’étude

Essai contrôlé randomisé, monocentrique, prospectif et ouvert.

Population étudiée

Les patients admis en réanimation pour une décompensation aiguë sévère de BPCO et nécessitant une ventilation mécanique invasive étaient étudiés.

Critères d’inclusion :

Décompensation aiguë de BPCO [3] nécessitant une ventilation mécanique invasive pour une durée prévisible de 24 heures.

Critères d’exclusion :

Contre-indication au sévoflurane (antécédents personnels ou familiaux d'hyperthermie maligne, d'allergie aux anesthésiques volatils, hypertension intracrânienne non contrôlée) ou au propofol (allergie au propofol ou aux produits à base de soja, syndrome de perfusion du propofol).

Méthode

Les patients étaient randomisés selon un ratio 1:1 dans le bras interventionnel (sédation inhalée par sévoflurane) ou le bras contrôle (sédation intra-veineuse par propofol).

Protocoles de sédation :

Les patients du groupe propofol recevaient une perfusion continue de propofol ciblant un score RASS (Richmond Agitation-Sedation Scale) de -5, c’est à dire une sédation profonde.

Dans le groupe interventionnel, le sévoflurane était administré via le dispositif SEDACONDA-ACD-S (Sedana Medical), en ciblant une fraction expirée de 1–1,5 %, ce qui correspond également à une sédation profonde [4].

Dans les deux groupes, la prise en charge de la douleur était assurée par une perfusion intraveineuse continue de sufentanil]).

Traitements adjuvants :

Tous les patients recevaient des bronchodilatateurs inhalés (albuterol 200 µg toutes les 6 heures et ipratropium 20 µg toutes les 8 heures) et une corticothérapie intra-veineuse par méthylprednisolone (60 mg/jour pendant 7 jours), sauf contre-indication.

Gestion de la ventilation mécanique :

Une ventilation contrôlée en volume était délivrée, avec un volume courant entre 6 et 8 mL/kg de poids corporel idéal, une fréquence respiratoire entre 12 et 18/min, un débit inspiratoire à 70 L/min et un rapport I/E entre 1/2 et 1/3. La PEEP externe était ajustée pour limiter l’hyperinflation dynamique. La cible de saturation périphérique en oxygène était comprise entre 88 et 94%. Le protocole prévoyait, 48h après la randomisation, un passage en ventilation assistée avec aide inspiratoire puis l’initiation du sevrage ventilatoire, (selon la tolérance des patients). Une ventilation non-invasive était prévue chez tous les patients après leur extubation.

Critères de jugement de l’étude :

Le critère de jugement principal était la variation de la résistance totale des voies aériennes (en cmH₂O/L/s) entre l’inclusion et H48.

Les critères secondaires incluaient la résistance totale des voies aériennes à H4 et les variations, au cours des 48 premières heures, des paramètres de mécanique respiratoire (volume piégé, PEEP intrinsèque, compliance du système respiratoire), des échanges gazeux et des paramètres hémodynamiques (fréquence cardiaque, pression artérielle, dose de noradrénaline). La durée de ventilation mécanique invasive était également rapportée.

Résultats essentiels

Un total de 16 patients a été inclus. L’étude s’est déroulée entre mars 2018 et septembre 2020. Elle a été interrompue prématurément en raison d’un rythme de recrutement jugé trop lent en lien avec la pandémie de COVID-19. Les patients du groupe propofol recevaient une dose médiane : 3,4 mg/kg/h [écart interquartile, 2,6–3,8], La fraction expirée en sévoflurane dans le groupe dédié était de 1,3% (écart interquartile , 1,1-1,5). Le sufentanil était administré à la dose médiane de 15 µg/h [écart interquartile, 10–15).

Critère de jugement principal :

La variation médiane de la résistance des voies aériennes entre l’inclusion et H48 n’était pas significativement différente entre les groupes (-0,63 cmH₂O/L/s [écart interquartile, -2,34 à +1,08] dans le groupe propofol versus -1,80 cmH₂O/L/s [écart interquartile, -4,83 à +1,23] dans le groupe sévoflurane).

Critères secondaires :

Aucune différence n’était retrouvée entre les deux groupes en termes de résistance des voies aériennes à H4, de paramètres hémodynamiques, de ventilation minute, de PaCO2, de PaO2, de compliance du système respiratoire, de PEEP intrinsèque ou de volume piégé.

Aucune différence n’était retrouvée pour le “ventilatory ratio” (calculé à partir de la PaCO2 et de la ventilation minute), une variable associée à la fraction d'espace mort alvéolaire et à un risque accru de mortalité chez les patients atteints de SDRA [5].

La durée médiane de ventilation mécanique invasive était similaire dans les deux groupes : 12 jours [écart interquartile, 5–20] dans le groupe propofol versus 15 jours [écart interquartile, 9–21] dans le groupe sévoflurane.

Un patient du groupe sévoflurane a présenté un diabète insipide néphrogénique réversible après une administration prolongée (216 heures). Aucun événement grave lié à l’hypercapnie ou à une instabilité hémodynamique n’était rapporté.

Commentaires

Cette étude française visait à explorer les avantages potentiels du sévoflurane sur le propofol dans la sédation des patients avec décompensation aiguë de BPCO. Toutefois, aucun effet significatif n’était retrouvé.

Bien que les effets bronchodilatateurs du sévoflurane aient été suggérés, les résultats des études disponibles (principalement réalisées en contexte d’anesthésie) sont contrastés. Par exemple, une étude randomisée contrôlée incluant 71 patients sans pathologie pulmonaire ne mettait pas en évidence d’effet au cours du temps sur la résistance des voies aériennes ni de l’isoflurane ni du sévoflurane [6], tandis qu’une autre étude ayant inclus 90 patients avec BPCO opérés d’une chirurgie carcinologique thoracique retrouvait une diminution de la résistance des voies aériennes avec le sévoflurane ou l’isoflurane, par rapport au thiopental [1].

De plus, le propofol lui-même pourrait avoir des effets bronchodilatateurs chez les patients atteints de BPCO sous ventilation mécanique [7].

Le dispositif utilisé (SEDACONDA-ACD-S) introduit un certain niveau de résistance (estimé à 3.5 cmH2O/L/s) et de volume d’espace mort instrumental (estimé à 50 mL), qui pourraient “neutraliser” certains bénéfices potentiels du sévoflurane, ce d’autant qu’une humidification active était utilisée chez les patients du groupe propofol. Ces hypothèses ne semblent toutefois pas appuyées par l’absence de différence retrouvée en termes de PaCO2, de “ventilatory ratio”, de PEEP intrinsèque ou de volume piégé.

Points forts
  • Il s’agit de la première étude clinique évaluant les effets d’une sédation par sévoflurane sur la mécanique respiratoire chez des patients de réanimation avec décompensation aiguë de BPCO sous ventilation mécanique invasive.
  • Il s‘agit d’un essai randomisé contrôlé, incluant des protocoles de soins standardisés et évaluant des critères de jugement objectifs.
Points faibles
  • Taille d’échantillon réduite : les 16 patients inclus, au lieu des 22 prévus, limitent la puissance statistique. Toutefois, il est probable que les résultats n’auraient pas été différents si l’étude avait inclus les 22 patients initialement prévus.
  • Le caractère monocentrique de l’étude limite la généralisabilité des résultats.
Implications et conclusions

Cette étude importante suggère que le sévoflurane n’apporte pas d’avantage significatif par rapport au propofol en termes de mécanique respiratoire chez les patients avec décompensation de BPCO sous ventilation mécanique.

La sédation inhalée en réanimation émerge depuis quelques années comme une alternative potentiellement séduisante à la sédation intra-veineuse, notamment chez les patients avec BPCO ou SDRA [8]. En France, l’isoflurane (commercialisé sous le nom de CEDACONDA par Sedana Medical) bénéficie d’ailleurs d’une autorisation de mise sur le marché pour la sédation des patients adultes sous ventilation artificielle.

Toutefois, les résultats de l’étude de Jung et al. renforcent la nécessité de conduire ce type d’essais cliniques rigoureux, idéalement multicentriques et à plus grande échelle, afin de mettre cette stratégie de sédation inhalée “à l’épreuve” de l’evidence-based medicine et de mieux en apprécier l’efficacité et la sécurité chez les patients de réanimation.


 

Références cités dans les commentaires   

  1. Volta CA, Alvisi V, Petrini S, Zardi S, Marangoni E, Ragazzi R, et al. The effect of volatile anesthetics on respiratory system resistance in patients with chronic obstructive pulmonary disease. Anesth Analg. 2005;100:348–53.
  2. Jung B, Fosset M, Amalric M, Baedorf-Kassis E, O’Gara B, Sarge T, et al. Early and late effects of volatile sedation with sevoflurane on respiratory mechanics of critically ill COPD patients. Ann Intensive Care. 2024;14:91.
  3. Agustí A, Celli BR, Criner GJ, Halpin D, Anzueto A, Barnes P, et al. Global initiative for chronic obstructive lung disease 2023 report: GOLD executive summary. Am J Respir Crit Care Med. 2023;207:819–37.
  4. Blanchard F, Perbet S, James A, Verdonk F, Godet T, Bazin J-E, et al. Minimal alveolar concentration for deep sedation (MAC-DS) in intensive care unit patients sedated with sevoflurane: A physiological study. Anaesth Crit Care Pain Med. 2020;39:429–34.
  5. Sinha P, Calfee CS, Beitler JR, Soni N, Ho K, Matthay MA, et al. Physiologic analysis and clinical performance of the ventilatory ratio in acute respiratory distress syndrome. Am J Respir Crit Care Med. 2019;199:333–41.
  6. Nyktari V, Papaioannou A, Volakakis N, Lappa A, Margaritsanaki P, Askitopoulou H. Respiratory resistance during anaesthesia with isoflurane, sevoflurane, and desflurane: a randomized clinical trial. Br J Anaesth. 2011;107:454–61.
  7. Conti G, Dell’Utri D, Vilardi V, De Blasi RA, Pelaia P, Antonelli M, et al. Propofol induces bronchodilation in mechanically ventilated chronic obstructive pulmonary disease (COPD) patients. Acta Anaesthesiol Scand. 1993;37:105–9.
  8. O’Gara B, Boncyk C, Meiser A, Jerath A, Bellgardt M, Jabaudon M, et al. Volatile anesthetic sedation for critically ill patients. Anesthesiology. 2024;141:163–74.

 


CONFLIT D'INTÉRÊTS

Article commenté par Matthieu Jabaudon, Anesthésie–Réanimation et Médecine Péri-opératoire, CHU de Clermont-Ferrand et Université Clermont Auvergne, France.

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