Sevrage ventilatoire, soyez vigilant sur la vigilance !

14/12/2023
Image
Image
Texte

Weaning from mechanical ventilation in intensive care units across 50 countries (WEAN SAFE): a multicentre, prospective, observational cohort study

Pham T, Heunks L, Bellani G, Madotto F, Aragao I, Beduneau G, Goligher EC, Grasselli G, Laake JH, Mancebo J, Peñuelas O, Piquilloud L, Pesenti A, Wunsch H, van Haren F, Brochard L, Laffey JG; WEAN SAFE Investigators.

Lancet Respir Med. 2023 Jan 20:S2213-2600(22)00449-0. doi: 10.1016/S2213-2600(22)00449-0.

Texte
Questions évaluées
  • Quel est l’état des lieux des pratiques concernant le sevrage ventilatoire ?
  • Quels sont les facteurs modifiables associés à l’échec de sevrage ?
Type d’étude

Cohorte multicentrique prospective observationnelle menée dans 481 unités de soins intensifs de 50 pays.

Population étudiée

5869 patients de plus de 16 ans hospitalisés en unité de soins intensifs et sous ventilation mécanique invasive depuis au moins 2 jours.

Méthode

Chaque centre incluait de manière prospective les patients durant quatre semaines pendant une période comprise entre octobre 2017 et juin 2018.

Les critères de sevrabilité retenus étaient inspirés de la conférence de consensus publiée par Boles et coll (1) :

  • FiO2 < 50%
  • PEP < 10cmH2O
  • Pas ou peu de vasopresseur (< 0,2 μg/kg/min de noradrénaline ou équivalent)
  • Absence de curare

La période du sevrage ventilatoire était définie par la réalisation d’une première tentative de séparation du ventilateur (définie par une épreuve de ventilation spontanée ou une extubation directe).

Le succès de sevrage était défini par une extubation sans décès ni réintubation dans les 7 jours.

Les patients étaient classés dans 5 groupes selon le type de sevrage :

  1. Pas de tentative de séparation (patient décédé ou transféré sous ventilation mécanique invasive)
  2. Sevrage court (dans les 24 h après la première tentative de séparation)
  3. Sevrage intermédiaire (entre 1 et 7 jours après la première tentative de séparation)
  4. Sevrage prolongé (entre 7 après la première tentative de séparation et J90 de l’intubation)
  5. Échec de sevrage (tentative de séparation sans succès de sevrage à J90 post-intubation ou lors du transfert hors de l’unité de soins intensifs ou décès sans réussite de sevrage).

Le critère de jugement principal était la proportion de patients exposés à la ventilation mécanique invasive au moins 48 heures qui étaient sevrés avec succès de la ventilation invasive à J90.

Résultats essentiels

Parmi les 5869 patients inclus, deux patients sur dix sont décédés avant toute tentative de séparation, les trois-quarts (77.1%) ont fait au moins une tentative de séparation du ventilateur et les deux tiers (65.5%) étaient sevrés du ventilateur à J90.

Les critères de sevrabilité et les signes de ventilation spontanée étaient présents en médiane à J3 post-intubation (IQR 3-4) alors que la tentative de séparation du ventilateur survenait à J5 (IQR 4-8), suggérant que les patients auraient pu être soumis plus tôt à une première tentative de séparation. Cela aurait pu être le cas si les critères proposés par les investigateurs de WEAN SAFE étaient utilisés en pratique courante.

Pour 80% des patients ayant eu une tentative de séparation, celle-ci consistait en une épreuve de ventilation spontanée. A contrario 20% des tentatives de séparation consistaient en une extubation sans épreuve de sevrage préalable. Ces patients extubés directement représentaient un tiers des patients sevrés.

Chez les patients ayant eu une tentative de séparation, 65% avaient un sevrage court (< 1 jour), 10% un sevrage de durée intermédiaire (< 7 jours), 9% un sevrage prolongé et 16% étaient en échec de sevrage.

La mortalité hospitalière augmentait proportionnellement à la durée du sevrage (10, 13 et 17% pour les sevrages courts, intermédiaires et longs respectivement).

Chez les patients avec sevrage court et intermédiaire, une trachéotomie était réalisée chez respectivement 6% et 30% des malades alors qu’elle concernait deux tiers des patients dans le groupe sevrage prolongé. Le délai entre intubation et trachéotomie était significativement plus long dans les groupes sevrage intermédiaire et sevrage prolongé par rapport au groupe sevrage court (8 et 13 jours versus 7 jours).

Le taux de réintubation des patients extubés était de 13% et s’accompagnait d’une mortalité plus élevée que celle des patients ayant réussi leur sevrage (29% vs 11%).

Les facteurs de risque associés au retard d’initiation de la première tentative de séparation étaient : l’état d’éveil (sédation profonde et modérée), un motif d’admission de cause traumatique, un motif d’admission de cause neurologique non traumatique, l’utilisation continue de curares avant l’obtention des critères de sevrabilité, l’échelle de fragilité clinique (Clinical Frailty Scale) et le score SOFA non neurologique. L’admission pour arrêt cardiaque était associée à une initiation plus précoce de la tentative de séparation.

Les facteurs de risque associés à l’échec de sevrage étaient : un état de sédation profonde, une décision de limitation des traitements, l’admission en réanimation pour un motif neurologique non traumatique, l’immunodépression, l’échelle de fragilité clinique, l’âge, le score SOFA non neurologique, l’initiation retardée de la tentative de séparation, l’oxygénation, la fréquence respiratoire, le niveau de pression expiratoire positive et de pression inspiratoire maximale lors de la première tentative de séparation. En revanche, la présence d’une pathologie cardiaque préexistante était un facteur protecteur d’échec de sevrage.  

Commentaires :

Identifier le plus tôt possible les patients prêts à être extubés est un enjeu quotidien en réanimation. Extubés trop tôt, les patients présentent un risque de réintubation associé à une surmortalité. Extubés trop tard, ils sont exposés aux complications de la ventilation mécanique prolongée (2,3). Parmi ces deux écueils, les études montrent que les cliniciens ont une tendance naturelle « conservatrice » privilégiant l’exposition prolongée à la ventilation et donc le risque de complications associées plutôt que le risque d’échec d’extubation. Ceci s’explique en partie par le fait que les critères de sevrabilité utilisés sont plutôt des critères d’extubation incluant notamment l’état neurologique, la force de toux en plus des paramètres ventilatoires.

Identifier des facteurs modifiables associés à l’échec de sevrage est donc primordial pour permettre l’élaboration de recommandations robustes concernant le sevrage de la ventilation invasive. Le rôle des soignants dans le processus de sevrage étant déterminant, une description internationale des pratiques du sevrage était nécessaire et de ce point de vue, l’étude WEAN SAFE apporte de nombreux éléments susceptibles d’améliorer la prise en charge des patients. Parmi ces éléments modifiables, WEAN SAFE confirme le rôle majeur de la sédation comme frein au processus de sevrage. De façon notable, l’étude WEAN SAFE montre aussi que de nombreux patients (31.4%) sont séparés du ventilateur sans épreuve de sevrage. Ceci permet de rappeler que l’épreuve de sevrage doit être utilisée comme tous les autres tests diagnostiques en médecine, c’est-à-dire en tenant compte de la probabilité pré-test (4). Utilisée à tort, l’épreuve de sevrage est nécessairement génératrice de faux négatifs, susceptibles de prolonger indûment la durée passée sous ventilation mécanique.

Points forts
  • Travail international de grande ampleur
  • Collecte prospective des données quotidiennes
  • Proposition et utilisation d’une définition opérationnelle de la sevrabilité distincte de la première tentative de séparation. Cette distinction a permis d’identifier des facteurs modifiables permettant d’améliorer les pratiques.
Points faibles
  • Étude observationnelle permettant seulement de conclure à une association entre facteurs de risque et échec de sevrage et non à une relation de causalité.
  • Pas d’information disponible sur les doses et médicaments de sédation ni sur les causes d’hypovigilance
  • Évaluation non standardisée de l’état de vigilance entre les centres avec des échelles différentes.
  • Peu d’informations sur les patients extubés sans épreuve de sevrage
Implications et conclusions
  • L’existence d’un délai entre la réunion des critères de sevrabilité et la première tentative de séparation renforce l’importance de l’évaluation précoce et systématique de la sevrabilité reposant sur des critères simples.
  • Cette étude montre des pratiques très hétérogènes avec notamment le recours non systématique à l’épreuve de sevrage avant extubation.
  • Cette étude nous apprend que seulement 65% des patients intubés sont sevrés au 90ème jour post-intubation. Le niveau de sédation et le retard d’initiation de la première tentative de séparation sont associés à l’échec de sevrage.
Texte

CONFLIT D'INTÉRÊTS

Article commenté par Valentine Le Stang et Martin Dres, Médecine intensive Réanimation, APHP. Sorbonne Université, Hôpital Pitié Salpétrière, France.

Les auteurs ne déclarent pas de conflit d'intérêt en lien avec cet article.

Le contenu des fiches REACTU traduit la position de leurs auteurs, mais n’engage ni la CERC ni la SRLF.

Envoyez vos commentaires/réactions aux auteurs (martin.dres@aphp.fr) et à la CERC.

Texte

CERC

G. LABRO (Secrétaire)
S. BOURCIER
A. BRUYNEEL
C. DUPUIS
S. GENDREAU
S. GOURSAUD
G. FOSSAT
N. HIMER
T. KAMEL
O. LESIEUR
A. ROUZÉ
V. ZINZONI

Texte

RÉFÉRENCES

  • Boles JM, Bion J, Connors A, Herridge M, Marsh B, Melot C, et al. Weaning from mechanical ventilation. Eur Respir J. 1 mai 2007;29(5):1033‑56. 
  • Herridge MS, Chu LM, Matte A, Tomlinson G, Chan L, Thomas C, et al. The RECOVER Program: Disability Risk Groups and 1-Year Outcome after 7 or More Days of Mechanical Ventilation. Am J Respir Crit Care Med. 1 oct 2016;194(7):831‑44.
  • Fagon JY, Chastre J, Vuagnat A, Trouillet JL, Novara A, Gibert C. Nosocomial pneumonia and mortality among patients in intensive care units. JAMA. 20 mars 1996;275(11):866‑9.
  • Burns KEA, Rizvi L, Cook DJ, Lebovic G, Dodek P, Villar J, et al. Ventilator Weaning and Discontinuation Practices for Critically Ill Patients. JAMA. 23 mars 2021;325(12):1173‑84.