Souffrance des hospitalo-universitaires

17/01/2024
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Job strain, burnout, and suicidal ideation in tenured university hospital faculty staff in France in 2021. Dres M. et al. JAMA Network Open. 2023; doi:10.100/ jamanetworkopen.2023.3652

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Question évaluée 

Dans le contexte de la perte d’attractivité des carrières hospitalo-universitaires, les auteurs majoritairement réanimateurs ont lancé une grande enquête nationale sur la charge mentale, l’épuisement professionnel et les idées suicidaires à destination de tous les personnels hospitalo-universitaires titulaires.

Type d’étude 

Il s’agit d’une étude transversale nationale par questionnaire en ligne.

Population étudiée 

Entre le 25/10/2021 et le 20/12/2021, tous les personnels hospitalo-universitaires titulaires (MCU-PH, PU-PH) ont reçu un lien avec trois relances, soit 5332 personnes concernées.

Méthode 

L’enquête anonyme comportait sept domaines portant sur les caractéristiques personnelles et professionnelles avec notamment l’expérience passée, l’organisation du travail et son type, une évaluation du MBI (Maslach Burnout Inventory), une partie réduite du questionnaire dit de Karasek et Theorell (JCQ, Job Content Questionnaire) pour évaluer la charge mentale (« job strain »), des échelles visuelles analogiques pour évaluer certains paramètres associés à l’épuisement professionnel, ainsi que la présence d’idées suicidaires. Les analyses ont permis de décrire l’échantillon, la prévalence d’épuisement professionnel (critère de jugement principal) ainsi que ses déterminants. Trois analyses de sensibilité, portant sur le sexe masculin, le fait d’être PU-PH et la qualification en non-chirurgien ont été réalisées.

Résultats essentiels 

Le taux de réponses a été de 45% (n=2390).

Parmi les répondants, 40% rapportaient un sentiment d’épuisement professionnel important (n=952). La charge mentale était importante chez 296 participants (12%), et les idées suicidaires rapportées chez 343 participants (14%). Les résultats n’étaient pas modifiés comparativement à la population globale dans les analyses de sensibilité prévues.

Les facteurs principaux indépendamment associés à un épuisement professionnel sévère étaient ne pas être un clinicien, un déséquilibre entre vie privée et professionnelle, le sentiment d’être constamment sur la brèche, envisager un changement de carrière et se déclarer victime de harcèlement.

Commentaires 

Cette étude est à rapprocher des études dans le champ de la qualité de vie au travail et de la santé des médecins et des dirigeants dans le cadre d’une entreprise particulière qu’est le centre hospitalo-universitaire [1–4]. Pendant longtemps, ce statut a été protecteur pour de nombreuses raisons, y compris en termes de sélection de personnalités résilientes [5]

De nos jours, ces travaillants cumulent de nombreux facteurs de risque psycho-organisationnels portant sur cette charge mentale décrite par les auteurs, mais également un déséquilibre effort/récompense, des conflits de valeurs, un collectif disparu[6–8], ou tout simplement un temps de travail prolongé considéré récemment par l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) - Organisation Internationale du Travail (OIT) comme la première cause de maladie professionnelle en termes de morbi-mortalité [9]. Malgré tout, il semble important d’insister également sur les marges de manœuvre et les capacités de changement dans ce type de métiers, sans pour autant remettre en cause l’aspect inquiétant de l’étude.

Points forts 

Pour la première fois en France, les auteurs pointent que les carrières hospitalo-universitaires ne protègent pas des contraintes psycho-organisationnelles, bien connues et décrites dans les milieux hospitaliers et de recherche. Le taux de participation est tout à fait convenable pour ce type d’étude qui illustre bien l’importance de ces questions pour les répondants.

Points faibles 

En plus des limites mentionnées par les auteurs (auto-déclaration, anonymat et pandémie), la principale limite de l’étude réside dans son design transversal qui ne permet pas d’interprétation avancée.

Implications et conclusions 

Cette étude insiste sur l’importance de la gestion collective et dans le temps des carrières hospitalo-universitaires notamment des plus jeunes, à la fois sur le parcours de combattant qu’elles représentent pour y parvenir, mais également en rappelant que c’est une étape, non une finalité pour un épanouissement professionnel et personnel. L’importance d’une qualité de vie au travail comme de la santé au travail dans ces carrières y est mise en exergue, dans le monde des CHU de demain.

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RÉFÉRENCES

1.         Miczek S, Lefranc D, Sobaszek A. Regards des responsables de structure hospitalière sur la santé au travail : la leur et celle des autres praticiens. Enquête auprès de 222 médecins et pharmaciens du Centre hospitalier universitaire de Lille. Arch Mal Prof Environ. 2023 Jun 1;84(3):101704.

2.         Kovess-Masfety V, Saunder L. Le burnout : historique, mesures et controverses. Arch Mal Prof Environ. 2017 Feb 1;78(1):16–23.

3.         Estryn-Behar M, Van der Heijden B, Guétarni K, Fry G. Pertinence des indicateurs de risques psychosociaux à l’hôpital pour la prévention du burnout. Arch Mal Prof Environ. 2010 Sep 1;71(4):619–37.

4.         Alcaraz-Mor R, Urcun A, Vigouroux A, Boyer L, Villa A, Lehucher-Michel MP. Contraintes psychosociales et organisationnelles : analyse qualitative auprès de 52 médecins hospitaliers. Arch Mal Prof Environ. 2021 Aug 1;82(4):425–37.

5.         West CP, Dyrbye LN, Sinsky C, Trockel M, Tutty M, Nedelec L, Carlasare LE, Shanafelt TD. Resilience and Burnout Among Physicians and the General US Working Population. JAMA Netw Open. 2020 Jul 1;3(7):e209385.

6.         Phipps DL, Malley C, Ashcroft DM. Job characteristics and safety climate: the role of effort-reward and demand-control-support models. J Occup Health Psychol. 2012 Jul;17(3):279–89.

7.         Siegrist J. Adverse health effects of high-effort/low-reward conditions. J Occup Health Psychol. 1996 Jan;1(1):27–41.

8.         Harvey SB, Modini M, Joyce S, Milligan-Saville JS, Tan L, Mykletun A, Bryant RA, Christensen H, Mitchell PB. Can work make you mentally ill? A systematic meta-review of work-related risk factors for common mental health problems. Occup Environ Med. 2017 Mar;74(4):301–10.

9.         Pega F, Náfrádi B, Momen NC, Ujita Y, Streicher KN, Prüss-Üstün AM, Descatha A, Driscoll T, Fischer FM, Godderis L, Kiiver HM, Li J, Magnusson Hanson LL, Rugulies R, Sørensen K, Woodruff TJ. Global, regional, and national burdens of ischemic heart disease and stroke attributable to exposure to long working hours for 194 countries, 2000–2016: A systematic analysis from the WHO/ILO Joint Estimates of the Work-related Burden of Disease and Injury. Environ Int. 2021 May 17;106595.

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CONFLIT D'INTÉRÊTS

Article commenté par Alexis Descatha, PU-PH en Santé au travail, CHU Angers/ Univ Angers Inserm, France.

Alexis Descatha est payé par ses affiliations, et est rédacteur en chef des archives de maladies professionnelles et de l’environnement. Il a répondu à l’enquête et mesure la chance qu’il a d’être dans des équipes et des CHU favorables.

Envoyez vos commentaires/réactions à l'auteur (alexis.descatha@inserm.fr) et à la CERC.

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CERC

G. LABRO (Secrétaire)
S. BOURCIER
A. BRUYNEEL
C. DUPUIS
S. GENDREAU
S. GOURSAUD
G. FOSSAT
N. HIMER
T. KAMEL
O. LESIEUR
A. ROUZÉ
V. ZINZONI