
Association between intensive care unit nursing grade and mortality in patients with cardiogenic shock and its cost-effectiveness
Ki Hong Choi, Danbee Kang, Jin Lee, Hyejeong Park, Taek Kyu Park, Joo Myung Lee, Young Bin Song, Joo‑Yong Hahn, Seung‑Hyuk Choi, Hyeon‑Cheol Gwon, Juhee Cho and Jeong Hoon Yang
Choi et al. Critical Care (2024) 28:99
Introduction
La standardisation de la gestion des états de choc cardiogéniques (revascularisation précoce, monitoring hémodynamique et support circulatoire) a permis de diminuer la mortalité des patients. Cependant, la mise en œuvre de pratiques recommandées peut être compromise par une disponibilité réduite de ressources humaines, notamment d’infirmier.e.s de réanimation.
L’association entre la charge de travail infirmier et le devenir des patients de réanimation a déjà été étudiée, mais pas chez les patients en état de choc cardiogénique, qui sont particulièrement à risque de dégradation rapide.
Question évaluée
L’American Heart Association propose de classer les services de réanimation cardiaque en 3 catégories selon leurs capacités de prise en charge, allant du niveau 1 (pour les patients les plus graves) à 3. Pour chacune de ces catégories, un ratio de patients par infirmier.e est recommandé.
L’étude a cherché à évaluer l'association entre le nombre de patients par infirmier.e et la mortalité des patients en état de choc cardiogénique en réanimation.
Une analyse coût/efficacité a également été menée pour déterminer le niveau adéquat de ressources humaines.
Type d’étude
Il s’agit d’une étude rétrospective sur cohorte nationale.
Population étudiée
Ont été inclus les patients majeurs, admis en réanimation dans un hôpital tertiaire de Corée du Sud pour un état de choc cardiogénique diagnostiqué entre le 1er janvier 2010 et le 31 décembre 2020.
Méthode
Toutes les données de l'étude proviennent de la base de données du service national coréen d'assurance maladie.
Le « ICU nursing grade », ou l’intensité des soins infirmiers, était défini par les ratios lit/infirmier (c’est-à-dire le nombre de lits par infirmier.e) comme tel :
- Grade 1 (le meilleur) : correspondait à un ratio lit/infirmier < 0,5
- Grade 2 : 0,5 ≤ ratio lit/infirmier < 0,63
- Grade 3 et plus : ratio lit/infirmier ≥ 0,63
Toutes les causes de mortalité ont été retenues.
Pour l’analyse médico-économique, la rentabilité d’une haute intensité des soins infirmiers a été exprimée par le rapport coût-efficacité différentiel, défini comme la différence des coûts d'hospitalisation divisée par la différence en termes de durée de survie pendant l'hospitalisation et un an après la sortie. Les coûts journaliers ont été calculés sur la base d'hospitalisations de référence.
Résultats essentiels
72 950 parcours de patients ont été analysés. Comparativement aux patients pris en charge en grade 1, la mortalité hospitalière était significativement plus élevée chez les patients en grade 2 (Odds ratio (OR) ajusté 1.14, IC 95% 1.09–1.19) et chez les patients en grade ≥ 3 (OR ajusté 1.29, IC 95% 1.23–1.36).
L’analyse médico-économique a montré que le coût estimé du séjour des patients en grade 1 était de 1365$, soit 199$ de plus que pour les patients en grade 2 et 423$ de plus que pour ceux en grade ≥ 3.
Le rapport coût/efficacité différentiel, sur la durée de l’hospitalisation, était calculé à + 25 047$ par an entre les soins infirmiers de grade 1 et 2, et à + 42 888$ par an entre les grades 1 et ≥ 3. Aussi, une intensification des soins infirmiers, vers le grade 1, était considérée comme « rentable », car les rapports coût/efficacité différentiels restaient inférieurs au seuil considéré de 45 000$.
Commentaires
Cette étude observe qu’une haute intensité de soins infirmiers, reflétée par un ratio lit/infirmier plus bas, est associé à une baisse de la mortalité hospitalière chez les patients admis en réanimation pour choc cardiogénique. L’étude a également montrée que le rapport coût-efficacité de cette augmentation des effectifs était favorable.
Ces résultats sont à rapprocher des études précédentes qui se sont intéressées à la relation entre la charge de travail des infirmier.e.s et la mortalité des patients en réanimation (1–3). La charge de travail requise par les patients de réanimation est liée au recours à des dispositifs de suppléance vitale (ventilation mécanique, traitement vaso-actifs voire suppléance circulatoire). Ces soins nécessitent du temps infirmier, et une hausse de la charge de travail est associée à une diminution du suivi des recommandations de prise en charge (3,4). Dans une étude assez récente, des résultats analogues à l’étude ici présentée ont été observés chez les patients admis en réanimation pour sepsis et choc septique (3). Dans cette population, tout nouvel ajout de patient à un infirmier.e était associé à une évolution péjorative, dont une mortalité hospitalière plus élevée (OR 1.12, IC 95% 1.03-1.21). Dans le contexte français, il a été rapporté qu’un ratio supérieur à 2.5 patients par infirmier.e était associé à une augmentation du risque de mortalité de 3.5 (IC 95% 1.3-9.1) en réanimation. Ce risque était d’ailleurs majoré le week-end (5).
L'American Academy of Nursing a récemment déclaré que des niveaux adéquats de dotation en personnel infirmier sont essentiels pour les soins de qualité aux patients et le bien-être du personnel infirmier (6). Toutefois, seuls quelques Etats ont légiféré sur des ratios patient/infirmier minimaux. En 1977, la Californie a pour la première fois établi un ratio minimum de 1 infirmier.e pour 2 patients en réanimation (7). Depuis, l'Oregon et le Massachusetts, aux États-Unis (6) et l'État de Victoria, en Australie (8) ont adopté une législation similaire. En Europe, la Commission fédérale mixte allemande s'est prononcée en faveur d'un ratio patient/infirmier de 1:1, mais uniquement dans les unités de réanimation néonatale (9). En France, il existe un ratio minimum légal de personnel infirmier pour les réanimations depuis 2002, initialement fixé à 1 infirmier.e pour 2.5 patients, redéfini à 1 infirmier.e pour 2.5 lits ouverts en 2022 (10). Bien que ce ratio ne soit pas fondé sur des données probantes, cette évolution met en évidence l’importance d’adapter les ressources en soins aux besoins des patients en réanimation.
Points forts
Il s’agit d’une étude qui a analysé les données de près de 73 000 patients hospitalisés en réanimation pour choc cardiogénique.
La volet médico-économique apporte des résultats intéressants, qui permettent d’envisager les infirmier.e.s non pas comme des ressources humaines coûteuses, mais comme des professionnel.le.s dont les compétences permettent de réduire les coûts de santé publique.
Points faibles
Il s’agit d’une étude rétrospective sur données, rapportées par les hôpitaux pour l’assurance maladie, dont l’exhaustivité et la fiabilité peuvent être remise en cause.
Aucune donnée liée à l’organisation des soins et aux compétences infirmières n’a été recueillie.
Les données sud-coréennes sont difficiles à extrapoler au contexte français ou européen, en raison des différences significatives tant en termes de ratios patient/infirmier (bien plus bas en Corée du Sud) qu’en terme de coût du travail.
Implications et conclusions
Cette étude insiste sur l’importance d’une adéquation entre les besoins des patients, les recommandations de bonnes pratiques et les ressources en soins infirmiers. Le contexte français s’appuie sur des textes réglementaires, mais à ce jour aucune évaluation formelle de la charge de travail des infirmier.e.s n’a été réalisée de manière objective et nationale. Ces données sont attendues.
Références
- Mordi WO, Hau C, Warden A, Shearer AJ. Hospital mortality in relation to staff workload: a 4-year study in an adult intensive-care unit. Lancet. 15 juill 2000;356(9225):185‑9.
- Kelly DM, Kutney-Lee A, McHugh MD, Sloane DM, Aiken LH. Impact of critical care nursing on 30-day mortality of mechanically ventilated older adults. Crit Care Med. mai 2014;42(5):1089‑95.
- Lasater KB, Sloane DM, McHugh MD, Cimiotti JP, Riman KA, Martin B, et al. Evaluation of hospital nurse-to-patient staffing ratios and sepsis bundles on patient outcomes. Am J Infect Control. juill 2021;49(7):868‑73.
- Cimiotti JP, Becker ER, Li Y, Sloane DM, Fridkin SK, West AB, et al. Association of Registered Nurse Staffing With Mortality Risk of Medicare Beneficiaries Hospitalized With Sepsis. JAMA Health Forum. 27 mai 2022;3(5):e221173.
- Neuraz A, Guérin C, Payet C, Polazzi S, Aubrun F, Dailler F, et al. Patient Mortality Is Associated With Staff Resources and Workload in the ICU: A Multicenter Observational Study. Crit Care Med. août 2015;43(8):1587‑94.
- Naegle MA, Kelly LA, Embree JL, Valentine N, Sharp D, Grinspun D, et al. American Academy of Nursing consensus recommendations to advance system level change for nurse well-being. Nurs Outlook. 2023;71(2):101917.
- Spetz J. California’s minimum nurse-to-patient ratios: the first few months. J Nurs Adm. déc 2004;34(12):571‑8.
- Buchan J. A certain ratio? The policy implications of minimum staffing ratios in nursing. J Health Serv Res Policy. oct 2005;10(4):239‑44.
- Patry C, Schindler M, Reinhard J, Hien S, Demirakca S, Böhler T, et al. A gap between Need and Reality: Neonatal Nursing Staff Requirements on a German Intensive Care Unit. Pediatr Rep. 28 mars 2014;6(1):5186.
- Ministère des Solidarités et de la Santé. Décret n° 2022-694 du 26 avril 2022 relatif aux conditions techniques de fonctionnement de l’activité de soins critiques. 2022-694 avr 26, 2022.
CONFLIT D'INTÉRÊTS
Article commenté par Laurent Poiroux, Infirmier de réanimation, PhD, Maitre de conférences en Sciences infirmières, Faculté de santé de l’Université d’Angers.
L'auteur déclare n'avoir aucun lien d'intérêt.
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