Thromboses veineuses liées aux cathéters chez les patients de soins intensifs et réanimation : intérêt du dépistage ?

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Daily point-of-care ultrasound-assessment of central venous catheter-related thrombosis in critically ill patients: a prospective multicentre study. Wu C, Zhang M, Gu W et al.
Intensive Care Med. 2023 Apr;49(4):401-410.
DOI: 10.1007/s00134-023-07006-x

 

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 Question évaluée 

Évaluer la fréquence de survenue et l'évolution d’une thrombose reliée à un cathéter veineux central (TRC), depuis l'insertion du cathéter veineux central (CVC) jusqu'à son retrait.

Type d’étude

Étude épidémiologique prospective, multicentrique

Population étudiée

Patients adultes, consécutifs, admis dans 28 unités de soins intensifs et réanimation, en Chine. La pose du CVC devait être réalisée pour une utilisation d’au moins 48h.

Les critères d’inéligibilité étaient :

  • Pose de CVC pour épuration extra-rénale,
  • Patient sous anticoagulant à dose thérapeutique,
  • Thrombose veineuse déjà détectée dans le site d'insertion avant la pose de CVC
  • Fenêtre de mauvaise qualité ou inaccessible pour l'examen échographique.
Méthode
  • Après insertion du CVC (réalisée selon la technique de Seldinger dans des conditions stériles, le choix de la taille, de la longueur, du site d'insertion et de l'utilisation du guidage échographique étant laissé à la discrétion du clinicien), une détection systématique par échodoppler de thrombose liée au cathéter (TRC) était réalisée tous les jours jusqu'à au moins 3 jours après le retrait du CVC ou la sortie du patient. L’échodoppler explorait particulièrement la veine jugulaire interne, sous-clavière, fémorale ou axillaire du même côté que le CVC.
  • Pour diagnostiquer la TRC par échographie, l’investigateur recherchait au moins deux des critères suivants :
    • Défaut de remplissage échogène intraveineux
    • Non-compressibilité de la veine
    • Modification anormale de flux
  • A noter que les examens ont été réalisés par des médecins investigateurs qualifiés en échographie sur le lieu de soins, et ne s'occupant pas de patients. Le même examinateur a effectué l'examen dans chaque centre par souci de cohérence, à l’aide d’une procédure normalisée.
Résultats essentiels
  • L'étude a inclus 1 262 patients consécutifs, 67,6 % de patients médicaux et 32,4 % de patients traumatisés. Les principaux diagnostics des patients médicaux étaient une insuffisance respiratoire aiguë, une maladie cardiovasculaire ou cérébrovasculaire, une réanimation cardiorespiratoire, une septicémie et une intoxication. La majorité des CVC ont été placés du côté droit, 54 % étant insérés dans la veine jugulaire interne, 30 % dans la veine sous-clavière, 14,1 % dans la veine fémorale et 1,9 % dans la veine axillaire. La durée médiane d'insertion du CVC était de 7 (4 à 12) jours.
  • L'incidence de la TRC s'est révélée être de 16,9 % (IC95% : 14,8–18,9%). La TRC était le plus souvent détectée dans la veine jugulaire interne, et le délai médian entre l'insertion du CVC et le début de la TRC était de 4 jours (2 à 7 jours).
  • La durée médiane de séjour en unité de soins intensifs était de plus longue chez les patients avec TRC comparativement aux patients sans CRT [10 (6–17) vs. 7(3–12) jours, p < 0.001]. Alors que le taux de mortalité n’était significativement pas différent entre les 2 groupes (20,5 % vs. 18,1%, p=0,43).
  • 12 % des thromboses ont été développées dès le premier jour et 82 % des thromboses dans les 7 jours suivant l’insertion du CVC.
  • La moitié des thromboses étaient de petite taille (évoquant de possibles manchons fibrineux), mais un tiers étaient supérieures à 7 mm. Le suivi échographique a révélé que la taille du TRC ne changeait pas de manière significative au fil du temps lorsque le CVC était en place, mais que le diamètre diminuait de manière significative après le 4ème jour du retrait du CVC.
  • Tous les patients étaient asymptomatiques, l’anticoagulation thérapeutique à base d’HNF ou HBPM n’était administrée que chez 23 patients (11% des TRC).
  • Sur les 127 patients chez qui le CVC a été retiré en réanimation, 24% ont été retirés en raison de la thrombose elle-même et 22% pour une suspicion d’infection du cathéter.
  • La durée du séjour en unité de soins intensifs était plus longue chez les patients atteints de TRC que chez ceux n'en ayant pas reçu de TRC, mais la mortalité en unité de soins intensifs n'était pas significativement différente.
Commentaires
  • L'étude met en évidence la fréquence élevée de thrombose sur cathéter chez les patients en unité de soins intensifs, qui est plus élevée que prévu. Cependant, seul un tiers des cas étaient des thromboses étendues et aucun évènement n'était symptomatique (dans la limite d’un patient sédaté ou pauci-expressif, et d’un dépistage précoce). Les patients présentant une thrombose liée à un cathéter ont été hospitalisés plus longtemps en unité de soins intensifs, ce qui peut favoriser la survenue de celle-ci. La moitié des événements ont été détectés dans les 4 premiers jours suivant la ponction veineuse, et seulement 7 % des patients avaient reçu un traitement anticoagulant prophylactique. Le retrait du cathéter a été associé à la résolution de la thrombose chez tous les patients chez lesquels le cathéter avait été retiré pour cause de thrombose.
  • L'emplacement de la veine jugulaire interne et l'âge ont été associés au risque de thrombose lors d'une analyse multivariée. Il faut cependant noter que la veine jugulaire est la plus facile à explorer, par rapport aux autres veines comme la sous-clavière par exemple.
Points forts 
  • Étude prospective multicentrique, avec l’effectif le plus important jamais publié à ce jour (plus de 1200 patients).
  • Recherche systématique de la TRC, par un investigateur dédié, selon une procédure systématique, avec évaluation de la variabilité intra-investigateur.
Points faibles
  • Évaluation faite par un médecin entrainé à l’échographie « 4-points », mais non spécialiste des explorations vasculaires. Cela peut expliquer la forte représentation des thromboses jugulaires, l’exploration du tronc veineux brachiocéphalique et de la sous-clavière étant techniquement plus difficiles. Il est aussi possible que certaines des images qualifiées de thrombose de petite taille soient en fait des manchons fibrineux (bien connus sur les chambres implantables) et dont l’évolution naturelle est spontanément favorable.
  • Pas d’évaluation échographique à l’aveugle de l’évolution médicale du patient.
  • Possible sous-estimation du nombre total de TRC, les patients transférés dans des unités conventionnelles avec leur CVC n’ayant plus de suivi échographique.
  • Population avec une proportion faible de patients post-opératoires, ou de patients avec comorbidités significatives (cancer, antécédents de MTEV).
Implications et conclusions
  • Ces données apportent la preuve d’une fréquence élevée de TRC, en particulier si le CVC est posé en veine jugulaire, et/ou si le patient est âgé. Cependant, on rappelle que 7% seulement des patients recevaient un traitement anticoagulant préventif, lors de la pose du CVC.
  • Cependant, la relevance clinique de ces TRC est incertaine, pour au moins deux raisons. La première est que le risque évolutif des TRC semble moins défavorable que celui extrapolé des études de prévention de la thrombose veineuse des membres inférieurs en chirurgie programmée, modèle classique des stratégies de prévention. De plus, la mise en évidence à un stade précoce de la TRC (d’étendue souvent limitée) a possiblement modifié la prise en charge secondaire du patient (retrait du CVC, introduction d’un antithrombotique), les auteurs relevant une évolution fréquemment favorable après le retrait de la CVC. Il ne semble donc pas possible d’extrapoler des conclusions thérapeutiques (indication de traitement, ou pas) de ces données épidémiologiques.
  • Ce travail pose les bases d’essais thérapeutiques de prévention, et de traitement, dans ces situations, si d’autres études épidémiologiques venaient à confirmer ce taux très élevé de TRC sur CVC.

   

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CONFLIT D'INTÉRÊTS

Article commenté par Laurent Bertoletti et Thibault Leconte, Médecine Vasculaire et Thérapeutique, CHU de Saint-Etienne.

Les auteurs déclarent n'avoir aucun lien d'intérêt en lien avec ce travail.

Le contenu des fiches REACTU traduit la position de leurs auteurs, mais n’engage ni la CERC ni la SRLF.

Envoyez vos commentaires/réactions aux auteures (laurent.bertoletti@gmail.com) et à la CERC.

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CERC

G. LABRO (Secrétaire)
S. BOURCIER
A. BRUYNEEL
C. DUPUIS
S. GENDREAU
S. GOURSAUD
G. FOSSAT
N. HIMER
T. KAMEL
O. LESIEUR
A. ROUZÉ
V. ZINZONI