La ventilation spontanée au cours du SDRA. Pas si simple

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Pressure control plus spontaneous ventilation versus volume assist-control ventilation in acute respiratory distress syndrome. A randomised clinical trial. Richard J-CM, Beloncle FM, Béduneau G, et al (2024) Intensive Care Med.

 

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Question évaluée :

La ventilation protectrice est la base du traitement du syndrome de détresse respiratoire aiguë (SDRA), mais requiert souvent une sédation pour contrôler les efforts inspiratoires excessifs et les interactions patient-ventilateur, avec comme conséquence un myotrauma lié à un excès d’assistance des muscles respiratoires.

L’hypothèse de l’étude est que la ventilation avec un mode autorisant la ventilation spontanée de façon précoce au cours du SDRA, mais en évitant la superposition de cycles contrôlés et de cycles spontanés potentiellement génératrice d’une pression transpulmonaire excessive, permet de réaliser une ventilation protectrice à la fois pour le poumon et les muscles respiratoires.

Type d’étude :

Essai randomisé contrôlé de supériorité réalisé en France de février 2013 à octobre 2018, avec la mortalité toute cause à J60 comme critère de jugement principal.

Population étudiée :

Patients sous ventilation mécanique invasive, avec SDRA modéré à sévère (PaO2/FiO2≤200 mmHg) depuis moins de 48 heures selon la définition de Berlin [1].

Méthode :

L’essai comportait deux bras, un bras PC-SV où les patients étaient ventilés avec une stratégie ventilatoire en pression contrôlée autorisant la ventilation spontanée désynchronisée des cycles contrôlés (à l’aide du mode APRV), et un bras contrôle avec ventilation en mode volume assisté-contrôlé (VAC). Les deux bras avaient des objectifs similaires de volume courant (VT) (6 ml/kg de poids prédit par la taille (PPT)) et de pression expiratoire positive (réglée selon la stratégie de l’étude Express [2]), et une stratégie identique de décurarisation et d’arrêt de la sédation profonde à H24 de l’inclusion, pour cibler ensuite un score RASS entre -2 et -3. Une ventilation spontanée correspondant à 10 à 50% de la ventilation minute totale était ciblée dans le bras PC-SV (utilisant les courbes de tendance du respirateur), en ajustant la sédation et les réglages ventilatoires selon un algorithme prédéfini au moins 3 fois par jour. L’étude était calibrée pour détecter une différence de mortalité absolue de 10% avec une puissance de 80% et un risque alpha de 5%.

Résultats essentiels :

2371 patients ont été screenés, 700 patients ont été inclus, et 699 patients ont été analysés. Les patients inclus avaient des caractéristiques similaires dans les deux bras avec un rapport PaO2/FiO2 moyen proche de 130 mmHg. La mortalité à J60 n’était pas significativement différente entre les 2 groupes (35% dans le groupe PC-SV vs. 34% dans le groupe VAC), de même que le nombre de jours vivant sans ventilation mécanique. Il n’y avait pas de différence dans le taux d’hypoxémie réfractaire entre les 2 bras sur les 7 premiers jours. En revanche, les thérapeutiques adjonctives de l’hypoxémie (incluant le décubitus ventral (DV)) étaient significativement plus fréquemment utilisées dans le groupe VAC (41% vs. 33%). L’oxygénation artérielle était significativement plus élevée dans le groupe PC-SV à J1 (de l’ordre de 15 mmHg), mais pas à J3 et J7. Par ailleurs, le groupe VAC recevait significativement plus de sédation et de curares sur les 7 premiers jours, associé à une profondeur de sédation plus importante identifiée par le score RASS. Aucune des analyses de sous-groupes prédéfinies n’a montré de différence entre les deux bras de l’étude.

Commentaires :

L'étude BIRDS est un essai randomisé de grande taille bien conduit dont les résultats négatifs posent de nombreuses questions. Cette étude ne permet pas d’affirmer que la ventilation spontanée n’a pas d’impact sur le pronostic du SDRA. Elle en démontre la faisabilité (au moins chez environ la moitié des patients), et des effets bénéfiques potentiels mineurs en termes d’oxygénation. Elle suggère qu’il est possible de réaliser une ventilation protectrice pulmonaire tout en maintenant la ventilation spontanée, mais à moduler par le fait que certains patients du bras PC-SV ont probablement été ventilés avec des VT très élevés (moyenne des VT à J3 de l’étude : 6,8±1,5 ml/kg de PPT).

Points forts :

L’étude a un fort rationnel physiologique, et démontre sur un échantillon de grande taille la faisabilité et la sécurité de maintenir une ventilation spontanée au cours du SDRA. Le protocole de gestion de la ventilation spontanée est astucieux et a permis de standardiser la prise en charge des patients du bras PC-SV.

Points faibles :

La généralisabilité de l’étude peut être discutable dans la mesure où 19% des patients avec critères d’inclusion n’ont pas été inclus pour des raisons non précisées et que la médiane d’inclusion par centre est de 27 patients sur une période de plus de 5 ans. Cette étude ne documente pas l’incidence des asynchronies entre les deux modes de ventilation. Elle ne rapporte pas d’analyse de l’effet centre ni de données sur un éventuel cross-over.

L’objectif de ventilation spontanée n’a pas été atteint dans le bras PC-SV, dans la mesure où plus de 40% des patients ont eu une ventilation-spontanée < 10% de la ventilation totale sur les 7 premiers jours de l’étude. On peut aussi critiquer la cible de ventilation spontanée choisie par les auteurs (10 à 50%) dont le rationnel est probablement insuffisamment établi. L’utilisation systématique de la curarisation notamment sur des SDRA modérés (en désaccord avec les recommandation européennes récentes [3]) a pu aussi défavoriser le groupe PC-SV. Le protocole de l’étude ne permettait pas de détecter les patients présentant en APRV des efforts inspiratoires excessifs (en utilisant la P0.1 par exemple) comme démontré dans une étude physiologique du même groupe [4].

Par ailleurs, plus de 50% des patients du groupe VAC avaient un score RASS<-3 à J3 en contradiction avec le protocole de l’étude, suggérant un excès de sédation dans ce groupe et/ou des difficultés à maintenir une sédation légère au cours du SDRA.

Enfin, les patients du groupe VAC avait un taux de recours au DV significativement plus élevé (38% vs. 29%), ce qui suggère :

1. que le groupe PC-SV a pu être défavorisé car moins exposé à une thérapeutique à l’effet démontré sur la mortalité (malgré un taux d’hypoxémie sévère (<100 mmHg) similaire au groupe VAC, Table S3) ;

2. que les cliniciens ont pu être mal à l’aise de proposer cette technique à des patients moins profondément sédatés (avant l’ère du DV vigile).

 

Implications et conclusions :

Les résultats de l’étude BIRDS sont probablement insuffisants pour induire un changement de pratique, et de nouvelles études physiologiques et cliniques sont probablement requises pour mieux identifier les patients cibles et définir les protocoles (sécurisé et simplifiés) des futures études afin d’optimiser l’applicabilité clinique de ce mode ventilatoire.


 

Références cités dans les commentaires

  1. ARDS Definition Task Force, Ranieri VM, Rubenfeld GD, Thompson BT, Ferguson ND, Caldwell E, Fan E, Camporota L, Slutsky AS (2012) Acute respiratory distress syndrome: the Berlin Definition. JAMA 307:2526–2533
  2. Mercat A, Richard J, Brochard L (2006) Comparison of two strategies for setting PEEP in ALI/ARDS: EXPRESS study. Intensive Care Med 32:S97
  3. Grasselli G, Calfee CS, Camporota L, et al (2023) ESICM guidelines on acute respiratory distress syndrome: definition, phenotyping and respiratory support strategies. Intensive Care Med 49:727–759
  4. Rittayamai N, Beloncle F, Goligher EC, Chen L, Mancebo J, Richard J-CM, Brochard L (2017) Effect of inspiratory synchronization during pressure-controlled ventilation on lung distension and inspiratory effort. Ann Intensive Care 7:100

CONFLIT D'INTÉRÊTS

Article commenté par Jean-Christophe RICHARD et Laurent BITKER, Service de Médecine Intensive - Réanimation, Hôpital de la Croix-Rousse, Hospices Civils de Lyon

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