La VNI prophylactique en post-extubation chez les patients obèses pour éviter… la VNI ?

22/12/2023
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Effect of non-invasive ventilation after extubation in critically ill patients with obesity in France: a multicentre, unblinded, pragmatic randomised clinical trial.

De Jong et al.

Lancet Respir Med 2023. https://doi.org/10.1016/S2213-2600(22)00529-X

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Question évaluée

Quelle stratégie d’oxygénation en post-extubation chez les patients obèses ?

Type d’étude

Étude prospective, multicentrique, pragmatique, randomisée, contrôlée, en ouvert, conduite entre 2019 et 2021 dans 39 services de Réanimation en France.

Population étudiée

Critères d’inclusion

  • Majeurs prêts à être extubés selon le jugement du clinicien
  • Ventilés > 6h
  • Indice de masse corporelle ≥ 30 kg/m2 le jour de l’extubation

Critères d’exclusion

  • PaCO2 ≥ 50 mm Hg le jour de l’extubation
  • Œdème aigu pulmonaire cardiogénique
  • Trachéotomie
  • Ventilation en pression positive au domicile
  • Décision de ne pas réintuber
  • Extubation préalable au cours du même séjour
Méthode

Deux randomisations, stratifiées selon la durée de ventilation invasive avant extubation (<48h ou ≥48h), le type d’admission (médicale ou chirurgicale) et le centre, avec une méthode de minimisation étaient effectuées.

A la première randomisation, les patients étaient assignés dans le groupe oxygène ou dans le groupe ventilation non invasive (VNI) avec des sessions de 30 à 60 min et une durée ≥ 4h dans les 24h suivant l’extubation. La deuxième randomisation déterminait la modalité d’oxygénothérapie (conventionnelle ou haut débit nasal (OHD)) utilisée dans le groupe oxygène et celle utilisée entre les sessions de VNI du groupe VNI. Dans le groupe oxygène, la VNI pouvait être utilisée selon l’avis du clinicien ou en cas d’insuffisance respiratoire aiguë post-extubation.

L’objectif principal était de comparer l’échec du traitement à J3 de l’extubation (critère principal) entre les groupes VNI et oxygène. L’échec du traitement était un critère composite défini par la réintubation, le changement de groupe de traitement sans nécessité de réintubation, ou l’arrêt précoce du traitement.

Une analyse post-hoc du taux de réintubation était réalisée en considérant dans le groupe VNI les patients du groupe oxygène traités par VNI.

L’inclusion de 1000 patients était prévue en se basant sur des taux d’échec de 12% dans le groupe oxygène et de 6% dans le groupe VNI.

Résultats essentiels

En 22 mois, 981 patients ont été inclus, 61% étaient des hommes. L’âge moyen était de 61 ans, l’indice de masse corporelle était de 35.5 kg/m2. Environ 50% étaient intubés pour une procédure (endoscopie ou chirurgie). La durée de ventilation médiane avant extubation était d’environ 2 jours et <24h chez les patients chirurgicaux. L’épreuve de ventilation spontanée n’était pas réalisée dans 31% des cas.

La VNI était réalisée avec une pression expiratoire positive de 6 cmH2O, une aide inspiratoire de 7 cmH2O, pendant 5h dans les 24h suivant l’extubation, et 7h dans les 72h suivant l’extubation.

L’échec du traitement à J3 de l’extubation était significativement moins fréquent dans le groupe VNI que dans le groupe oxygène (13% vs. 26%, p<0.0001). Les résultats étaient similaires dans les analyses de sous-groupe, selon le type d’oxygénothérapie, ou après ajustement sur déséquilibres à la randomisation.

Concernant les critères définissant l’objectif principal composite, il n’existait pas de différence de réintubation à J3 (10% dans le groupe VNI vs. 12% dans le groupe oxygène, p=0.26). L’arrêt précoce du traitement pour intolérance était plus fréquent dans le groupe VNI (4% vs. 1%, p=0.002), mais surtout 14% des patients du groupe oxygène ont reçu de la VNI sans nécessité de réintubation (changement de traitement), ce qui explique que l’étude soit significative sur le critère de jugement principal.

Le taux de réintubation des patients du groupe oxygène ayant reçu de la VNI était particulièrement bas (3/70, 4%). De ce fait, l’analyse post-hoc du taux de réintubation (prenant en compte ces patients dans le groupe VNI) retrouvait un taux de réintubation plus bas dans le groupe VNI que dans le groupe oxygène (9% vs 13%, p=0.037).

Les autres objectifs secondaires n’étaient pas différents entre les 2 groupes.

Commentaires

Après une extubation programmée en réanimation, environ 20% des patients développent une insuffisance respiratoire aiguë.1 Environ la moitié d’entre eux nécessitent une réintubation, avec une mortalité qui atteint 30 à 50% chez les patients réintubés.2 L’objectif des stratégies d’oxygénation en post-extubation est donc de prévenir l’insuffisance respiratoire aiguë et surtout de réduire le risque de réintubation.

Les patients postopératoires avec des durées de ventilation de quelques heures ont des taux de réintubation très faibles (environ 7%).3 Au contraire, les patients hospitalisés en réanimation ont une durée de ventilation plus prolongée, et ont un risque de réintubation nettement plus élevé, pouvant dépasser 20% notamment chez les patients les plus à risque (âgés ou avec une pathologie cardiaque ou respiratoire sous-jacente).4

Contrairement à ce que l’on pourrait penser, l’obésité n’est pas un facteur de risque de réintubation en réanimation. Une revue systématique de la littérature récente a montré que l’obésité était associée à une réduction du risque de réintubation.5 Ceci pourrait être expliqué par la réduction de leurs volumes pulmonaires et aux apnées obstructives du sommeil, pour lesquels la pression positive est particulièrement efficace. Une étude récente incluant uniquement des patients obèses à haut risque d’échec retrouvait des taux de réintubation particulièrement faibles sous VNI (4% à 72h).6

Points forts
  • Étude multicentrique
  • Grande taille de l’échantillon
  • Taux de réintubation global à J7 (15%), similaire à celui d’une grande cohorte internationale multicentrique récente (14%)7
Points faibles
  • Le choix du critère de jugement principal. L’étude est positive uniquement du fait de patients du groupe oxygène ayant reçu de la VNI sans nécessité de réintubation, favorisant mathématiquement le groupe VNI. En post-extubation, le critère à étudier doit être la réintubation car elle associée à un mauvais pronostic. Dans cette étude, les taux de réintubation n’étaient pas significativement différents en intention de traiter et ne le devenaient qu’après une analyse post-hoc qui réassignait dans le groupe VNI les patients du groupe oxygène ayant reçu de la VNI selon l’avis du clinicien.
  • Le caractère « pragmatique » de l’étude. Les études pragmatiques sont caractérisées par l’inclusion de patients « tout venant », l’administration de traitements dans des conditions de vie réelle et des objectifs centrés sur le patient. Cependant, le caractère pragmatique de cette l’étude incluant des patients avec un risque d’intubation très variable va à l’encontre de la personnalisation des traitements selon le risque de réintubation.3,4

Actuellement, il est recommandé d’utiliser la VNI chez les patients à haut risque d’échec d’extubation.4 Or cette étude a mélangé des patients postopératoires à très faible risque et des patients ventilés plus longtemps à très haut risque qui devraient recevoir de la VNI qu’ils soient obèses ou non. De plus, la durée quotidienne de VNI était faible en comparaison avec les études montrant des bénéfices de la VNI prophylactique en post-extubation qui utilisaient des doses de VNI d’au moins 12h par jour chez les patients à haut risque.1,8 Les faibles doses de VNI pourraient expliquer que le taux de réintubation à J7 de l’extubation soit 2 fois plus élevé dans le groupe VNI (14% vs. 7%) que dans une autre étude Française multicentrique qui n’incluait pourtant que des patients à haut risque mais qui pratiquait des doses de VNI de >12h par jour.1

Implications et conclusions

L’utilisation prophylactique de la VNI chez les patients obèses était associée à une réduction du risque d’échec de la stratégie d’oxygénation en post-extubation. Malgré un signal en faveur de la VNI, il n’y avait pas de réduction significative du risque d’insuffisance respiratoire aiguë ni du risque de réintubation. L’applicabilité à tous les patients obèses, même ceux avec un faible risque d’échec d’extubation, est discutable en raison de l’hétérogénéité de la population incluant aussi bien des patients à faible risque ventilés moins de 24h, que des patients à très haut risque, des durées courtes de VNI et du taux important de cross-over selon la décision du clinicien.

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CONFLIT D'INTÉRÊTS

Article commenté par Rémi Coudroy, Service de Médecine Intensive Réanimation, CHU de Poitiers, et INSERM CIC 1402, IS-ALIVE research group, Université de Poitiers, France. 

L'auteur ne déclare pas de conflit d'intérêt en lien avec cet article.

Le contenu des fiches REACTU traduit la position de leurs auteurs, mais n’engage ni la CERC ni la SRLF.

Envoyez vos commentaires/réactions à l'auteur (remi.coudroy@chu-poitiers.fr) et à la CERC.

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CERC

G. LABRO (Secrétaire)
S. BOURCIER
A. BRUYNEEL
C. DUPUIS
S. GENDREAU
S. GOURSAUD
G. FOSSAT
N. HIMER
T. KAMEL
O. LESIEUR
A. ROUZÉ
V. ZINZONI

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RÉFÉRENCES

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