Accumulation du citrate en épuration extra-rénale continue : incidence et temporalité

12/12/2025
Auteur(s)
Image
image
Texte

Bidar F, Chardon N, Darnajoux Q, Petit M, Fellahi JL, Aubrun F, Argaud L, Richard JC , Dailler F, Wallet F, Rimmelé T.  Clinical and biological profiles associated with the time of occurrence of citrate accumulation in patients receiving continuous renal replacement therapy, Critical Care 2025;29:407. Doi / 10.1186/s13054-025-05648-5

Texte
Question évaluée :

l’objectif de cette étude est d’évaluer la fréquence d’apparition d’une accumulation excessive de citrate chez les patients traités par épuration extrarénale continue avec anticoagulation au citrate, ainsi que le délai de l’apparition de cette accumulation et les paramètres biologiques associés.

Type d’étude : étude rétrospective observationnelle, dans 9 unités de réanimation de la région Lyonnaise, entre janvier 2020 et janvier 2022.

Population étudiée :

patients hospitalisés en réanimation, traités par épuration extra rénale continue (EERc) avec anticoagulation régionale au citrate. 

Méthode : 

Une détection par ordinateur a été réalisée pour identifier les patients présentant un rapport [calcium total / calcium ionisé] ≥ 2.3 dans le sang systémique lors des séances d’EERc, puis les dossiers ont été étudiés pour confirmer le diagnostic. Le diagnostic d’accumulation de citrate était posé sur les critères suivants : une diminution du calcium ionisé malgré une supplémentation appropriée, une augmentation du rapport [calcium total / calcium ionisé], une acidose métabolique et un trou anionique augmenté. Le délai d’apparition de l’accumulation du citrate a été classé en initiale (<24h par rapport au début de l’EERc), ou tardive. 

Résultats essentiels : 

Sur 2080 patients traités par EERc avec anticoagulation au citrate, 76 (3.7%) ont développé une accumulation de citrate, dont 69 (91%) dans les premières 24h d’EERc. Les patients développant une accumulation de citrate étaient en défaillance multi-viscérale avec un taux de mortalité à 30 jours de 97%, versus 55% pour l’ensemble des patients traités par EERc avec anticoagulation au citrate. Les patients présentant une accumulation de citrate précoce avaient à l’instauration de l’EERc un taux de lactate très élevé (médiane 10 mmol/L, quartiles 1 et 3 : 4.6 – 16) versus 1.4 (1 - 3.8) chez ceux développant une accumulation tardive (p=0.006). Cependant, chez les patients présentant une accumulation tardive, les taux de lactate s’élevaient à 7.2 mmol/L [9.1 – 11.2] lors du diagnostic d’accumulation de citrate (p=0.01 par rapport aux valeurs de départ). Chez 27 des patients présentant une accumulation de citrate, l’EERc a été poursuivi en augmentant le débit de dialysat ou d’effluent par rapport au débit sanguin du circuit (engendrant une augmentation de la clairance extracorporelle du citrate), avec une diminution secondaire du rapport [calcium total/calcium ionisé] dans le sang systémique. Les auteurs soulignent la gravité de la défaillance multiviscérale des patients présentant une accumulation de citrate, expliquant leur taux de mortalité à 30 jours proche de 100%. 

Commentaires : 

L’anticoagulation régionale au citrate est actuellement celle qui est recommandée pour la majorité des patients traités par EERc [1]. Le rapport [calcium total/calcium ionisé] est un bon reflet des complexes calcium-citrate dans le sang circulant [2]. Il s’agit d’une étude sur une cohorte importante, décrivant une faible incidence d’accumulation de citrate (3.7%) chez les patients traités par EERc avec anticoagulation régionale au citrate. La forte élévation du taux de lactate décrit par les auteurs avant la survenue de l’accumulation du citrate s’explique par une défaillance multiviscérale, incluant le foie. Les paramètres biologiques décrits concernent uniquement les 79 patients présentant une accumulation de citrate et les caractéristiques de ces patients n’ont pas été comparées aux 2001 autres patients n’ayant pas présenté d’accumulation de citrate. Il est ainsi impossible de connaître le risque relatif de développement d’une accumulation de citrate chez un patient présentant un taux de lactate élevé. De même, les perturbations du bilan hépatique des 2001 autres patients ne sont pas décrites.

Points forts : 

la population incluse est importante et les patients présentant une accumulation de citrate sont bien décrits. Les auteurs soulignent le fait que chez plus de 90% des patients présentant une accumulation de citrate, l’évènement survient dans les premières 24h d’EERc, justifiant une surveillance plus rapprochée dans les premières 24h dans certains protocoles. 

Points faibles : 

La population des 2001 « autres patients » ne présentant pas une accumulation de citrate n’est pas décrite et aucune comparaison n’est possible pour déterminer des facteurs prédictifs d’une accumulation de citrate en EERc. Il est par ailleurs probable que pour certains patients présentant un bilan hépatique très perturbé ou une maladie hépatique sévère, les cliniciens en charge des patients n’ont pas prescrit d’anticoagulation régionale au citrate et la fréquence de ces patients n’est pas rapportée. 

Implications et conclusions : Il semble raisonnable de considérer que la présence de taux de lactate très élevés puisse être un critère d’alerte pour la surveillance d’une accumulation de citrate chez les patients traités par EERc avec anticoagulation régionale au citrate. Cette surveillance, toutes les 6h, par un dosage du rapport [calcium total/calcium ionisé] dans le sang systémique semble suffisante et permet dans certains cas de limiter cette accumulation en augmentant la clairance extracorporelle du citrate (rapport débit du liquide effluant/ débit sanguin du circuit).


Références citées dans les commentaires:

  1. Jourdain M, Gragueb Chatti I, Housni  B, Jaquet  P, Jezequel M, Kane  O, La Combe  B, Landais M, Marzouk  M, de Montmollin  E , Mortamet G, Nay  MA , Salmon-Gandonnière  C, Perinel-Ragey  S, Rambaud J, Schmitt  J, Simon  Marie, Starck J, Thille  AW, Dequin  PF. Renal replacement therapy in an intensive care unit: guidelines from the SRLF-GFRUP consensus conference. Ann Intensive Care 2025;15:100. doi: 10.1186/s13613-025-01517-0.
  2. Kramer L, Bauer E, Joukhadar C, Strobl W, Gendo A, Madl C, Gangl A. Citrate pharmacokinetics and metabolism in cirrhotic and noncirrhotic critically ill patients. Crit Care Med 2003 Oct;31(10):2450-5. doi: 10.1097/01.CCM.0000084871.76568.E6.

CONFLIT D'INTÉRÊTS

Commenté par Mehran MONCHI, Médecine Intensive, Centre hospitalier de Melun-Sénart, Melun, France. 

Le contenu des fiches REACTU traduit la position de leurs auteurs, mais n’engage ni la CERC ni la SRLF.

Envoyez vos commentaires/réactions à mehran.monchi@ghsif.fr et à la CERC.


CERC

G. LABRO (Secrétaire)
S. BOURCIER
A. BRUYNEEL
A.CAILLET
C. DUPUIS
N. FAGE
JP. FRAT
G. FOSSAT
A. GAILLET
S. GENDREAU
S. GOURSAUD
N. HIMER
O. LESIEUR
A. ROUZÉ
M. THY