Anticoagulation régionale au citrate : vous hésitez encore ?

04/03/2021
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 Question évaluée

Déterminer l'effet de l'anticoagulation régionale au citrate pour l'épuration extra-rénale continue (EERC) sur la durée de vie du filtre et la mortalité.

Type d’étude

Essai multicentrique par allocation aléatoire conduit dans 26 centres en Allemagne

Population étudiée

596 patients admis en réanimation et nécessitant une épuration extra-rénale.

Méthode

L'anticoagulation pour l'EER est déterminée par allocation aléatoire avec un ratio 1:1 entre les deux groupes. Dans le groupe de patients alloués à l'anticoagulation régionale au citrate (groupe ARC), une solution de citrate était administrée avant le filtre en visant un calcium ionisé post-filtre entre 0.25 et 0.35 mmol/l. Une solution de chlorure de calcium était administrée en parallèle pour compenser les pertes au niveau de l'effluent. Pour ceux alloués à l'anticoagulation par héparine systémique (groupe héparine), celle-ci était administrée par voie systémique avec une cible d'aPTT à 45-60 secondes.

Le principal critère de jugement était double: la durée de vie du filtre et la mortalité à 90 jours.

Résultats essentiels
  • Critères de jugement principal
    • L'ARC est associée à une plus longue durée de vie du filtre d'EER (médiane 47 versus 26 heures, différence moyenne 15 heures [95% CI 11-20 heures], p<0.001).
    • Aucune différence en terme de mortalité à 90 jours (51.2 vs 53.6%, différence non ajustée -2.4% [95%CI -10.5 to 5.8%], p = 0.38.
  • Critères de jugement secondaires
    • ARC associée à une plus basse incidence d'hémorragies (5.1 vs 16.9%, différence -11.8 [95% CI -16.8 à -6.8%], p<0.001)
    • ARC associée à une plus haute incidence d'infections (68 vs 55.4% différence 12.6% [95% CI 4.9 to 20.3%, p = 0.002]).
Commentaires

L'ARC est actuellement recommandée comme modalité d'anticoagulation pour l'EER par défaut par la majorité des sociétés savantes (SRLF, SFAR, KDIGO). Néanmoins, cette recommandation repose sur des études de petite taille et dont les résultats concernant la mortalité sont discordants 2,3.

L'étude de Zarbock et al. vise à répondre de manière définitive à la question. Initialement prévue pour inclure 1260 patients, elle a été interrompue précocement. Cet arrêt précoce était autorisé si un des deux critères de jugement primaire était atteint, ce qui fut le cas pour la durée de vie du filtre. Comme discuté par les auteurs, cette étude ne dispose donc pas de la puissance nécessaire pour exclure formellement un effet sur la mortalité. Cependant, en tenant compte de l'ensemble de la littérature disponible et de l'absence de signal crédible dans cet essai randomisé, un impact significatif de l'ARC sur la mortalité semble peu probable.

Cette étude confirme donc la grande supériorité de l'ARC en terme de durée de vie du filtre d'EER. La différence mise en évidence est très importante (+15 heures en moyenne) et encore possiblement sous-estimée puisque de nombreux circuits toujours perméables ont dû électivement être remplacés à 72 heures (recommandation du fabricant). Cette différence est relevante car s'associe à une diminution importante de la charge de travail des équipes soignantes et vraisemblablement des coûts liés à la thérapie. L'ARC permet, de plus, d'améliorer la qualité de l'épuration, comme illustré par la durée de "downtime", le temps durant lequel la thérapie n'est pas délivrée, largement plus faible dans le groupe ARC que dans le groupe héparine.

Parmi les éléments potentiellement négatifs lié à l'ARC, on note des troubles électrolytiques (hypophosphatémie et alcalose métabolique en particulier). Ces évènements, rares et bénins, ont largement été décrits dans d'autres études 4. Par contre, la plus haute incidence d'infections après le début de la dialyse (68 vs 55.4%) n'a, jusqu'ici, jamais été décrite. Le taux d'infection semblait corrélé à la durée de vie du filtre (1.08 (95%CI 1.05-1.11) par 12 heures additionnelles. De même, la plus haute incidence de dysfonction rénale persistante dans le groupe ARC est nouvelle. Cette observation ne peut être expliquée par une plus grande propension des patients du groupe ARC à l'IRC, au contraire puisque, la proportion de patients avec IRC, hypertension ou diabète était plutôt plus faible dans ce groupe. Ces éléments doivent justifier d'autres études cliniques. En effet, ces critères de jugement secondaires n'ayant pas été corrigés pour la multiplicité, ne peuvent qu'être indicatifs et générateurs d'hypothèses.

Enfin, une analyse post-hoc a suggéré, après analyse multivariée, que parmi les modes d'EERC, l'hémodialyse en continu (CVVHD) était associée à une plus longue durée de vie du filtre d'EER comparée à l'hémofiltration (CVVH: différence moyenne 14.68 heures (95%CI 5.7-23.6)) et l'hémodiafiltration (CVVHDF différence moyenne 5.1 heures (95%CI 0.23-10.0).

Points forts
  • Plus grande étude randomisée contrôlée comparant le citrate à l'héparine pour l'EER conduite à ce jour.
  • Beaucoup de centres impliqués
  • Groupes très similaires au moment de l'allocation aléatoire en terme de mesures clinique (ventilation, vasopresseurs etc), score de gravité, indication pour l'initiation de l'EER et timing de l'initiation.   
Points faibles
  • Etude terminée précocement et qui ne permet pas de répondre de manière définitive à la question de la mortalité
  • Un seul système de santé, Allemagne. Validité externe?
  • Pas d'aveugle quant à l'allocation.
  • Peu de patients inclus vu le nombre de centres (600 patients sur 34 mois soit 0.7 patients par centre par mois). Cela semble très peu pour une technique aussi courante que l'EER en réanimation.
  • Certains critères d'exclusions sont discutables (anticoagulation thérapeutique préalable, patients dialysés chroniques ou transplantés rénaux)
Implications et conclusions

Cette étude vient confirmer la supériorité de l'anticoagulation régionale au citrate en terme de durée de vie du filtre d'EER. Cette prolongation de la durée de vie du circuit permet de diminuer la charge de travail infirmière et possiblement les coûts, bien qu'une étude économique soit nécessaire pour le confirmer. D'autres études doivent être conduites pour évaluer le bénéfice réel de l'ARC en terme de qualité d'épuration et investiguer la potentielle augmentation des infections et de la persistance de l'insuffisance rénale à long terme. 

Ces données dans le contexte global de la littérature sur le sujet permettent de largement recommander l'ARC comme modalité d'anticoagulation préférentielle pour l'EERC. En effet, en l'absence vraisemblable de différence sur la mortalité, le choix de la méthode d'anticoagulation doit être dicté par des critères d'efficacité, de praticité et de coût.


Pour les centres visant à introduite cette technique, il convient de rappeler que l'ARC nécessite une formation spécifique des équipes soignantes et l'application stricte de protocoles. Une sélection des patients à risque de complication (insuffisance hépato-cellulaire, état de choc sévère) est à conseiller dans la phase d'introduction de la technique 5.  

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CONFLIT D'INTÉRÊTS

Article commenté par le Dr Antoine Schneider, Service de Médecine Intensive Adulte, CHU Vaudois, Lausanne, Suisse.

L’auteur déclare les liens suivants : 

  • Fresenius Medical Care - Speaker and travelling fees paid to my institution
  • B Braun Avitum - Research grant and speaker and travelling fees paid to my institution

Le contenu des fiches REACTU traduit la position de leurs auteurs, mais n’engage ni la CERC ni la SRLF.
Envoyez vos commentaires/réactions à l’auteur (antoine.schneider@chuv.ch) ou à la CERC.

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RÉFÉRENCES

  1. Zarbock A, Kullmar M, Kindgen-Milles D, et al. Effect of Regional Citrate Anticoagulation vs Systemic Heparin Anticoagulation During Continuous Kidney Replacement Therapy on Dialysis Filter Life Span and Mortality Among Critically Ill Patients With Acute Kidney Injury: A Randomized Clinical Trial. JAMA 2020; 324(16): 1629-39.
  2. Oudemans-van Straaten HM, Bosman RJ, Koopmans M, et al. Citrate anticoagulation for continuous venovenous hemofiltration. Crit Care Med 2009; 37(2): 545-52.
  3. Bai M, Zhou M, He L, et al. Citrate versus heparin anticoagulation for continuous renal replacement therapy: an updated meta-analysis of RCTs. Intensive Care Med 2015; 41(12): 2098-110.
  4. Bianchi NA, Altarelli M, Eckert P, Schneider AG. Complications of Regional Citrate Anticoagulation for Continuous Renal Replacement Therapy: An Observational Study. Blood Purif 2020; 49(5): 567-75.
  5. Schneider AG, Journois D, Rimmele T. Complications of regional citrate anticoagulation: accumulation or overload? Crit Care 2017; 21(1): 281.

 

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CERC

JB. LASCARROU (Secrétaire)
K. BACHOUMAS
SD. BARBAR
G. DECORMEILLE
N. HEMING
B. HERMANN
G. JACQ
T. KAMEL
JF. LLITJOS
L. OUANES-BESBES
G. PITON
L. POIROUX