
Gharaibeh KA, Abdelhafez MO, Guedze KEB, Siddiqi H, Hamadah AM, Verceles AC. Impact of initial jugular vein insertion site selection for central venous catheter placement on hemodialysis catheter complications. J Crit Care. 2025 Jun;87:155011. doi: 10.1016/j.jcrc.2024.155011. Epub 2025 Jan 3. PMID: 39755012.
Question évaluée :
Evaluation de l’impact de la position initiale (jugulaire droite ou gauche) du cathéter veineux central sur la survenue de complications lors de la pose d’un cathéter de dialyse dans un second temps.
Type d’étude :
Etude rétrospective monocentrique d’une cohorte de réanimation d’un centre tertiaire aux Etats Unis d’Amérique (University of Maryland Medical Center, Baltimore)
Population étudiée :
Patients admis en réanimation, de janvier 2019 à décembre 2022.
Critères d’inclusion :
Plus de 18 ans
Cathéter veineux central jugulaire (KTC) posé à la phase initiale
Nécessité de pose d’un cathéter de dialyse (KTD) dans un second temps.
Critères d’exclusion :
Dialysés chronique,
Pose simultanée ou antérieure d'un KTD par rapport au KTC
Nécessité d’un autre cathéter central spécifique avant ou au moment de la pose du KTC (sonde de Swan-Ganz, pacemaker temporaire, canule d'ECMO)
Pose initiale du CVC par voie fémorale ou sous-clavière ;
Contre-indication anatomique ou clinique documentée à la pose en jugulaire droite
Méthode :
2178 patients sont évalués en vue d’une inclusion. Deux groupes sont constitués :
KTC initial jugulaire droit
KTC initial jugulaire gauche.
Critère de jugement principal :
Evaluation du nombre nécessaire de :
Changement de site de KTD,
Changement de cathéter sur guide,
D’abord veineux central total.
Critères de jugement secondaires :
Evaluation du nombre de complications (bactériémie à point de départ du cathéter, saignement, ponction artérielle, thrombose veineuse, pneumothorax, nécessité de pose de PICC Line).
Résultats essentiels :
Caractéristiques de la population :
Parmi les 214 patients inclus, l’âge médian était de 61 ans, avec plus de 60% de femmes et un IMC médian à 29,9 kg/m² (Table 1). Cent patients (47%) ont reçu un KTC jugulaire droit, et 114 (53%) un KTC jugulaire gauche. Les patients des deux groupes avaient des caractéristiques démographiques et cliniques initiales similaires. Les motifs d’admission principaux étaient : un choc dans environ 20% des cas, avec une part septique chez 16% des malades, et une détresse respiratoire aigue chez 18%. Plus de 90 % des cathéters ont été posés en réanimation. Il n’existait pas de différence statistique concernant l’utilisation d’anticoagulant (28%), de vasopresseur (71%) ou le recours à la ventilation mécanique (72%). Les modalités d’épuration extra-rénale (continue (76%) ou intermittente) étaient représentées de façon similaire dans les deux groupes. Le délai médian entre la pose du KTC et celle du KTD était plus long dans le groupe « KTC jugulaire droite » (2 jours [2–5]) que dans le groupe « KTC jugulaire gauche » (1 jour [1–3]), p < 0,001.
Critère de jugement principal :
Le taux de recathétérisation (nouvelle pose de KTD) était significativement plus élevé après un abord initial jugulaire droit (40 %) qu’après un abord gauche (2,6 %), principalement en lien avec une dysfonction de cathéter (p < 0,001).
- L’analyse multivariée confirmait ce résultat, avec un odds ratio ajusté (ORa) de 27,9 [IC95 % 7,9–98,2], p < 0,001.
- Les échanges de cathéter sur guide étaient également plus fréquents après abord droit (23 % vs 0,9 %, p < 0,001).
- Le nombre total d’abords veineux était plus élevé dans le groupe droit : 38 % des patients nécessitaient 3 interventions ou plus, contre 2,6 % dans le groupe gauche (p < 0,001).
Critères de jugement secondaires :
Peu de complications sont observées :
- Deux cas de saignement (2 %) et un cas de thrombose veineuse (1 %) ont été rapportés dans le groupe KTC jugulaire droit.
Aucun cas de bactériémie d’origine cathéter, de pneumothorax, de ponction artérielle ou de nécessité de pose secondaire de PICC-Line n'a été observé.
Commentaires :
L’étude traite d’une problématique clinique concrète, souvent sous-estimée : l’anticipation des contingences d’abords vasculaires chez les patients de réanimation. Elle montre un taux de 9,8% de patients dialysés au sein de la cohorte totale, une proportion comparable aux 13% d’épuration extra rénale (EER) retrouvés dans l’étude de référence sur l’épidémiologie de l’insuffisance rénale aiguë (IRA) en réanimation. À noter cependant que, parmi les patients présentant une IRA à l’admission, le recours à l’EER atteint 23 % dans cette même étude, ce qui souligne l’importance d’anticiper ce besoin dès l’entrée en réanimation (1).
La sécurité de l’insertion en jugulaire sous contrôle échographique est désormais bien établie (2), mais en cas d’hypoxie sévère ou de troubles majeurs de l’hémostase, l’abord fémoral reste une alternative acceptable (3).
Depuis le début des années 2000, plusieurs travaux ont démontré la supériorité des KTD insérés en jugulaire droite, tant par rapport aux voies jugulaires gauches (4) qu'aux voies fémorales (5). Ces données sont confirmées par des analyses rétrospectives retrouvant comme facteurs de risque de changement de site un abord fémoral ou jugulaire gauche (6). Enfin, les recommandations internationales actualisées en 2019 recommandent un premier lieu l’insertion d’un KTD jugulaire droit (7) en premier lieu afin d’optimiser l’efficacité de l’épuration, diminuer le risque infectieux, diminuer le nombre de changement de site et donc le nombre de ponction veineuse et leur complications mécaniques, certes rares (< 3%) mais non négligeables (1,8).
Points forts :
Cette étude s'intéresse à une problématique pratique et directement transposable à la réalité de la réanimation. Enfin, ses résultats s'inscrivent de manière cohérente dans la lignée des données antérieures sur l’optimisation de l'accès vasculaire pour l’EER.
Elle semble ainsi démontrer la pertinence de l’abord jugulaire droit pour un KTD.
Points faibles :
Le caractère rétrospectif de cette étude expose à plusieurs biais, notamment d'information et de confusion résiduelle, malgré l’analyse multivariée. Le caractère monocentrique en limite également la validité externe, d’autant que les pratiques locales pourraient avoir influencé la distribution initiale des abords veineux. Le faible taux d’inclusion par rapport à la population évaluée interroge sur la représentativité de l’échantillon étudié. Par ailleurs, le faible nombre de complications observées (pneumothorax, saignement, bactériémie) restreint toute analyse comparative sur les événements secondaires, faute de puissance statistique suffisante.
Nous aurions aussi souhaité connaître la proportion d’IRA présente à l’admission dans chaque groupe, donnée absente de l’analyse. Enfin, plusieurs études antérieures, parfois prospectives, avaient déjà mis en évidence la supériorité de l’abord jugulaire droit pour l’EER, ce qui limite le caractère innovant des résultats présentés ici. Certains arguments avancés en discussion, notamment concernant la préservation de la voie droite pour des indications telles que l’ECMO, ne sont pas directement étayés par les données recueillies.
Implications et conclusions :
Cette étude souligne l'importance d'anticiper précocement les besoins en accès vasculaire chez les patients de réanimation à risque d’EER. Lorsqu'une IRA est probable ou installée, le choix d'un KTC en jugulaire gauche initialement permettrait de préserver la voie jugulaire droite, optimisant ainsi la pose ultérieure d'un cathéter de dialyse dans de meilleures conditions.
En dépit des limites méthodologiques, ces résultats confortent les recommandations actuelles et rappellent que la stratégie d’abord veineux doit être pensée dans une approche globale de la trajectoire du patient critique.
Références citées dans les commentaires :
- Hoste EAJ, Bagshaw SM, Bellomo R, Cely CM, Colman R, Cruz DN, et al. Epidemiology of acute kidney injury in critically ill patients: the multinational AKI-EPI study. Intensive Care Med. août 2015;41(8):1411‑23.
- Randolph AG, Cook DJ, Gonzales CA, Pribble CG. Ultrasound guidance for placement of central venous catheters: A meta-analysis of the literature. Crit Care Med. déc 1996;24(12):2053‑8.
- Timsit JF. What is the best site for central venous catheter insertion in critically ill patients?. Crit Care. 2003;7(6):397.
- Oliver MJ, Edwards LJ, Treleaven DJ, Lambert K, Margetts PJ. Randomized Study of Temporary Hemodialysis Catheters. Int J Artif Organs. janv 2002;25(1):40‑4.
- Hryszko T, Brzosko S, Mazerska M, Malyszko J, Mysliwiec M. Risk Factors of Nontunneled Noncuffed Hemodialysis Catheter Malfunction. Nephron Clin Pract. 17 nov 2004;96(2):c43‑7.
- Lim L, Park JY, Lee H, Oh SY, Kang C, Ryu HG. Risk factors of hemodialysis catheter dysfunction in patients undergoing continuous renal replacement therapy: a retrospective study. BMC Nephrol. 10 nov 2023;24(1):334.
- Lok CE, Huber TS, Lee T, Shenoy S, Yevzlin AS, Abreo K, et al. KDOQI Clinical Practice Guideline for Vascular Access: 2019 Update. Am J Kidney Dis. avr 2020;75(4):S1‑164.
- Iovino F, Pittiruti M, Buononato M, Lo Schiavo F. Accès veineux central : complications des différentes voies d’abord. Ann Chir. déc 2001;126(10):1001‑6.
CONFLIT D'INTÉRÊTS
Article Commenté par Vinca Montméat (Docteur Junior) et Khalil Chaïbi (MCU-PH) Réanimation médico-chirurgicale, CHU Avicenne, France.
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