Vers une approche individualisée du contrôle glycémique en réanimation ? Pas encore.

17/11/2022
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Article ICM
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Individualised versus conventional glucose control in critically-ill patients: the CONTROLING study—a randomized clinical trial. 
Bohé, J., Abidi, H., Brunot, V. et al.
Intensive Care Med 47, 1271–1283 (2021). https://doi.org/10.1007/s00134-021-06526-8

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Question évaluée

Une approche individualisée du contrôle de la glycémie basée sur l’hémoglobine glyquée à l’admission améliore-t-elle le pronostic en réanimation ?

Type d’étude

Étude prospective, randomisée, contrôlée, en double aveugle, multicentrique (12 réanimations en France).

Population étudiée

Patients adultes admis en réanimation dans les centres participants de Mai 2015 à Juillet 2016 avec une durée de séjour prédite de plus de deux jours et l’impossibilité d’une nutrition per os.

Les patients suivants étaient exclus : patients diabétiques connus ayant été transfusés de plus de 3 CGR dans les 3 mois précédant l’admission en réanimation (risque de fausser l’hémoglobine glyquée), femmes enceintes, patients sous protection juridique, admission en réanimation pour une hypoglycémie sévère, mise en place de limitations thérapeutiques, refus de participer.

Méthode

L’hémoglobine glyquée (HbA1c) était mesurée à l’admission en réanimation. Dans le groupe intervention (approche individualisée), la glycémie habituelle était calculée à partir de l’HbA1c et l’objectif de glycémie était fixé comme inférieur à la glycémie habituelle + 15 (mg/dL). Dans le groupe contrôle, l’objectif était de maintenir une glycémie inférieure à 180 mg/dL.

Dans les deux groupes, les équipes soignantes utilisaient l’application mobile CPG, développée par les auteurs [1]. L’application permettait d’adapter les débits d’insuline IVSE et déterminait les moments de mesure de la glycémie en fonction des objectifs glycémiques et des résultats des mesures itératives. Les soignants étaient dans l’aveugle de l’HbA1c et du groupe d’allocation des patients. Pour maintenir l’aveugle, l’historique des glycémies et les posologies d’insuline était masqués, seules les dernières valeurs étaient accessibles.

Le critère de jugement principal était la survie à J90.

Résultats essentiels

Au total, 2075 patients ont été randomisés, sur un objectif prévu de 4200, et 1917 ont reçu l’intervention : 942 dans le groupe approche individualisée et 975 dans le groupe contrôle. L’étude a été interrompue prématurément pour futilité et devant la possibilité d’un surrisque d’hypoglycémie.

La survie à J90 était de 67,2% [64,2 – 70,3] dans le groupe approche individualisée contre 69,6% [66,7 – 72,5] dans le groupe contrôle (p = 0,23). Après analyse multivariée par modèle de Cox, on ne retrouve pas de différence de risque de mortalité à J90 (Hazard ratio 1,1 [0,97 – 1,36], p = 0,1).

L’insuline a été initiée chez 74,5% des patients du groupe intervention et 49,8% du groupe contrôle standardisé. Les patients dans le groupe intervention nécessitaient plus de mesures de glycémie (7 [7 - 9] mesures par jour contre 5 [3 – 8], p < 0,0001) et ont présenté plus d’épisodes d’hypoglycémies inférieures à 72 mg/dL (31,2% contre 15,8%, p < 0,0001) principalement chez les patients non diabétiques. Sur des analyses en sous-groupes, on observait une mortalité plus importante dans le groupe intervention chez les patients non diabétiques (HR 1,3 [1,05 – 1,59]), les patients chirurgicaux (HR 1,83 [1,12 – 3,02]) et ceux avec une HbA1c initiale entre 5 et 6% (HR 1,33 [1,04 – 1,72]). On ne retrouvait pas de différence en termes de survenue d’événements indésirables graves entre les deux groupes.

Commentaires

Cette étude présente une méthodologie solide avec un design permettant le respect d’un double aveugle pendant toute l’intervention, des critères d’inclusion larges reflétant la diversité des patients de réanimation et un très faible taux de déviation de protocole. La plupart des études du même type comparaient des seuils fixes de glycémie. Les auteurs nous proposent une véritable approche individualisée avec des objectifs calculés pour chaque patient.

Au final, elle ne met pas en évidence de différence de mortalité globale à 90 jours entre les deux groupes. Cependant, on observe un effet délétère avec une surmortalité d’un contrôle glycémique plus strict chez les patients non diabétiques. L’objectif du contrôle glycémique étant de limiter les épisodes d’hyperglycémie et leurs effets délétères, on retrouve finalement plus d’épisodes d’hypoglycémies dans le groupe intervention. Cette étude fait suite à l’étude NICE-SUGAR [2] qui comparait deux objectifs de glycémie en réanimation (81-108 mg/dL vs < 180 mg/dL) et mettaient en évidence qu’un contrôle glycémique trop strict engendrait une surmortalité.

Points forts
  • Étude prospective, randomisée de large effectif
  • Première étude de contrôle glycémique en réanimation en double aveugle
  • Originalité de l’étude sur l’approche individualisée du contrôle glycémique
  • Très peu de déviation de protocole (grâce à l’utilisation de l’application CPG)
Points faibles
  • Étude interrompue prématurément, effectif calculé de patients non atteint.
  • Groupe interventionnel guidé par l’utilisation d’un algorithme élaboré par le centre promoteur de l’étude, non validé. Ceci pose la question de la validité externe de l’étude.
Implications et conclusions

Dans cette étude, une approche de contrôle individualisé de la glycémie en réanimation se basant sur l’estimation de la glycémie usuelle calculée via l’hémoglobine glyquée à l’admission n’a pas montré sa supériorité par rapport à une approche standard (maintien de la glycémie < 180 mg/dL). Une telle stratégie pourrait même s’avérer délétère notamment chez les patients non diabétiques avec une incidence accrue d’épisodes d’hypoglycémie et une surmortalité.

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CONFLIT D'INTÉRÊTS

Article commenté par Benjamin Popoff, Service de Médecine Intensive et Réanimation, CHU de Rouen, France.

L'auteur déclare n'avoir aucun lien d'intérêt.

Le contenu des fiches REACTU traduit la position de leurs auteurs, mais n’engage ni la CERC ni la SRLF.

Envoyez vos commentaires/réactions à l'auteur (benjamin.popoff@chu-rouen.fr) et/ou à la CERC.

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Références

  1. Contrôle Personnalisée de la Glycémie (CPG).
    Bohé J, Abidi H
    https://cpg.chu-lyon.fr/. Accessed 2 Aug 2022
  2. Intensive versus Conventional Glucose Control in Critically Ill Patients.
    NICE-SUGAR Study Investigators (2009)
    N Engl J Med 360:1283–1297. https://doi.org/10.1056/NEJMoa0810625
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CERC

B. HERMANN (Secrétaire)
A. BRUYNEEL
G. FOSSAT
S. GOURSAUD
N. HEMING
T. KAMEL
G. LABRO
JF. LLITJOS
L. OUANES-BESBES
L. POIROUX
A. ROUZÉ
V. ZINZONI