À cerveau lésé, ventilation raisonnée ?

24/10/2025
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Texte

Robba C, Giardiello D, Almondo C, Asehnoune K, Badenes R, Cinotti R, Elhadi M, Graziano F, Helbok R, Jiang L, Chen W, Laffey JG, Messina A, Putensen C, Schultz MJ, Wahlster S, Rebora P, Galimberti S, Taccone FS, Citerio G; VENTIBRAIN study group. Ventilation practices in acute brain injured patients and association with outcomes: the VENTIBRAIN multicenter observational study. Intensive Care Med. 2025 Feb;51(2):318-331. doi: 10.1007/s00134-025-07808-1. Epub 2025 Feb 24. Erratum in: Intensive Care Med. 2025 Aug;51(8):1569. doi: 10.1007/s00134-025-07985-z. PMID: 39992441; PMCID: PMC11903615. 

Texte
Question évaluée :

Quelles sont les pratiques ventilatoires appliquées aux patients cérébrolésés et existe-t-il une association de ces variables avec la mortalité et le pronostic fonctionnel neurologique à 6 mois ? 

Type d’étude :

Etude de cohorte observationnelle multicentrique, prospective et internationale (74 services de réanimations sur 26 pays) menée du 25 Novembre 2020 au 15 Octobre 2023.

Population étudiée :

Patients adultes présentant une agression cérébrale aiguë d’origine non anoxique (traumatisme crânien, hémorragie sous arachnoïdienne (HSA), accident vasculaire cérébral (AVC) hémorragique ou ischémique) requérant une intubation et une ventilation mécanique invasive.

Méthodes :

Les paramètres ventilatoires et leur éventuelle adaptation en cas d’hypertension intracrânienne (HTIC) ont été recueillis quotidiennement jusqu’à J7, puis à J10 et J14 (pression intracrânienne (PIC) renseignée à 8h du matin puis valeur maximale et minimale par jour) permettant notamment la description des pratiques ventilatoires selon les pays. Sont aussi décrits : le type de monitoring neurologique, les thérapeutiques utilisées à visée neuroprotectrice, les complications, et les paramètres de gazométrie artérielle.

Les facteurs associés avec la mortalité en réanimation et à 6 mois ont été étudiés à l’aide d’un modèle de Cox, et ceux associés avec le pronostic fonctionnel à 6 mois (score Glasgow Outcome Scale Extended, GOSE 1-8 où 8 est le meilleur score) ont également été étudiés à l’aide d’une régression logistique multivariée.

Résultats essentiels :

Inclusion de 2 095 patients sur 2 136 potentiellement éligibles. L’âge médian était de 58 ans (IQR 45-70), avec 66.1% d’hommes au sein d’une population pluriethnique. Par ailleurs, 61.8 % des patients étaient issus de pays à revenu élevé.

Le score de Glasgow Coma Scale médian à l’admission était de 7 avec des étiologies d’agression cérébrale aiguë réparties comme suit : 40% traumatique, 27.1% d’AVC hémorragique, 19.2% d’HSA et 13.7% d’AVC ischémique.

La répartition des paramètres ventilatoires était la suivante : Pression de plateau 15 cm H2O (IQR 13-18), volume courant/poids idéal théorique 6.5 mL/Kg (IQR 5.7–7.3), driving pressure (DP) 9 cmH20 (IQR 7–12), positive end-expiratory pressure (PEEP) 5 cmH20 (IQR 5–8). 

La valeur de PIC maximale médiane mesurée était de 15 mmHg (IQR 11–20). Une HTIC était objectivée chez 22.7% des patients. Il n’était pas retrouvé de différence significative des paramètres ventilatoires chez les patients avec ou sans HTIC.

Globalement, 29.2% des patients sont décédés en Réanimation et 42% à 6 mois. Les facteurs de risque de mortalité en réanimation étaient, après analyse multivariée, la valeur de PEEP (HRadj = 0.71, 95%CI 0.57-0.87) et de DP (HRadj = 1.41, 95%CI 1.04-1.65). Ces mêmes variables étaient associées à la mortalité à 6 mois : PEEP (HRadj = 0.76, 95%CI 0.62-0.92) et DP (HRadj = 1.38, 95%CI 1.11-1.72). Un score fonctionnel altéré à 6 mois (GOSE <5) était indépendamment associé aux valeurs de FiO2 (ORadj = 1.13, 95%CI 1.00-1.28) et de PaCO2 (ORadj = 0.83, 95%CI 0.70-1.00). 

Commentaires : 

Les modalités globales de prise en charge, et notamment celles liées à l’utilisation de la ventilation mécanique (PaO2 et PaCO2), chez les patients cérébrolésés sont théoriquement guidées par un objectif principal de neuroprotection [1]. Or, à ce jour, la littérature médicale ne souligne aucun paramètre ventilatoire ayant un effet significatif sur la neuropronostication, justifiant l’intérêt des auteurs d’étudier les données ventilatoires dans cette population [2-5].

Les stratégies de ventilation protectrice sont utilisées dans 91% des cas au cours du séjour indépendamment de la présence ou non d’HTIC. Toutefois ces paramètres ne sont ici pas systématiquement modifiés en cas de PIC > 20 mmHg ce qui souligne la question de l’adaptation dynamique de la ventilation à la situation neurologique aiguë.

On constate que la prévalence du syndrome de détresse respiratoire aiguë (SDRA) sévère qui nécessiterait des paramètres ventilatoires plus restrictifs reste faible (1.1%), tout comme celle de l’HTIC dans la population étudiée. Cependant, les modalités des thérapeutiques mises en œuvre ainsi que les variations de l’examen neurologique au cours du séjour ne sont pas détaillées dans cette étude de cohorte observationnelle. De plus, les mesures biologiques sont majoritairement statiques, ce qui limite leur interprétation et l’évaluation précise de l’interaction cerveau-poumon.

L'analyse multivariée met en évidence une association significative des valeurs de PEEP et de DP avec la mortalité en réanimation et à 6 mois, alors que le pronostic fonctionnel neurologique à 6 mois semble associé aux valeurs de FiO2 et de PaCO2. Néanmoins certains paramètres ventilatoires pourraient avoir un effet seuil non linéaire et leur interdépendance rend l’analyse causale complexe. 

Par ailleurs, d’importantes variations de pratiques entre pays ont été mises en évidence, notamment en ce qui concerne la puissance mécanique [6], la PEEP et la DP. 

Cette hétérogénéité souligne l’absence de recommandations spécifiques pour les patients cérébrolésés, et renforce le besoin d’essais contrôlés randomisés ciblant cette population. Les seules recommandations actuelles concernant la prise en charge de l’HTIC portent sur le patient traumatisé crânien. Elles ont comme unique conduite à tenir en termes de ventilation un objectif standard de PaCO2 compris entre 35 et 38 mmHg, avec un second niveau d’hypocapnie modérée entre 32 et 35 mmHg lorsque l’HTIC n’est pas contrôlée [7]. 

Des données supplémentaires concernant les critères de modification et de surveillance des paramètres ventilatoires et neurologiques auraient été pertinentes, afin de mieux comprendre les liens dynamiques entre l’évolution clinique et l’adaptation des stratégies de ventilation.

Points forts :
  • Première étude de taille importante avec un recueil multicentrique et international sur ce sujet

  • Robustesse méthodologique et statistique avec recueil de données standardisé

  • Évaluation du pronostic neurologique à long terme

  • Description des pratiques, indépendamment des recommandations

  • Utilisation d’un critère de jugement de mortalité et un critère fonctionnel à distance de l’hospitalisation

  • Prudence des auteurs en regard des résultats

Points faibles :
  • Étude observationnelle ne permettant pas d’établir de lien de causalité

  • Hétérogénéité des pratiques intra et inter-centres pouvant induire des biais

  • Biais de colinéarité avec interdépendance des paramètres respiratoires

  • Interférence de la pandémie COVID 19 

  • Absence d’informations sur les thérapeutiques spécifiques de neuro-réanimation qui ont pu varier selon les pays et les centres et avoir un impact pronostique

  • Recueil de données statiques pour les paramètres ventilatoires, la PIC, la PaCO2

  • Au moins 40% des patients ne sont pas en ventilation contrôlée, ne permettant pas d’agir sur des paramètres ventilatoires

  • Score de GOSE limité pour caractériser finement les altérations fonctionnelles

  • Absence de données sur la mise en place d’outils de rééducation pouvant constituer des biais 

  • Nombreuses de ces limites sont discutées par les auteurs.

Implications et conclusions :

Ces résultats indiquent que chez les patients cérébrolésés, l’utilisation de la ventilation mécanique est globalement protectrice sur le plan pulmonaire mais non adaptée au contexte d’aggravation neurologique à type d’HTIC. Pourtant, certains paramètres ventilatoires sont associés à la mortalité hospitalière et à 6 mois (PEEP et DP), ou encore au pronostic fonctionnel à 6 mois (FiO2 et PaCO2). Une étude interventionnelle randomisée contrôlée permettrait de différencier les liens d’association de ceux de causalité.


Références cités dans les commentaires :

  1. Robba C, Poole D, McNett M, et al. Mechanical ventilation in patients with acute brain injury: recommendations of the European Society of Intensive Care Medicine consensus. Intensive Care Med. 2020;46(12):2397-2410. doi:10.1007/s00134-020-06283-0
  2. Asehnoune K, Rooze P, Robba C, et al. Mechanical ventilation in patients with acute brain injury: a systematic review with meta-analysis. Crit Care. 2023;27(1):221. Published 2023 Jun 6. doi:10.1186/s13054-023-04509-3
  3. Taran S, Cho SM, Stevens RD. Mechanical Ventilation in Patients with Traumatic Brain Injury: Is it so Different?. Neurocrit Care. 2023;38(1):178-191. doi:10.1007/s12028-022-01593-1
  4. Mascia L, Fanelli V, Mistretta A, et al. Lung-Protective Mechanical Ventilation in Patients with Severe Acute Brain Injury: A Multicenter Randomized Clinical Trial (PROLABI). Am J Respir Crit Care Med. 2024;210(9):1123-1131. doi:10.1164/rccm.202402-0375OC
  5. Ziaka M, Exadaktylos A. Brain-lung interactions and mechanical ventilation in patients with isolated brain injury. Crit Care. 2021;25(1):358. Published 2021 Oct 13. doi:10.1186/s13054-021-03778-0
  6. Gattinoni L, Tonetti T, Cressoni M, et al. Ventilator-related causes of lung injury: the mechanical power. Intensive Care Med. 2016;42(10):1567-1575. doi:10.1007/s00134-016-4505-2
  7. Hawryluk GWJ, Aguilera S, Buki A, et al. A management algorithm for patients with intracranial pressure monitoring: the Seattle International Severe Traumatic Brain Injury Consensus Conference (SIBICC). Intensive Care Med. 2019;45(12):1783-1794. doi:10.1007/s00134-019-05805-9.

CONFLIT D'INTÉRÊTS

Commenté par : Jana MORE et Stéphane LEGRIEL, Médecine Intensive Réanimation, Centre Hospitalier de Versailles, Le Chesnay, France

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