DAPACABANA : Existe-t-il une place pour la dapagliflozine en réanimation ?

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Tavares CAM, Azevedo LCP, Rea-Neto Á, Campos NS, Amendola CP, Kozesinski-Nakatani AC, David-João PG, Lobo SM, Filiponi TC, Almeida GMB, Bergo RR, Guimarães-Júnior MRR, Figueiredo RC, Castro JR, Schuler CJ, Westphal GA, Carioca ACR, Monfradini F, Nieri J, Neves FMO, Paulo JA, Albuquerque CSN, Silva MCR, Kosiborod MN, Pereira AJ, Damiani LP, Corrêa TD, Serpa-Neto A, Berwanger O, Zampieri FG; DEFENDER Investigators. Dapagliflozin for Critically Ill Patients With Acute Organ Dysfunction: The DEFENDER Randomized Clinical Trial. JAMA. 2024 Aug 6;332(5):401-411.

doi: 10.1001/jama.2024.10510. PMID: 38873723

Texte
 Question évaluée

L’utilisation systématique de la dapagliflozine chez les patients de réanimation présentant au moins une défaillance d’organe améliore-t-elle le pronostic général ?

Type d’étude

Essai randomisé contrôlé multicentrique, réalisé en ouvert, parmi 22 services de réanimation du Brésil.

Population étudiée

Patients adultes, admis en réanimation avec une durée de séjour prévue d’au moins 48h et présentant au moins une défaillance d’organe parmi :

  • Hypotension (pression artérielle moyenne <65 mm Hg, pression artérielle systolique <90 mm Hg, ou utilisation de vasopresseurs). 
  • Insuffisance rénale aiguë KDIGO I ou plus.
  • Nécessité d’introduire une oxygénation nasale à haut débit, une ventilation non invasive ou une ventilation invasive.

Les critères d’exclusion étaient :

  • Défaillance d’organe évoluant ≥ 48h
  • Insuffisance rénale chronique dialysée
  • Traitement par inhibiteur du SGLT2 précédent l’inclusion
  • Antécédent d’acidocétose
  • Diabète de type 1
  • Hospitalisation pour une chirurgie programmée
Méthode

Les participants étaient randomisés, en ouvert, selon une procédure utilisant des blocs de randomisation de tailles variables et une stratification sur le centre, en ratio 1:1, dans le groupe contrôle (soins courants) ou interventionnel. Le groupe interventionnel recevait dans les 24h qui suivaient la randomisation 10 mg/jour de dapagliflozine par voie orale ou entérale, préférentiellement le matin sans jeûne, pendant 14 jours ou jusqu’à la sortie de la réanimation, en plus des soins courants. Suivi total de 28 jours ou jusqu’à la sortie de l’hôpital. Certaines situations nécessitaient la suspension de l’intervention (jeun absolu ou impossibilité d’accès à la voie entérale, apparition d'une acidocétose diabétique euglycémique, acidose métabolique, cétonurie modérée, hypoglycémie sévère, début de l’épuration extra rénale, suspicion d’allergie, retrait du consentement).

Le critère de jugement principal est un critère composite hiérarchique comprenant la mortalité hospitalière, le recours à une épuration extra rénale (EER), la durée de séjour en réanimation dans les (ou jusqu’à) 28 jours suivants la randomisation. L’analyse principale a été réalisée selon la méthode des Win ratio qui consiste à comparer chaque participant du groupe interventionnel avec chaque participant du groupe contrôle et cela pour la mortalité hospitalière puis le recours à l’EER et enfin pour la durée du séjour en réanimation. Le Win ratio est calculé en divisant le nombre de win total (intervention supérieure au contrôle) par le nombre de losses total. Plus le ratio est élevé plus l’intervention est favorable sur le critère de jugement.

De plus, plusieurs critères de jugement secondaires ont été étudiés par analyse bayésienne, incluant : la mortalité hospitalière, le recours à une épuration extra rénale, le nombre de jours vivants sans réanimation, sans hospitalisation et sans support d’organe.

Enfin, les critères de sécurité suivants ont été collectés :  cytolyse hépatique (élévation des transaminases >3N), infection urinaire, bactériémie, hypoglycémie, lésion cutanée, acidocétose diabétique.

Le nombre de sujets nécessaires a été calculé avec l’hypothèse que la dapagliflozine conduirait à la réduction de la mortalité hospitalière de 2%, (de 30% à 28%), de l’initiation d’une EER de 3% (de 10 à 7%) et à une diminution de la durée d’hospitalisation en réanimation de 0,5 jour. L’inclusion de 500 patients permettait d’apporter à l’étude une puissance de 85% pour détecter un effet de l’intervention pour les win ratio supérieur à 1, avec un intervalle de confiance de 95%.

Résultats essentiels

De novembre 2022 à août 2023, 507 patients ont été inclus et randomisés dans 22 centres participants. 248 bras interventionnel et 259 bras contrôle. Tous ont reçu le traitement du bras dans lequel ils avaient été assignés. Aucun perdu de vue. Le délai médian entre l’admission et la randomisation était de 1 jour. Moyenne d’âge de 64 ans, 46,9% de femme et 204 (39,6%) étaient admis pour une suspicion d’infection. A la randomisation 235 participants (46,4%) nécessitaient une ventilation mécanique et 253 (49,9%) un traitement par noradrénaline.

L’ajout de dapagliflozine n’a pas montré d’amélioration du win ratio pour le critère de jugement principal, en comparaison avec les soins courants (win ratio de 1,01 (95% CI 0,90 à 1,13; p = 0,89). De même pour les critères de jugement secondaires, l’ajout de dapagliflozine n’a pas eu d’impact significatif sur l’ensemble des critères sus-cités. Une analyse en sous-groupe n’a pas mis en évidence de groupe pour lesquels la dapagliflozine pourrait avoir un effet bénéfique. Concernant la sécurité d’utilisation, le groupe dapagliflozine présentait moins d’événements indésirables que le groupe contrôle.

Commentaires

Les inhibiteurs du co-transporteur sodium glucose 2 (SGLT2i) ont apporté un réel bénéfice clinique dans plusieurs grands domaines de pathologies cardiovasculaires, rénales et métaboliques (1). Ils diminuent la mortalité cardiovasculaire, le nombre d’épisode d’insuffisance cardiaque et par leurs propriétés néphroprotectrices, ralentissent l’évolution de la maladie rénale chronique (2). Ils représentent la dernière avancée thérapeutique majeure de l’insuffisance cardiaque chronique et le premier traitement de l’insuffisance cardiaque à FEVG préservée (3–5).

Plusieurs essais se sont intéressés à leur utilisation dans des situations aiguës avec des résultats encourageants notamment lors des insuffisances cardiaques. Une exposition chronique aux SGLT2i semble également réduire le risque de défaillance d’organe lors d’agression aiguë (6,7).

Les mécanismes d’actions des SGLT2i demeurent encore mal connus mais plusieurs données de la littérature laissent à penser que certaines populations seraient plus à même de bénéficier des SGLT2i, notamment les patients souffrant d’insuffisance rénale, de maladies cardiovasculaires et métaboliques.

Dans cette étude DEFENDER, les auteurs ont mené le premier essai contrôlé randomisé multicentrique de grande ampleur sur la dapagliflozine en réanimation. En dehors du fait qu’elle soit réalisée en ouvert, la méthodologie de l’étude est robuste. La population étudiée est hétérogène et représentative d’une population de réanimation médicale classique en termes d’âge, de gravité, de mortalité et de motifs d’admission. L’étude s’intéresse à l’utilisation de la dapagliflozine chez l’ensemble des patients de réanimation présentant au moins une dysfonction d’organe. Bien que négative cette étude apporte un élément important : la dapagliflozine semble bien tolérée.

Pour expliquer la négativité de ces résultats plusieurs éléments peuvent être discuter :

1) La non sélection des patients.

Principale limite de l’étude. Les mécanismes physiopathologiques conduisant aux défaillances d’organe sont extrêmement variés. Si les SGLT2i améliorent les défaillances d’organe, cela pourrait n’être le cas que dans un certains sous-groupes de patients. A ce titre, un grand nombre de patients de la cohorte sont admis pour une suspicion d’infection et ne représentent pas forcément la population bénéficiant habituellement des SGLT2i. L’utilisation de la dapagliflozine dans une cohorte de patients de réanimation plus ciblée (insuffisants cardiaques chroniques, insuffisants rénaux…) pourrait éventuellement montrer des résultats différents.

En revanche l’utilisation d’une population aussi hétérogène permet de tester efficacement et largement la sécurité d’utilisation de la dapagliflozine en réanimation.

2) Une discordance concernant le critère rénal.

Un des effets attendus des SGLT2i est l’amélioration du pronostic rénal. Les auteurs mentionnent à ce sujet un potentiel effet bénéfique en analyse bayésienne concernant l’initiation de l’EER (non significatif).  L’utilisation du recours à l’EER comme critère de jugement est discriminant chez des patients à risque élevé d’insuffisance rénale aiguë sévère. Or dans cette étude, l’inclusion comprenait des patients ayant une insuffisance rénale aiguë isolée KDIGO I, très peu à risque d’avoir recours à une EER.

3) La dapagliflozine a été administrée par voie orale en dose unique sans monitoring pharmacodynamique. Pour de multiples raisons les patients de réanimation sont exposés à plus de malabsorption intestinale. La biodisponibilité de la dapagliflozine pourrait de ce fait avoir été impactée.

Au total, les résultats de cette étude confirment, à l’instar d’autres essais, que l’utilisation systématique d’un médicament pour tous les patients ne peut répondre à la complexité et à la pluralité des mécanismes physiopathologiques des patients de réanimation et s’inscrit dans l’idée qu’il est essentiel de personnaliser la prise en charge de chaque patient.         

Points forts

Premier essai randomisé de grande envergure s’intéressant à cette problématique.

Points faibles

Réalisé en ouvert

Pas de sélection des patients

Implications et conclusions

Selon l’étude DEFENDER, l’utilisation systématique de la dapagliflozine en réanimation chez les patients ayant une ou plusieurs dysfonctions d’organe n’améliore pas le pronostic général des patients.

L’utilisation de la dapagliflozine en réanimation ne présente, par ailleurs, pas de risque particulier.

D’autres études sont nécessaires pour préciser l’intérêt de la dapagliflozine en réanimation chez certaines populations sélectionnées de patients.


Références cités dans les commentaires

  1.    Zelniker TA, Wiviott SD, Raz I, Im K, Goodrich EL, Bonaca MP, et al. SGLT2 inhibitors for primary and secondary prevention of cardiovascular and renal outcomes in type 2 diabetes: a systematic review and meta-analysis of cardiovascular outcome trials. Lancet. 5 janv 2019;393(10166):319.
  2.    Heerspink HJL, Stefánsson BV, Correa-Rotter R, Chertow GM, Greene T, Hou FF, et al. Dapagliflozin in Patients with Chronic Kidney Disease. N Engl J Med. 8 oct 2020;383(15):143646.
  3.    Anker SD, Butler J, Filippatos G, Ferreira JP, Bocchi E, Böhm M, et al. Empagliflozin in Heart Failure with a Preserved Ejection Fraction. N Engl J Med. 14 oct 2021;385(16):145161.
  4.    Packer M, Anker SD, Butler J, Filippatos G, Pocock SJ, Carson P, et al. Cardiovascular and Renal Outcomes with Empagliflozin in Heart Failure. New England Journal of Medicine. 7 oct 2020;383(15):141324.
  5.    McMurray JJV, Solomon SD, Inzucchi SE, Køber L, Kosiborod MN, Martinez FA, et al. Dapagliflozin in Patients with Heart Failure and Reduced Ejection Fraction. New England Journal of Medicine. 21 nov 2019;381(21):19952008.
  6.    Vaduganathan M, Docherty KF, Claggett BL, Jhund PS, de Boer RA, Hernandez AF, et al. SGLT-2 inhibitors in patients with heart failure: a comprehensive meta-analysis of five randomised controlled trials. Lancet. 3 sept 2022;400(10354):75767.
  7.    James S, Erlinge D, Storey RF, McGuire DK, de Belder M, Eriksson N, et al. Dapagliflozin in Myocardial Infarction without Diabetes or Heart Failure. NEJM Evid. févr 2024;3(2):EVIDoa2300286.  

CONFLIT D'INTÉRÊTS

Article commenté par Nicolas VISINONI et François BAGATE, service de Médecine Intensive Réanimation, CHU Henri-Mondor, France.

Le contenu des fiches REACTU traduit la position de leurs auteurs, mais n’engage ni la CERC ni la SRLF.

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CERC

G. LABRO (Secrétaire)
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