L’étude CODA ébranle le dogme de l’appendicectomie systématique dans le traitement de l’appendicite aiguë

17/06/2021
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Article NEJM
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A Randomized Trial Comparing Antibiotics with Appendectomy for Appendicitis
The CODA Collaborative
N Engl J Med2020 Nov 12;383(20):1907-1919. DOI: 10.1056/NEJMoa2014320

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Question évaluée

L’antibiothérapie  fait-elle aussi bien que l’appendicectomie dans le traitement des appendicites aigües de l’adulte sur la qualité de vie à 1 mois ?

Type d’étude

Cette étude est un essai multicentrique randomisé ouvert de non-infériorité.

Population étudiée

Elle était menée sur une population américaine de patients adultes hospitalisés aux urgences pour appendicite aigüe diagnostiquée par au moins un examen d’imagerie. Les patients présentant des signes de choc septique, de péritonite généralisée, de pneumopéritoine, d’abcès, de plastron ou d’appendicite récidivante étaient exclus mais les suspicions d’appendicite perforée et les appendicites aigües avec stercolithe n’étaient pas des critères de non-inclusion.

Méthode

Dans les 25 services d’urgence inclueurs, les patients inclus étaient randomisés pour recevoir soit une antibiothérapie de 10 jours (administrée par voie intraveineuse les premières 24h), soit une appendicectomie. Les patients dont l’imagerie mettait en évidence un stercolithe (connu pour son association fréquente avec une appendicite compliquée) étaient inclus dans un sous-groupe préspécifié.

Le critère de jugement principal était la qualité de vie évaluée par le questionnaire EQ-5D. Pour démontrer la non-infériorité de l’antibiothérapie avec une différence inférieure à 0,05 entre les deux groupes, le nombre de patients à inclure était de 1552.

Résultats essentiels
  • L’étude incluait 1552 patients dont 776 dans le groupe antibiothérapie et 776 dans le groupe appendicectomie. Dans ce groupe, 96% des appendicectomies étaient réalisées par coelioscopie. Un stercolithe était visualisé chez 26% des patients sur l’imagerie initiale et une perforation appendiculaire était suspectée chez 4%.
  • L’antibiothérapie était non inférieure à l’appendicectomie en termes de qualité de vie selon le score EQ5D avec une différence de 0,01 entre les groupes. La non-infériorité de l’antibiothérapie était également vérifier dans le sous-groupe de 414 patients présentant un stercolithe.
  • Dans le groupe antibiothérapie, 29% des patients avaient été appendicectomisés au terme du suivi de 3 mois. Chez les patients présentant un stercolithe, le taux d’appendicectomie s’élevait à 41% contre 25% chez les patients sans stercolithe.
  • Le taux de complications était supérieur dans le groupe antibiothérapie (8% vs 5% ; RR=2,2, 95%CI = 1,3-3,9) mais le taux de complications sévères était identique entre les deux groupes. 
  • La découverte peropératoire d’une perforation appendiculaire était deux fois plus fréquente dans le groupe antibiotique que dans le groupe appendicectomie (32% vs 12%) et était imputable au sous-groupe de patients présentant un stercolithe (61% vs 24% dans ce sous-groupe, 14% vs 13% dans le sous-groupe sans stercolithe).
  • Les patients traités par antibiothérapie et leurs proches rapportaient moins de jours non travaillés. La durée  d’hospitalisation était identique entre les deux groupes (1,33j vs 1,3j) mais le taux de réadmission aux urgences était deux fois supérieur dans le groupe antibiothérapie (11% vs 4%).
Commentaires 
  • Il s’agit du premier essai randomisé comparant l’antibiothérapie au traitement chirurgical à utiliser la qualité de vie comme critère de jugement principal et à démontrer la non-infériorité de l’antibiothérapie. Les essais précédents avaient échoué à démontrer la non-infériorité de l’antibiothérapie sur le taux de péritonite à un mois et le taux de récidive d’appendicite à 1 an.1-3
  • L’originalité de cette étude est également d’avoir inclus des formes d’appendicites plus sévères en comparaison des études précédentes dont les patients étaient particulièrement sélectionnés et ne reflétaient finalement que 30% des patients diagnostiqués avec une appendicite. En incluant les appendicites avec signes de perforation et/ou avec stercolithe sur l’examen d’imagerie initiale, l’essai CODA teste la stratégie de l’antibiothérapie sur une population représentant près de 50% des patients atteints d’appendicite aigüe.
  • Même s’il était réalisé chez la majorité des patients inclus, le scanner abdominal n’était pas exigé pour proposer une antibiothérapie seule, contrairement aux études précédentes. Ce point est important pour superposer les résultats obtenus à une population Française où le scanner est loin d’être systématique en première intention.4
  • Cette étude confirme la sévérité plus élevée des appendicites aigües avec stercolithe. Dans ce sous-groupe à risque, les résultats de l’antibiothérapie sur la qualité de vie en comparaison de l’appendicectomie étaient identiques au sous-groupe sans stercolithe. Néanmoins, les patients traités par antibiothérapie avec un stercolithe en place étaient plus à risque de complications et d’appendicectomie secondaire pour des récidives d’appendicite plus sévère.
  • Les résultats intéressants de l’antibiothérapie sur la qualité de vie à un mois et la durée plus courte d’arrêt de travail doivent être mis en balance avec le fait que 3 patients sur 10 sont opérés d’appendicectomie dans les 3 mois suivant. Ce taux doit probablement être plus élevé à plus long terme.  Dans les essais randomisés précédents, le taux d’appendicectomie après antibiothérapie doublait entre 1 mois et 1 an.1,2
Points forts
  • Il s’agit d’un essai multicentrique de forte puissance
  • Grâce à son design incluant les appendicites compliquées non graves sans scanner abdominal systématique, les résultats de l’étude peuvent être facilement superposés dans la population française.
  • L’analyse en sous-groupe prévue avant le début de l’étude a permis d’obtenir des résultats fiables chez les patients présentant un stercolithe connu pour être associé à des appendicite plus souvent compliquée.
Points faibles
  • On peut reprocher à cette étude d’avoir choisi un délai d’évaluation du critère de jugement principal trop court. En effet dans les études précédentes, le taux cumulé d’appendicectomie secondaire après antibiothérapie augmentait progressivement sur l’année suivant le diagnostic d’appendicite.1,2 On peut penser que ce risque d’appendicectomie courant sur un an au moins, son retentissement sur la qualité de vie augmenterait encore au-delà d’un mois.
  • L’utilisation du questionnaire EQ5D pour l’évaluation du critère de jugement principal est questionnable. Malgré sa validation et sa polyvalence, sa simplicité peut le rendre insuffisamment discriminant dans l’évaluation de la qualité de vie après une appendicectomie, connue pour son très faible taux de morbidité globale. Pour les mêmes raisons dans le groupe antibiothérapie, l’EQ5-D n’est probablement pas le plus optimal pour retranscrire l’appréhension du patient d’une récidive d’appendicite.
Implications et conclusions
  • L’essai CODA démontre que l’antibiothérapie seule permet d’éviter le recours à l’appendicectomie à 7 patients sur 10 dans un délai de 3 mois, avec des résultats de la qualité de vie à un mois non-inférieure au gold standard appendicectomie. Ces résultats sont très intéressants à la lumière des conditions sanitaires actuelles où les places au bloc opératoire sont chères.
  • Néanmoins, le potentiel bénéfice organisationnel au bloc opératoire est à mettre en balance avec une absence de réduction de la durée d’hospitalisation, un taux de réadmissions aux urgences deux fois supérieur chez les patients traités par antibiothérapie (11% vs 4%) ainsi que des récidives d’appendicite plus souvent perforée qu’au moment du traitement initial.
  • Le choix entre antibiothérapie ou chirurgie doit donc être le fruit d’une discussion entre les soignants et les patients en exposant les avantages et inconvénients de chaque stratégie.
  • Les moins bons candidats pour la stratégie d’antibiothérapie seule sont manifestement les patients présentant un stercolithe en raison de leur risque d’appendicectomie secondaire plus élevée, de l’ordre de 40%.
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CONFLIT D'INTÉRÊTS

Article commenté par Emilie Duchalais, Chirurgie Cancérologique, Digestive et Endocrinienne, CHRU de Nantes, France.

L'auteur déclare ne pas avoir de lien d'intérêt.

Le contenu des fiches REACTU traduit la position de leurs auteurs, mais n’engage ni la CERC ni la SRLF.
Envoyez vos commentaires/réactions à l'auteur (emilie.dassonneville@chu-nantes.fr) à la CERC.

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Références

  1. Hansson J, Körner U, Khorram-Manesh A, Solberg A, Lundholm K. Randomized clinical trial of antibiotic therapy versus appendicectomy as primary treatment of acute appendicitis in unselected patients. Br J Surg. 2009 May;96(5):473-81. doi: 10.1002/bjs.6482.
  2. Vons C, Barry C, Maitre S, Pautrat K, Leconte M, Costaglioli B, Karoui M, Alves A, Dousset B, Valleur P, Falissard B, Franco D. Amoxicillin plus clavulanic acid versus appendicectomy for treatment of acute uncomplicated appendicitis: an open-label, non-inferiority, randomised controlled trial. Lancet. 2011 May 7;377(9777):1573-9. doi: 10.1016/S0140-6736(11)60410-8.
  3. Sallinen V, Akl EA, You JJ, Agarwal A, Shoucair S, Vandvik PO, Agoritsas T, Heels-Ansdell D, Guyatt GH, Tikkinen KA. Meta-analysis of antibiotics versus appendicectomy for non-perforated acute appendicitis. Br J Surg. 2016 May;103(6):656-667. doi: 10.1002/bjs.10147.
  4. Collard MK, Christou N, Lakkis Z, Mege D, Bridoux V, Millet I, Sabbagh C, Loriau J, Lefevre JH, Ronot M, Maggiori L; Société français de chirurgie digestive (SFCD) et la Société d’imagerie abdominale et digestive (SIAD). Adult appendicitis: Clinical practice guidelines from the French Society of Digestive Surgery and the Society of Abdominal and Digestive Imaging. J Visc Surg. 2021 Jan 5:S1878-7886(20)30307-6. doi: 10.1016/j.jviscsurg.2020.11.013.
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CERC

JB. LASCARROU (Secrétaire)
K. BACHOUMAS
SD. BARBAR
G. DECORMEILLE
N. HEMING
B. HERMANN
G. JACQ
T. KAMEL
JF. LLITJOS
L. OUANES-BESBES
G. PITON