
Berton G, Hospital MA, Garciaz S, Rouzaud C, Maisano V, Hicheri Y, D'Incan Corda E, Rey J, Bisbal M, Sannini A, Chine LC, Servan L, Gonzalez F, Vey N, Mokart D, Saillard C. Outcomes of Elderly Patients Admitted to the Intensive Care Unit for Newly Diagnosed Acute Myeloid Leukemia. Eur J Haematol. 2025 Apr;114(4):679-689. doi: 10.1111/ejh.14366. Epub 2025 Jan 6. PMID: 39761963; PMCID: PMC11880976.
Question évaluée
Les leucémies myéloïdes aiguës (LAM) sont les hémopathies malignes ayant le plus grand besoin d'admission en réanimation (2). Actuellement, il existe peu de données chez les patients âgés admis en réanimation, en raison d’une mortalité initiale importante aboutissant à un refus d’admission de ces patients. Cependant, les protocoles thérapeutiques actuels offrent un potentiel de survie prolongée avec une toxicité moindre et peu d’études existent sur l’intérêt d’une admission en réanimation de ces patients plus âgés.
Type d’étude
Etude rétrospective monocentrique
Population étudiée
139 patients âgés de plus de 60 ans atteints de leucémie aiguë myéloïde au diagnostic admis en réanimation à l'Institut Paoli-Calmettes (France) entre avril 2010 et octobre 2020 durant la phase initiale de leur prise en charge.
Méthode
Les patients ont été classés en trois groupes en fonction de la présence de critères biologiques indiquant un « haut risque » de complications (thrombocytopénie < 50 000/mm³ et leucocytose > 50 000/mm³) et de défaillances d’organe.
Groupe 1 : Patients présentant des critères biologiques associés à un risque élevé de complications initiales qui justifiaient l'admission en réanimation, avec ou sans défaillance d’organe associée (autre qu’hématologique) (3).
Groupe 2 : Patients présentant une défaillance d’organe immédiate sans les critères biologiques à haut risque mentionnés ci-dessus.
Groupe 3 : Patients initialement pris en charge dans le service d'hématologie-oncologie qui ont développé une défaillance d’organe après le début du traitement anti-leucémique (premier mois de traitement).
Des modèles de régression logistique multiple ont été utilisés pour identifier les facteurs prédictifs de mortalité à l'hôpital et à 90 jours, tandis que la régression de Cox a été utilisée pour la mortalité à 1 an.
Résultats essentiels
Sur la cohorte globale
L'âge médian de l'ensemble de la cohorte était de 69 ans (60–85), avec un PS médian de 1 (0–4). La majorité des patients avaient une LAM à risque intermédiaire selon la classification pronostique ELN17 (4).
124/139 patients ont reçu un traitement d’induction de la LAM, majoritairement avec un traitement intensif (n=116). Parmi les patients en rémission complète après l’induction, 30% étaient trop altérés pour recevoir le traitement de consolidation intensif.
La principale raison d'admission était l'insuffisance respiratoire (57 %), due principalement à une leucostase ou une pneumonie. Les patients développaient une défaillance respiratoire dans 75 % des cas (ventilation mécanique : 40 %), rénale ou métabolique (syndrome de lyse tumorale) dans 40 % des cas (épuration extra-rénale : 23 %), une CIVD dans 19 % des cas et hémodynamique dans 27% des cas.
Analyse en sous-groupe
La répartition dans les 3 groupes était la suivante :
Groupe 1 : 68 (49 %) patients
Groupe 2 : 38 (27 %) patients
Groupe 3 : 33 (24 %) patients, avec un temps médian entre le début de la chimiothérapie et l'admission en soins intensifs de 11 jours (1 à 57 jours).
Dans le Groupe 1, 31 (46 %) des patients ont été admis en réanimation uniquement en raison de la présence de critères biologiques à haut risque, et 37 (54 %) des patients présentaient une défaillance d'organe associée. Pendant leur séjour en soins intensifs, ces 37 patients ont présenté de manière significativement plus fréquente une défaillance rénale/métabolique, une CIVD sévère, et une défaillance multiviscérale par rapport aux sujets des Groupes 2 et 3 (p<0,0001, p<0,0001 et p=0,0184, respectivement).
Analyse de mortalité
Les taux de mortalité en réanimation, intra-hospitalière, à 90 jours et à un an étaient de 26%, 37%, 42% et 60% respectivement. Le taux de mortalité intra-hospitalière était significativement plus élevé pour le groupe 2, en comparaison aux groupes 1 et 3 (p= 0.011 et 0.015, respectivement).
Les variables associées à la mortalité à l'hôpital comprenaient l'Index de Comorbidité de Charlson, le besoin de ventilation mécanique invasive et la défaillance multiviscérale.
En analyse multivariée, le score de Charlson, la ventilation mécanique et le nombre de défaillances d'organes supérieur ou égal à 2 sont tous liés à une augmentation de la mortalité. Parmi les patients survivants à la sortie de réanimation, seul le score de Charlson restait prédictif de la mortalité intra-hospitalière et à J90.
Les facteurs associés à la mortalité à un an étaient la nécessité de ventilation mécanique, l’âge au diagnostic, le risque ELN17 et le sexe masculin. Chez les patients survivants à la réanimation, seuls le score ELN17 et le sexe masculin restaient des facteurs pronostiques à un an.
Commentaires
Cette étude démontre les bénéfices de la prise en charge en réanimation pour les individus en bon état général, âgés de 60 ans et plus, présentant une complication durant la phase initiale de prise en charge d’une LAM. Elle illustre les effets de l'âge, des comorbidités et de la gravité des défaillances d’organe sur la mortalité à court terme dans cette population et confirme des données de pronostic connues sur des populations non sélectionnées (5–8).
Points forts
Il existe peu d’études sur le sujet en raison de l’incidence faible de la maladie.
Dans cette population sélectionnée, les taux de mortalité sont comparables aux autres études, même aux plus jeunes patients.
L’étude démontre bien le poids des comorbidités sur la mortalité à court terme et des caractéristiques de la maladie à long terme ainsi que l’intérêt d’une admission pré-emptive pour les patients présentant des critères de haut risque, plus de la moitié des patients développant une défaillance d’organe secondaire.
Points faibles
Même si les patients sont âgés de 60 ans et plus, il ne s’agit pas réellement d’une population âgée au sens hématologique du terme car les chimiothérapies intensives de type 3+7 sont actuellement administrées jusqu’à 65 voire 70 ans.
Population très sélectionnée en amont (patients jugés assez « fit » pour recevoir de la chimiothérapie intensive et bénéficier d’un séjour en réanimation).
Il y a trop peu de patients ayant reçu un traitement non intensif pour tirer des conclusions sur cette population.
Manque de données sur les limitations thérapeutiques.
Caractère rétrospectif et monocentrique.
Implications et conclusions
Cette étude confirme la faisabilité d'une stratégie d'admission en réanimation, y compris pré-emptive (i.e critères biologiques à haut risque), en réanimation pour les patients de plus de 60 ans atteints de LAM et sélectionnés pour un traitement intensif. Elle est en faveur d’une admission en réanimation, sans surmortalité excessive, quel que soit l’âge, à partir du moment où les patients sont peu comorbides et en mesure de recevoir le traitement intensif de leur hémopathie. Ces résultats sont pertinents mais restent à confirmer sur une population multicentrique, avec davantage de données sur les critères de sélection à l’admission et les éventuelles limitations thérapeutiques, qui pourraient avoir influencé les résultats. L’occasion d’insister de nouveau sur l’intérêt d’une collaboration étroite entre les hématologues et les réanimateurs !
Références citées dans les commentaires :
- Berton G, Hospital M, Garciaz S, Rouzaud C, Maisano V, Hicheri Y, et al. Outcomes of Elderly Patients Admitted to the Intensive Care Unit for Newly Diagnosed Acute Myeloid Leukemia. European J of Haematology. avr 2025;114(4):679‑89.
- Ferreyro BL, Scales DC, Wunsch H, Cheung MC, Gupta V, Saskin R, et al. Critical illness in patients with hematologic malignancy: a population-based cohort study. Intensive Care Med. oct 2021;47(10):1104‑14.
- Fodil S, Chevret S, Rouzaud C, Valade S, Rabian F, Mariotte E, et al. Post-remission outcomes in AML patients with high hyperleukocytosis and inaugural life-threatening complications. Yassin MA, éditeur. PLoS ONE. 7 juill 2022;17(7):e0270744.
- Bataller A, Garrido A, Guijarro F, Oñate G, Diaz-Beyá M, Arnan M, et al. European LeukemiaNet 2017 risk stratification for acute myeloid leukemia: validation in a risk-adapted protocol. Blood Advances. 22 févr 2022;6(4):1193‑206.
- Kundu R, Seeger R, Elfassy MD, Rozenberg D, Ahluwalia N, Detsky ME, et al. The association between nutritional risk index and ICU outcomes across hematologic malignancy patients with acute respiratory failure. Ann Hematol. févr 2023;102(2):439‑45.
- Tavares M, Lemiale V, Mokart D, Pène F, Lengliné E, Kouatchet A, et al. Determinants of 1-year survival in critically ill acute leukemia patients: a GRRR-OH study. Leukemia & Lymphoma. 3 juin 2018;59(6):1323‑31.
- Pohlen M, Thoennissen NH, Braess J, Thudium J, Schmid C, Kochanek M, et al. Patients with Acute Myeloid Leukemia Admitted to Intensive Care Units: Outcome Analysis and Risk Prediction. Mills K, éditeur. PLoS ONE. 30 août 2016;11(8):e0160871.
- Schellongowski P, Staudinger T, Kundi M, Laczika K, Locker GJ, Bojic A, et al. Prognostic factors for intensive care unit admission, intensive care outcome, and post-intensive care survival in patients with de novo acute myeloid leukemia: a single center experience. Haematologica. 1 févr 2011;96(2):231‑7.
CONFLIT D'INTÉRÊTS
Commenté par Anne-Sophie Moreau, Médecine intensive Réanimation, Hôpital Salengro CHU de Lille, France
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