« NO » à l’insuffisance rénale aiguë et à la maladie rénale chronique après CEC prolongée en chirurgie cardiaque valvulaire ?

28/02/2019
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reactu-NO a IRA
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Nitric Oxide Decreases Acute Kidney Injury and Stage 3 Chronic Kidney Disease after Cardiac Surgery.
Chong Lei, Lorenzo Berra, Emanuele Rezoagli, Binglan Yu, Hailong Dong, Shiqiang Yu, Lihong Hou, Min Chen, Wensheng Chen, Hongbing Wang, Qijun Zheng, Jie Shen, Zhenxiao Jin, Tao Chen, Rong Zhao, Emily Christie, Venkata S. Sabbisetti, Francesco Nordio, Joseph V. Bonventre, Lize Xiong, Warren M. Zapol.
Am J Respir Crit Care Med. 2018 Nov 15;198(10):1279-1287

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Question évaluée

L’administration d’oxyde nitrique (NO) réduit-elle l’incidence de l’insuffisance rénale aiguë (IRA) et améliore-t-elle la fonction rénale 1 an après chirurgie cardiaque ?

Type d’étude

Essai clinique monocentrique (Hôpital Xijing, Chine),  randomisé, contrôlé, en double-aveugle.

Population étudiée

Patients adultes (n=244), programmés pour un remplacement valvulaire multiple (91-94% des indications sont une cardiopathie valvulaire rhumatismale) avec temps médian significatif de circulation extracorporelle (134 min).

Méthode

Patients randomisés dans 2 bras (1:1) :

  • Bras intervention (n=117) : oxyde nitrique (NO) (80 ppm), administré via la machine de circulation extracorporelle (CEC) en cours de procédure puis par le ventilateur après CEC pour une durée maximale de 24h ou plus tôt si extubation dans le cadre des soins standards.
  • Bras contrôle (n=127) : nitrogène (N2) inhalé.
Critères de jugement
Principal
  • Incidence de l’insuffisance rénale aiguë selon les critères KDIGO 2012, (augmentation de 50% de la créatinine sérique dans les 7 jours qui suivent la chirurgie ou majoration de créatinine sérique d’une valeur absolue de 0.3 mg/dl dans les 48h qui suivent la chirurgie). La créatinine de base correspond à la valeur préopératoire.
Secondaires
  • Survenue d’une maladie rénale chronique de stade 3 ou de sévérité plus importante (DFGe < 60 ml/min/1.73m2).
  • Diminution de 25% de DFGe par rapport à la valeur de base.
  • MAKE-30 jours (score composite incluant la perte de 25% du DFGe, la survenue d’une maladie rénale terminale nécessitant une dialyse et la mortalité).
  • MAKE-90 jours.
  • MAKE-1 an.
  • Dysfonction d’organe autre que le rein.
  • Activités quotidiennes.
  • Mortalité générale.
Résultats essentiels

Le risque d’IRA chez les patients traités par NO a été réduit de 22% (RR 0.78 IC95% 0.62-0.97). L’incidence était de 50% dans le groupe traité et de 64% dans le groupe contrôle (analyse en intention de traiter).

Le risque de maladie rénale chronique secondaire à 3 mois a été réduit de 36% (21 vs 33%, RR 0.64 IC95% 0.41-0.99) chez les patients traités par NO. Celui à 1 an a été réduit de 41% (18 vs 31%, RR 0.59 IC95% 0.36-0.96)

Pas de différence significative sur les autres critères de jugement.

Commentaires
Points forts

Population homogène, méthodologie robuste, y compris sur le plan chirurgical. Absence de perte de suivi à 12 mois.

Points faibles

La validité externe de cette étude est essentiellement limitée par [1] les caractéristiques particulières des patients : cardiopathies valvulaires quasi exclusivement secondaires à un rhumatisme articulaire aigu (plus rare en Europe), patients jeunes et présentant peu de comorbidités, [2] absence de représentation multiethnique (population chinoise exclusivement). Il s’agit d’une étude qui ne concerne que des patients programmés.

Implications et conclusions

L’identification des patients à risque d’insuffisance rénale aiguë (IRA) après chirurgie cardiaque reste un enjeu majeur.  Cette identification précoce, idéalement préopératoire, permet d’adopter des stratégies péri-opératoire de minimisation des risques. De fait, plusieurs scores d’établissement du risque d’IRA post-opératoire existent en chirurgie cardiaque en incluant des caractéristiques propres au patient (par ex. existence d’une maladie rénale chronique préopératoire, stabilité hémodynamique, etc.), mais aussi à la procédure chirurgicale (par ex. type d’intervention, transfusions sanguines, durée de la circulation extracorporelle, etc.) (1-3). Cependant, beaucoup d’auteurs sont actuellement d’avis que ces différents scores restent d’utilité limitée pour le clinicien, avec le motif qu’aucune intervention spécifique n’est disponible ensuite (4). Dans le présent article, on peut regretter l’absence de stratification des patients selon un score de risque « rénal » et sa corrélation avec l’efficacité rapportée de l’intervention. L’article ne nous apprend pas si l’intervention reste efficace en cas de risque rénal très élevé par exemple.

Alors que plusieurs agents pharmacologiques ont été testés sans grand succès dans la prévention de l’IRA en chirurgie cardiaque (par ex. les statines, le bicarbonate intraveineux), la présentation du NO, comme agent prophylactique prometteur, ouvre une voie supplémentaire. De nombreux modèles expérimentaux s’intéressant à la microcirculation rénale, l’ischémie-reperfusion, l’hémolyse et les mécanismes antioxydants ont en effet démontré l’intérêt néphroprotecteur de leur modulation. La facilité d’administration du NO, la rareté des effets secondaires rapportés dans l’essai clinique pour une efficacité intéressante mérite notre attention. En raison des limitations de l’étude, il va de soi que celle-ci doit être confirmée par des essais cliniques randomisés et contrôlés de grande ampleur, en tenant compte d’une stratification selon le risque rénal préopératoire, d’une variété d’indications opératoires plus larges et d’une représentation multi-ethnique. Une approche coût-efficacité devrait également être approfondie lors des essais ultérieurs.

L’utilité diagnostique des biomarqueurs précoces d’insuffisance rénale aiguë comme KIM-1 ou NGAL reste une question ouverte à ce jour. Les auteurs rapportent une faible relation entre expression précoce de KIM-1 ou de NGAL et la survenue secondaire d’IRA. Ceci suggère que, dans ce contexte de chirurgie cardiaque, la valeur prédictive positive de ces 2 biomarqueurs pourrait être très limitée. Même si d’autres marqueurs comme [TIMP-2]*[IGFBP7] pourraient être plus performants dans ce même contexte (5), de manière générale, la place de ces biomarqueurs témoignant d’une lésion tubulaire aiguë (mais aussi des mécanismes de réparation et de régénérescence tubulaire) reste à déterminer pour un usage clinique quotidien.

Enfin, le continuum entre survenue d’IRA et apparition de maladie rénale chronique est désormais bien établi tant par les modèles expérimentaux que par les multiples observations cliniques (6). La présente étude confirme qu’environ 36% des patients du groupe traité et 48% des patients du groupe contrôle ont développé une maladie rénale chronique de stade 3 ou plus sévère après IRA. Ces résultats imposent aux médecins témoins de cette insuffisance rénale aiguë, non seulement de limiter les risques d’agression ultérieure, mais aussi d’assurer un suivi à long terme de la fonction rénale de ces patients.

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Conflit d'intérêts

Article commenté par le Dr Jean-Michel Hougardy, Service de Néphrologie, Dialyse et Transplantation rénale, CUB Hôpital Erasme, Belgique

Le Dr Jean-Michel Hougardy déclare ne pas avoir de liens d’intérêt.
Le contenu des fiches REACTU traduit la position de leurs auteurs, mais n’engage ni la CERC ni la SRLF.

Envoyez vos commentaires/réactions l’auteur (Jean-Michel.Hougardy@erasme.ulb.ac.be) ou à la CERC.

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Liens utiles

1. Thakar CV, Arrigain S, Worley S, Yared JP, Paganini EP. A clinical score to predict acute renal failure after cardiac surgery. J Am Soc Nephrol. 2005;16(1):162-8.
2. Mehta RH, Grab JD, O’Brien SM, Bridges CR, Gammie JS, Haan CK, et al. Bedside tool for predicting the risk of postoperative dialysis in patients undergoing cardiac surgery. Circulation. 2006;114(21):2208-16; quiz
3. Englberger L, Suri RM, Li Z, Dearani JA, Park SJ, Sundt TM, 3rd, et al. Validation of clinical scores predicting severe acute kidney injury after cardiac surgery. Am J Kidney Dis. 2010;56(4):623-31.
4. Bell S, Lim M. Optimizing peri-operative care to prevent acute kidney injury. Nephrol Dial Transplant. 2018.
5. Su LJ, Li YM, Kellum JA, Peng ZY. Predictive value of cell cycle arrest biomarkers for cardiac surgery-associated acute kidney injury: a meta-analysis. Br J Anaesth. 2018;121(2):350-7.
6. Chawla LS, Bellomo R, Bihorac A, Goldstein SL, Siew ED, Bagshaw SM, et al. Acute kidney disease and renal recovery: consensus report of the Acute Disease Quality Initiative (ADQI) 16 Workgroup. Nat Rev Nephrol. 2017;13(4):241-57.

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CERC

JB. LASCARROU (Secrétaire)
SD. BARBAR
F. BOISSIER
G. DECORMEILLE
N. HEMING
B. HERMANN
S. HRAIECH
G. JACQ
JF. LLIJTOS
L. OUANES-BESBES
G. PITON
L. POIROUX