Ayasse T, Touron M, Blanc MC, Pruvost-Robieux E, Lascarrou JB, Vigneron C, Mira JP, Pène F, Cariou A, Benghanem S. Absolute blood levels and kinetics of neurofilament light (NFL) chains for neurological prognosis in comatose patients after cardiac arrest. Ann Intensive Care. 2025 May 30;15(1):75. doi: 10.1186/s13613-025-01491-7. PMID: 40445422; PMCID: PMC12125424.
Question évaluée :
La concentration plasmatique des chaînes légères de neurofilaments peut-elle constituer un biomarqueur pronostique fiable d’encéphalopathie post-anoxique ?
Type d’étude :
Étude observationnelle, prospective et monocentrique conduite au sein d’un centre hospitalo-universitaire français de référence dans la prise en charge post–arrêt cardiaque.
Population étudiée :
Critères d’inclusion :
Coma à l’admission (score de Glasgow < 8)
Arrêt cardiorespiratoire (ACR) intra- ou extrahospitalier
Réalisation d’au moins un dosage plasmatique des chaînes légères de neurofilaments (NfL) à 24, 48 ou 72 heures après le retour à une circulation spontanée
Critère d’exclusion :
Patient mineur < 18 ans.
Méthode :
Les données démographiques, cliniques ont été recueillies rétrospectivement.
La prise en charge initiale avait suivi les recommandations ERC-ESICM de 2021, à savoir :
La mise sous hypothermie thérapeutique à 36°C pendant 24h avec une sédation reposant sur des drogues de courte durée d’action (propofol et rémifentanil).
Les patients ne présentant aucun signe de réveil à 72 heures post-arrêt cardiaque ont bénéficié du bilan neuropronostique recommandé.
Le meilleur score de l’échelle de Rankin modifiée (mRS) au cours des 3 premiers mois a été recueilli comme critère évolutif. Un mRS entre 0 et 3 (de l’absence de symptôme à la présence d’un handicap modéré) était considéré comme une issue favorable. Un mRS de 4 à 6 (handicap sévère, nécessité de soins continus ou décès) définissait une issue défavorable.
Les concentrations plasmatiques de NfL ont été mesurées à 24, 48 et 72h par dosage immuno-enzymatique en sandwich à détection chimioluminescente (Fujirebio Lumipulse G600, France). Les cliniciens en charge des patients avaient accès aux résultats des dosages de Neuron Specific Enolase (NSE) et des NfL.
Analyse statistique :
- La performance pronostique du dosage des NfL à chaque temps a été mesurée au moyen de courbes ROC.
- Leur AUC ont été comparées à celle de la NSE au moyen du test de Delong.
Résultats essentiels :
D’avril 2023 à novembre 2024, 67 patients ont été inclus. Dans cette cohorte, quel que soit le délai du test, le taux médian de NfL était significativement plus élevé chez les patients ayant évolué défavorablement par rapport à ceux ayant évolué favorablement :
À 24 heures : 256.0 [96.2–441.9] vs 37.9 [17.4–104.5] pg/mL (p < 0.001),
À 48 heures : 1297.7 [137.6–3605.0] vs 36.4 [19.3–174.0] pg/mL (p < 0.001),
À 72 heures : 1591.9 [350.6–4913.5] vs 49.3 [23.2–146.4] pg/mL (p < 0.001).
Le dosage à 72h apportait la meilleure performance pronostique de mauvaise évolution avec une AUC de 0.90 [0.81–1.00].
La valeur seuil > 510 pg/mL permettait d’obtenir une spécificité de 1,00 [1,00–1,00] tout en conservant une sensibilité acceptable de 0,74 [0,52–0,91].
La valeur seuil > 406 pg/mL permettait une spécificité de 0.92 [0.75–1.00] et une sensibilité de 0.74 [0.57–0.91].
De façon intéressante, les performances pronostiques obtenues par dosage des NfL n’étaient pas significativement supérieures à celles de la NSE dans cette cohorte.
Concernant la prédiction d’une évolution favorable, le taux de NfL à 72h apportait les meilleures performances avec une AUC de 0.90 [0.81–1.00].
Le seuil < 459 pg/mL à 72h permettait le meilleur compromis entre sensibilité (1.00) et spécificité (0.89)
Enfin, aucune association n’a été mise en évidence entre la cinétique d’évolution des NfL au cours des premiers jours et le pronostic de récupération.
Commentaires :
Cette étude s’inscrit dans la continuité des travaux publiés au cours des dix dernières années1–4 visant à apporter les preuves scientifiques nécessaires à l’utilisation des Nfl comme biomarqueurs pronostiques précoces dans les suites d’un arrêt cardiaque.
Les résultats, bien que reposant sur un effectif limité, constituent les premières données françaises confirmant leur bonne performance pronostique. Ils sont concordants avec ceux publiés dans la littérature, notamment avec la plus vaste cohorte menée par Moseby-Knape et al. sur 717 patients1. À 24, 48 et 72 heures, les concentrations médianes de NfL étaient significativement plus élevées chez les patients présentant une évolution défavorable que chez ceux évoluant favorablement (1426 [299–3577] vs 37 [20–70] pg/mL à 24h ; 3240 [623–8271] vs 46 [26–101] pg/mL à 48h et 3344 [845–7838] vs 54 [30–122] pg/mL à 72h)1. L’aire sous la courbe (AUC) associée était de 0,941. La méta-analyse par Hoiland et al. en 20223, qui regroupait 10 études et un total de 1231 patients, rapportait une AUC de 0.92 à 48h.
À l’instar des études antérieures, elle ne s’affranchit pas du principal biais lié aux décisions de limitation des traitements de réanimation, qui ont été à l’origine du décès de 25 patients sur 39, soit près de la moitié des 51 patients présentant une évolution défavorable. Bien que cet élément limite nettement la portée des résultats sur un effectif aussi restreint, l’ensemble de ces patients présentait au moins deux critères de mauvais pronostic définis par les recommandations ERC-ESICM 2021, attestant ainsi d’un pronostic attendu défavorable, bien que censuré.
Enfin, contrairement à la majorité des études publiées jusqu’à présent, cette étude n’a pas mis en évidence de supériorité du dosage des neurofilaments par rapport à celui de la NSE en termes de performance pronostique alors que cette dernière bénéficie aujourd’hui d’une disponibilité large et standardisée sur l’ensemble du territoire.
Cette observation questionne la place et les critères d’un nouveau biomarqueur dans un contexte où l’approche multimodale apparaît comme l’élément central des réflexions éthiques menant à la poursuite ou l’arrêt des soins de réanimation :
Les NfL apparaissent comme une alternative possible au dosage de la NSE dans les situations où il est susceptible d’être faussé —hémolyse, assistance circulatoire extracorporelle (ECMO). L’association des deux biomarqueurs pourrait aussi s’avérer utile dans les situations incertaines, par exemple lorsque les concentrations de NSE se situent entre 17 et 60 µg/L à 48 ou 72 heures.
Bien que cela soit peu exploré, les NfL pourraient trouver leur utilité dans l’ouverture d’une seconde fenêtre d’évaluation plus tardive, au-delà des délais classiquement envisagés grâce à la NSE. Cela n’a pas été étudié dans cette étude mais les travaux de Disanto et al. (2023)5 suggèrent un intérêt pronostique persistant jusqu’au dixième jour. Les données disponibles sont insuffisantes mais incitent à poursuivre des études prospectives dédiées dans cette fenêtre temporelle du fait d’une cinétique différente de la NSE.
Les circonstances susceptibles de restreindre l’interprétation clinique des NfL doivent être précisées néanmoins. Biomarqueur le plus prometteur — devant la protéine S100β, la GFAP ou la protéine Tau3 — son élévation n’est pas spécifique du contexte post-anoxique6. Signant une souffrance axonale, ils s’élèvent dans de nombreuses atteintes neurologiques aigues centrales — accidents vasculaires cérébraux ischémiques7, traumatismes crâniens8, hémorragies sous-arachnoïdiennes — ou périphériques — polyradiculonévrites, neuromyopathies de réanimation —, ainsi que dans plusieurs affections neurodégénératives — sclérose latérale amyotrophique, maladie d’Alzheimer ou autres démences. Ces situations fréquentes peuvent perturber leur interprétation, toutefois les niveaux d’élévation observés dans les suites d’un ACR de pronostic défavorable sont généralement plus marqués que dans ces autres contextes.
Enfin, malgré des résultats encourageants, il n’existe pas encore de seuil consensuel permettant l’utilisation des neurofilaments en pratique clinique, d’autant plus que persiste une hétérogénéité des méthodes de dosage, ce qui impose pour l’instant un étalonnage local.
Points forts :
Méthodologie statistique robuste
Premières données française disponibles
Description claire et conforme aux recommandations européennes des critères ayant mené aux décisions d’arrêt de traitement de réanimation.
Résultats concordants avec les données de la littérature.
Points faibles :
Exclusion de 97 patients pris en charge dans le centre en raison de l’absence de dosage des NfL ; ces patients présentaient une évolution significativement plus favorable (49 % vs 25 %), introduisant ainsi un biais de sélection.
Évaluation du pronostic à un délai court de 3 mois, alors que la majorité des études privilégient un suivi à 6 mois, certaines récupérations neurologiques pouvant survenir plus tardivement.
Implications et conclusions :
Le dosage des neurofilaments bénéficie aujourd’hui de données de plus en plus encourageantes en faveur de son utilisation comme biomarqueur pronostique dans le contexte post–arrêt cardiorespiratoire. Toutefois, son intégration en pratique clinique à plus large échelle reste prématurée, en raison de difficultés d’accessibilité, de variations locales dans les méthodes de dosage et de l’absence de seuil d’interprétation consensuel. Plus encore, le délai optimal de prélèvement, ainsi que la place et l’articulation de ce biomarqueur au sein d’une stratégie d’évaluation multimodale sont encore à préciser.
Références citées dans les commentaires :
Moseby-Knappe, M. et al. Serum Neurofilament Light Chain for Prognosis of Outcome After Cardiac Arrest. JAMA Neurol. 76, 64 (2019).
Wihersaari, L. et al. Neurofilament light compared to neuron-specific enolase as a predictor of unfavourable outcome after out-of-hospital cardiac arrest. Resuscitation 174, 1–8 (2022).
Hoiland, R. L. et al. Neurologic Prognostication After Cardiac Arrest Using Brain Biomarkers: A Systematic Review and Meta-analysis. JAMA Neurol. 79, 390 (2022).
Levin, H. et al. Plasma neurofilament light is a predictor of neurological outcome 12 h after cardiac arrest. Crit. Care 27, 74 (2023).
Disanto, G. et al. Longitudinal serum neurofilament light kinetics in post‐anoxic encephalopathy. Ann. Clin. Transl. Neurol. 10, 2407–2412 (2023).
Khalil, M. et al. Neurofilaments as biomarkers in neurological disorders. Nat. Rev. Neurol. 14, 577–589 (2018).
Sanchez, J. D. et al. Temporal Patterning of Neurofilament Light as a Blood-Based Biomarker for Stroke: A Systematic Review and Meta-Analysis. Front. Neurol. 13, 841898 (2022).
- Shahim, P. et al. Serum neurofilament light protein predicts clinical outcome in traumatic brain injury. Sci. Rep. 6, 36791 (2016).
CONFLIT D'INTÉRÊTS
Commenté par Augustin Boullet et Nicolas Weiss; Sorbonne Université, Médecine intensive Réanimation, Institut de Neurologie, Hôpital Pitié-Salpêtrière, 47-83 Boulevard de l'Hôpital, Paris 75013, France; & Brain Liver Salpêtrière Study Group, Sorbonne Université, INSERM UMR_S 938, Centre de Recherche Saint-Antoine & Institute of Cardiometabolism and Nutrition (ICAN), Paris 75013, France; AP-HP.
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