Former quelques infirmiers suffit ? Et les autres ? Quand un meilleur soutien des proches améliore leur satisfaction

21/10/2025
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Naef R, Jeitziner MM, Riguzzi M, von Felten S, Verweij L, Rufer M, Safford J, Sutter S, Bergmann-Kipfer B, Betschart U, Boltshauser S, Brülisauer N, Brunner C, Bühler PK, Burkhalter H, Dullenkopf A, Heise A, Hertler B, Hoffmann JE, Karde C, Keller Y, Kohler S, Lussmann F, Massarotto P, Moser M, Pietsch U, Segalada DL, Siegrist E, Steiger P, Ruch N, von Dach C, Wenzler MS, Wiegand J, Zante B, Filipovic M; FICUS Study Group. Nurse-Led Family Support Intervention for Families of Critically Ill Patients: The FICUS Cluster Randomized Clinical Trial. JAMA Intern Med. 2025 Sep 1;185(9):1138-1149. doi: 10.1001/jamainternmed.2025.3406. PMID: 40720110.

Texte
Question évaluée :

Une intervention de soutien des proches menée par des infirmières dédiées permet-elle, comparée à la prise en charge habituelle, d’améliorer la satisfaction des proches, la qualité de la communication et la qualité de l’accompagnement ?

Type d’étude :

Essai randomisé en clusters.

16 services de réanimation (dans 12 hôpitaux) en Suisse allemande ont participé à l’étude, dont 8 dans le bras interventionnel et 8 dans le bras contrôle.

Population étudiée :

Les proches de patients : les proches étaient éligibles s’ils avaient au moins 18 ans, s’ils étaient la personne la plus impliquée dans la prise en charge du patient, s’ils étaient capables de répondre aux questionnaires en allemand et si le patient avait une durée de séjour en réanimation supérieure à 48 heures.

Méthode :
  • Description de l’intervention

Les services de réanimation dans le bras interventionnel ont introduit l’intervention en complément de la prise en charge habituelle des proches. L’intervention reposait sur une approche systémique familiale et sur des recommandations publiées pour les soins centrés sur la famille (Family Centered Care) (1). Elle comprenait trois composantes (impliquer et mettre en relation, soutenir, communiquer), proposées à travers des interactions régulières avec les proches, depuis l’admission du patient en réanimation jusqu’à la phase post-réanimation. La mise en œuvre de l’intervention devait commencer dans les 4 jours suivant l’admission et inclure au moins un suivi après la sortie de réanimation. Un minimum de 5 interventions couvrant les 3 composantes était requis mais la fréquence et/ou l’intensité pouvaient être augmentées en fonction des besoins des proches et de l’état clinique des patients.

Pour réaliser l’intervention, un nouveau rôle « d’infirmière de famille » a été créé. Dans chaque service, 2 à 3 infirmières de famille étaient responsables de la mise en œuvre de l’intervention, avec des plages horaires réservées à cette mission. Leur rôle comprenait la coordination de l’accompagnement des proches en réanimation et la continuité de la prise en charge, des rencontres régulières avec les familles pour évaluer leurs besoins, la proposition d’un soutien si nécessaire via des interventions psychoéducatives, ainsi que la facilitation de la communication interprofessionnelle et de la prise de décision partagée avec les familles.

Les infirmières de famille ont suivi une formation de 5 jours dispensée par l’équipe de recherche sur les soins centrés sur les familles et sur l’intervention protocolisée, afin de les préparer à leur rôle et aux activités prévues. Des réunions mensuelles (en ligne) de discussion et 2 journées de remise à niveau sur site ont été organisées pour favoriser les apprentissages mutuels. 

Les services de réanimation dans le bras témoin ont poursuivi leur prise en charge habituelle des proches.

  • Critères de jugement

  • Le critère de jugement principal était la satisfaction des proches, évaluée avec le questionnaire « Family Satisfaction with ICU » (échelle de 0 à 100) complété après la sortie de réanimation (de 1 jour avant la sortie à 90 jours après). Ce questionnaire comprend 2 domaines : la satisfaction vis-à-vis de la prise en charge et vis-à-vis des processus décisionnels.

  • Les critères de jugement secondaires étaient la qualité de la communication entre soignants et proches évaluée avec le « Questionnaire on Quality of Physician-Patient Interaction » (échelle de 1 à 5) et la qualité de l’accompagnement émotionnel et cognitif, évaluée avec le « Family Perceived Support Questionnaire » (échelle de 14 à 70).

Résultats essentiels :

Parmi 2 057 proches invités à participer à l’étude, 412 ont été inclus dans le groupe interventionnel et 473 dans le groupe contrôle (âge médian 54 ans ; 48 % étaient les partenaires des patients ; 64 % de femmes). L’intervention a légèrement amélioré la satisfaction globale des familles vis-à-vis des soins en réanimation, avec une différence moyenne de 2,39 points entre les groupes (IC 95 % : 0,31-4,47 ; P = 0,02). Des analyses supplémentaires ont confirmé ce résultat. La satisfaction concernant la participation aux décisions a augmenté davantage que celle concernant les soins. L’intervention a également amélioré la communication (différence moyenne : 0,37 ; IC 95 % : 0,16-0,58 ; P = 0,002) et le soutien cognitif et émotionnel (différence moyenne : 8,71 ; IC 95 % : 4,71-12,71 ; P < 0,001). 

Commentaires :

Cet essai constitue le quatrième travail visant à améliorer l’expérience des proches en réanimation en proposant un accompagnement spécifique assuré par une ou plusieurs infirmières formées à ce rôle dédié. Le premier essai, conduit par R. Curtis aux États-Unis (2), avait montré une diminution de la prévalence des symptômes de dépression chez les proches trois mois après la sortie ou le décès du patient. Il demeure à ce jour le seul essai ayant mis en évidence un effet significatif sur la santé psychologique des familles, les deux études suivantes – menées aux États-Unis (3) et en France (4) – n’ayant démontré aucun bénéfice. Le présent essai se distingue par le choix de son critère de jugement principal, centré sur la satisfaction des proches, un indicateur fréquemment évalué très précocement après la sortie de réanimation et exposé à divers biais. Les symptômes psychologiques des proches ont bien été recueillis, mais les résultats n’ont pas encore été publiés. Ces constats soulèvent deux questions majeures pour la recherche dans ce domaine. D’une part, celle du choix des critères d’évaluation : comme le souligne une revue de la littérature récente (5), il apparaît essentiel de s’accorder sur un noyau minimal de critères de jugement à inclure systématiquement dans les essais randomisés portant sur les proches. D’autre part, la question de l’organisation de la prise en charge des proches reste entière : faut-il former quelques infirmiers spécifiquement dédiés - au risque de créer, comme cela a déjà été décrit, des conflits de territoire avec les infirmiers « classiques » (6,7) et de fragiliser la pérennité de la fonction dans un contexte de pénurie (8) - ou bien accepter de former l’ensemble de l’équipe à un meilleur accompagnement des familles ? 

Points forts :
  • Les critères d’inclusion et les caractéristiques des patients/proches qui rendent les résultats de l’étude généralisable à tous les contextes ;

  • L’intégration, dans le développement de l’intervention, des résultats de la littérature qui évalue les besoins et les préoccupations des familles ;

  • Le développement d’une intervention proactive ciblant spécifiquement la communication et le soutien ;

  • La démonstration qu’une formation spécifique des infirmiers est possible, démontrant la capacité des soignants à améliorer leurs compétences en communication et à répondre aux besoins des familles.

Points faibles :
  • Fidélité : seulement 23 % des familles ont reçu toutes les composantes de l’intervention dans les délais prédéfinis ;

  • Le critère de jugement principal (satisfaction) ;

  • La non-présentation des résultats sur l’impact de l’intervention sur les symptômes psychologiques des proches.

Implications et conclusions :

Cet essai a montré qu’une intervention de soutien des proches, conduite par des infirmières, avait un effet faible mais statistiquement significatif sur la satisfaction des familles, dont la pertinence clinique reste incertaine. L’intervention a également amélioré la qualité de la communication ainsi que le soutien cognitif et émotionnel apporté aux familles.

Bien que les résultats n’apportent pas de bénéfice majeur en termes de satisfaction globale, ils soulignent la faisabilité d’une formation à la communication et au soutien, ainsi que son association avec une meilleure évaluation de ces dimensions par les proches. La question demeure donc : quand formerons-nous enfin tous les soignants ?


Références citées dans les commentaires :

  1. Hwang DY, Oczkowski SJW, Lewis K, Birriel B, Downar J, Farrier CE, Fiest KM, Gerritsen RT, Hart J, Hartog CS, Heras-La Calle G, Hope AA, Jennerich AL, Kentish-Barnes N, Kleinpell R, Kross EK, Marshall AP, Nydahl P, Peters T, Rosa RG, Scruth E, Sederstrom N, Stollings JL, Turnbull AE, Valley TS, Netzer G, Aslakson RA, Hopkins RO. Society of Critical Care Medicine Guidelines on Family-Centered Care for Adult ICUs: 2024. Crit Care Med. 2025 Feb 1;53(2):e465-e482. doi: 10.1097/CCM.0000000000006549. Epub 2025 Feb 21. PMID: 39982184.

  2. Curtis JR, Treece PD, Nielsen EL, Gold J, Ciechanowski PS, Shannon SE, Khandelwal N, Young JP, Engelberg RA. Randomized Trial of Communication Facilitators to Reduce Family Distress and Intensity of End-of-Life Care. Am J Respir Crit Care Med. 2016 Jan 15;193(2):154-62. doi: 10.1164/rccm.201505-0900OC. PMID: 26378963; PMCID: PMC4731711.

  3. White DB, Angus DC, Shields AM, Buddadhumaruk P, Pidro C, Paner C, Chaitin E, Chang CH, Pike F, Weissfeld L, Kahn JM, Darby JM, Kowinsky A, Martin S, Arnold RM; PARTNER Investigators. A Randomized Trial of a Family-Support Intervention in Intensive Care Units. N Engl J Med. 2018 Jun 21;378(25):2365-2375. doi: 10.1056/NEJMoa1802637. Epub 2018 May 23. PMID: 29791247.

  4. Kentish-Barnes N, Azoulay E, Reignier J, Cariou A, Lafarge A, Huet O, Gargadennec T, Renault A, Souppart V, Clavier P, Dilosquer F, Leroux L, Légé S, Renet A, Brumback LC, Engelberg RA, Pochard F, Resche-Rigon M, Curtis JR. A randomised controlled trial of a nurse facilitator to promote communication for family members of critically ill patients. Intensive Care Med. 2024 May;50(5):712-724. doi: 10.1007/s00134-024-07390-y. Epub 2024 Apr 4. PMID: 38573403.

  5. Brown C, Hartley P, Forsyth F, Boehm LM, Martin G, Kuhn I, Pattison N, Connolly B, Lone N, Danesh V, McPeake J. What measures have been used to explore the outcomes of family members of critically ill patients: a scoping review. Intensive Care Med. 2025 Sep;51(9):1641-1650. doi: 10.1007/s00134-025-08072-z. Epub 2025 Aug 12. PMID: 40794169; PMCID: PMC12405393.

  6. Renet A, Azoulay E, Reignier J, Cariou A, Renault A, Huet O, Pochard F, Engelberg RA, Kentish-Barnes N. "It's all about setting the stage." The nurse facilitator trial: perceived outcomes and implementation issues. A qualitative study among ICU clinicians and nurse facilitators. Intensive Care Med. 2024 Oct;50(10):1657-1667. doi: 10.1007/s00134-024-07589-z. Epub 2024 Aug 19. PMID: 39158706.

  7. Im J, Blakeney EA, Dotolo D, Ungar A, Barton R, Weiner BJ, Pollak KI, Nielsen E, Hudson L, Kentish-Barnes N, Creutzfeldt C, Engelberg RA, Curtis JR. Perspectives on Implementing a Communication Facilitator Intervention From a Critical Care Setting. J Pain Symptom Manage. 2025 Apr;69(4):361-369.e4. doi: 10.1016/j.jpainsymman.2024.12.020. Epub 2025 Jan 3. PMID: 39755284; PMCID: PMC11956797.

  8. Stall NM, Mody L. Supporting Families in the Adult Intensive Care Unit With High Touch-Low Tech Interventions. JAMA Intern Med. 2025 Sep 1;185(9):1150. doi: 10.1001/jamainternmed.2025.3382. PMID: 40720112.


CONFLIT D'INTÉRÊTS

Commenté par : Nancy Kentish-Barnes, Groupe de recherche Famiréa, Hôpital St Louis APHP, Paris, France

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